Un bleu pris par la grippe
Et aussi par exemple un certain Marius Royet, un ancien de l’US Parisienne, club pionner de « l’Association » dans la capitale et qui s’avéra alors un des rares à rencontrer, en ces temps originels, la Juventus lors d’un tournoi international. Son nom est forcément un peu tombé dans l’oubli depuis, bien qu’il représenta aussi probablement un des « cadres » de la sélection nationale naissante, à en croire en tout cas le site de la FFF qui le sanctifie du grand mérite de « premier recordman des sélections en 1908, après avoir joué neuf des dix premiers matchs de l’équipe de France » . Prisonnier de guerre, il décède pour sa part en novembre 1918, hospitalisé à Mannheim, chez l’ennemi allemand, de cette grippe improprement attribuée à nos amis d’outre-Pyrénées, et qui a décidé de prendre le relais des tranchées et du gaz moutarde. Tragique ironie, quand on se rappelle qu’en juillet 1918, un journaliste du Matin expliquait fièrement qu' « en France, l’épidémie est bénigne : nos troupes en particulier y résistent merveilleusement. Mais de l’autre côté du front, les Boches semblent très touchés par elle. Est-ce le symptôme précurseur de la lassitude, de la défaillance des organismes dont la résistance s’épuise ? » Scoop dont il est bon de se souvenir, les virus ignorent le chauvinisme.
Il faut dire que les États sont débordés, surtout après quatre ans d’efforts de guerre, et que le système de santé, sans parler de la médecine en général, s’avèrent incapables d’affronter cette contagion, d’autant plus qu’une grande partie des toubibs et infirmières sont encore mobilisés au chevet des Poilus. Sans compter que les mouvements de populations, de réfugiés et le retour des prisonniers de guerre favorisent la circulation du virus (pas besoin des déplacements de supporters donc). Les plus épargnés peuvent réagir et parfois, au regard de leur situation géographique, contenir le problème. L’Australie interdit toute manifestation publique qui pourrait favoriser la promiscuité : bals, concerts et rencontres sportives. D’aucuns pensent que le soccer, présent pourtant depuis 1880, en fut la principale victime collatérale, entravé à jamais dans son implantation face à ses rivaux ovale ou footsie.
Dix ans pour s’en remettre
Grand paradoxe de l’époque. Le conflit constitua une période très favorable pour la démocratisation du football et l'accroissement du nombre d’adeptes (parmi les troufions qui s’ennuyaient ferme entre deux boucheries et auxquels on distribuait des ballons). En revanche, la grippe espagnole faillit s’avérer impitoyable et contrecarra longuement cet élan. De nombreux clubs virent fondre leur effectifs, et la toute neuve FFF fondée en 1919 mettra plus de dix ans à s’en remettre pour enfin aligner des stats dignes du statut de sport numéro 1... En Suisse de même, en 1918-1919, la saison est un cauchemar entre l’hécatombe virale d’un pays épargné jusqu’à présent puisque « neutre » , et les privations de charbon qui bloquent la circulation des trains le dimanche. En Angleterre, Mickaël Correia, dans son livre Une histoire populaire du football, signale l’exemple de ces pionnières du foot féminin, ces fameuses « Munitionnettes » , décimées par la maladie, comme par exemple en novembre 1918, celles d’Armstrong-Whitworth, deux joueuses seulement pouvant se présenter pour le match, les autres étant atteintes par la grippe espagnole. Une anecdote à garder en mémoire quand vous regarderez PSG-Dortmund à huis clos devant votre écran.
Par Nicolas Kssis-Martov
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