Le Radeau de la Méduse
Les amis ont quelque chose à voir avec les rescapés. Peu importe à vrai dire que Xavi et Iker se soient connus en 1997, en Égypte lors du mondial U17 (troisième place). Peu importe aussi qu’ils aient tout fait gagner à leur pays depuis qu’ils sont adolescents (Mondial U20, Argent à Sydney en 2000, Euro 2008, Mondial 2010, Euro 2012). Ce qui compte, au fond, c’est qu’ils ne soient plus anonymes au milieu de centaines de jeunes promesses condamnées à nous faire rêver. Barkera, Alex, David, Orbaiz, Bermudo ou Colsa sont peut-être aussi encore amis depuis 1997 mais leur relation n’intéresse plus personne. Iker et Xavi ont forgé leur caractère dans les mêmes frustrations (être canterano dans un club immense), les maigres opportunités (Del Bosque au Real, van Gaal au Barça), les mêmes projets en commun (la sélection senior) et surtout les mêmes responsabilités de grands frères parmi les mal-appris.
L’an passé, lorsque durant un Real-Barça de Supercoupe d’Espagne empesté de polémiques un doigt s’enfonce dans un œil, lorsqu'un camarade de sélection attrape par le cou un autre camarade de sélection, lorsqu’un autre encore simule des agressions de son collègue, bref, lorsque la fin justifie les moyens, quelque chose ne tourne plus rond entre les amis. Les chefs de clans peuvent bien accuser leurs adversaires - Iker à base de « Fabregas a plongé, comme d’habitude » , Xavi sur l'air de « l’attitude du Real Madrid est lamentable » -, le pyromane Mourinho exulte car il arrive à ses fins : générer la tension nécessaire à la mobilisation de son vestiaire. Mais en Espagne, on a connu beaucoup trop d’affrontements meurtriers entre rivaux d’une même famille. La sélection, orgueil du Royaume, est un intérêt supérieur. Alors comme dans les meilleures histoires, les deux grands frères prennent leur téléphone et éteignent un incendie qui aurait pu ravager le fragile équilibre du vestiaire espagnol. Mourinho est furieux et suspend Iker un match. Mais peu importe. Le radeau de la Méduse arrivera à bon port. L’Espagne surmonte ses tensions et remporte l’Euro dix mois plus tard. Et c’est surtout grâce à eux.
Le début de la fin
Mais le monde est ingrat et ce prix n’est pas une récompense, c’est une couronne de fleurs. Certes, c’est l’occasion d’embrasser les deux camarades, de les remercier des exploits passés et de leur remettre des colliers de fleurs. Mais c’est aussi une autre façon de s’habituer à vivre sans eux. Ce soir, Valdés sera dans les buts espagnols. Certes, le gardien catalan ne pourra jamais espérer plus qu’un poste d’assistant du Saint et Casillas a encore le temps de battre d’autres records de longévité. Mais voir une Espagne sans Casillas (138 sélections) est déjà le commencement d’un drame. Xavi Hernandez, lui, devrait débuter la rencontre. Mais l’Arabie Saoudite ne mérite pas de forcer les tendons fragiles du trentenaire. La mi-temps du match sera l’heure de Fabregas, Silva et Beñat. Xavi et Iker n’en seront pas ou peu. Les deux amis ont vécu trop de naufrages ensemble pour ne pas savoir de quoi sont faits les lendemains de fêtes. Les médailles et les éloges ne comptent pas pour les amis. Ce qui importe, ce sont les années passées ensemble à grandir, à souffrir, à jouer, à se marrer. Xavi le sait : « Nous n’avons jamais eu besoin d’un prix pour renforcer notre amitié » . Comme des frères.
Par Thibaud Leplat
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