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Georges/Rasera : « La Ligue 2 n’est pas pleine de paillettes »

Propos recueillis par Maxime Renaudet
8 minutes
Georges/Rasera : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>La Ligue 2 n’est pas pleine de paillettes<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Après avoir partagé le quotidien d'une équipe de Ligue 2 pendant plus de trois ans, Frédéric Rasera a écrit une thèse et un livre sur les coulisses du métier de footballeur. Un long projet ethnographique ponctué le 15 janvier par la sortie de L’Amour du maillot : Une saison en Ligue 2, bande dessinée co-écrite avec Hélène Georges aux éditions Casterman. Entretien croisé.

Hélène, vous êtes autrice et illustratrice de bandes dessinées alors que Frédéric, vous êtes sociologue. Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ensemble L’Amour du maillot : Une saison en Ligue 2 ? Frédéric Rasera : En fait, cette BD est tirée de mon livre Des footballeurs au travail : Au cœur d’un club professionnel, lui-même tiré de ma thèse de sociologie soutenue en 2012 : Le métier de footballeur : Les coulisses d’une excellence sportive. Mon livre n’est qu’une partie de cette thèse et il porte plus spécifiquement sur mon enquête ethnographique de plus de trois ans dans un club de Ligue 2. En 2017, Yasmine Bouagga, co-directrice de la collection Sociorama chez Casterman, m’a contacté. En lisant mon livre, elle a jugé que ça pourrait rentrer dans cette collection dont l’objectif est de trouver des enquêtes sociologiques à transformer et adapter en BD.

Hélène Georges : Je connaissais cette collection qui mêle toujours un sociologue et un illustrateur de BD, ce qui permet d’apprendre beaucoup de choses avec un ton différent. Pour ma part, je connaissais Lisa Mandel, qui est illustratrice et a co-fondé Sociorama. Quand elle m’a parlé du projet, j’étais assez enthousiaste d’y participer. Et quand elle m’a proposé le foot, j’ai accepté tout de suite. Mais je n’y connaissais rien, je n’avais jamais vu un match en entier, je crois. Après, le principe de la collection est rassurant, car derrière il y a un comité scientifique, et j’étais avec Frédéric, expert du sujet. Sur ses conseils, j’ai commencé à lire assidûment France Football, je n’ai raté aucun Canal Football Club, et je me suis aussi abonnée à beIN pour regarder les matchs de Ligue 2. Je me suis aperçue que le monde entier courait après un ballon.

Comment l’écriture de la BD s’est déroulée ?HG : Après avoir lu le livre de Frédéric, j’ai d’abord rédigé un scénario toute seule. C’est au moment où l’histoire devient des cases et des dialogues qu’il est beaucoup intervenu. Là, on a vraiment co-écrit tous les dialogues. Vu que je ne connaissais pas grand-chose au foot, je n’arrivais pas à faire parler les personnages. Ensuite, comme tout le monde est incarné, il fallait inventer une ville de province, le nom d’un club, faire la sélection des joueurs, leur trouver des noms.

En fait, le travail qu’on a fait est une fiction qui a pour objectif de donner des résultats sociologiques. Dans cette fiction, Hélène nourrit des scènes et des dialogues que j’ai pus voir durant mon enquête.

Et du coup, être assez juste et proche de la réalité décrite par Frédéric dans son livre, tout en inventant quelque chose.

FR : J’ai donné à Hélène des morceaux de ma thèse qui n’étaient pas dans mon livre, et qui me paraissaient particulièrement intéressants dans la perspective de l’illustration, notamment le style de vie des joueurs. Je lui ai aussi transmis des photos de vestiaire, de terrains d’entraînement, de tenues. J’avais également beaucoup de notes de terrain et d’anecdotes qui ne sont pas dans ma thèse, et qui pouvaient nourrir le scénario et les dialogues. En fait, le travail qu’on a fait est une fiction qui a pour objectif de donner des résultats sociologiques. Dans cette fiction, Hélène nourrit des scènes et des dialogues que j’ai pus voir durant mon enquête.

Dans la BD, on suit le quotidien de ce club fictif de Ligue 2, mais surtout celui des joueurs. Et qu’ils soient aguerris ou juste prometteurs, ils sont tous confrontés à l’incertitude de leur avenir professionnel. L’objectif est-il de déconstruire le mythe du footballeur pro qui vit dans le strass et les paillettes ?FR : Effectivement, si on prend l’exemple de l’incertitude, on remarque qu’elle structure la vie des footballeurs.

Quand on fait une enquête de longue durée sur des footballeurs pros d’un club de Ligue 2, qui constituent déjà une élite, car très peu accèdent à ce niveau-là, on voit quelque chose de très différent des images dominantes qui reposent sur les grandes stars les plus visibles et les plus riches.

L’incertitude, c’est de savoir si on sera dans l’équipe première ou pas, ce que crée le fait d’être invisibilisé quand on commence à ne pas trop jouer. Quand on fait une enquête de longue durée sur des footballeurs pros d’un club de Ligue 2, qui constituent déjà une élite, car très peu accèdent à ce niveau-là, on voit quelque chose de très différent des images dominantes qui reposent sur les grandes stars les plus visibles et les plus riches. L’idée, c’est de faire une sociologie du travail de footballeur. En les resituant dans un club pro qui est finalement une entreprise, et dans leurs conditions de salariés, en essayant de comprendre quelles sont leurs contraintes au quotidien, les rapports hiérarchiques dans lesquels ils sont inscrits, les injonctions et les obligations pros auxquelles ils doivent faire face.

HG : En tout cas, c’est dans les principes de la collection de déconstruire les clichés qu’on peut avoir sur un sujet donné. De mon côté, le foot n’existait pas trop dans mon milieu d’illustrateur. Je n’en pensais rien en fait. Mais ce qui est sûr, c’est que j’ai l’impression d’être la première lectrice de cette BD. Quelqu’un qui n’y connaît rien, et qui pouvait avoir des a priori. Et du coup, ça a été une chouette manière de les déconstruire aussi. Et en effet, la Ligue 2 n’est pas pleine de paillettes, même si les joueurs n’ont pas les salaires de tout le monde. Mais en même temps, il y a une espèce de précarité qui est rarement évoquée. C’est très court, très précaire et très aléatoire.

Malgré tout, au fil de la lecture, ce désir de strass est quand même très présent, même chez des joueurs de Ligue 2. Pareil pour certains clichés, comme celui de vouloir acheter une belle voiture très jeune.HG : L’idée de la BD, c’est d’être le plus juste possible, de parler de choses réelles tout en étant dans une fiction. Du coup, d’être dans une fiction aussi trépidante que possible. Le cliché des voitures, c’est quand même une préoccupation réelle selon moi. Même quand le jeune Gary rachète la voiture du capitaine de l’équipe.

FR : Si on prend l’exemple de la voiture, c’est quelque chose d’important pour beaucoup de joueurs. Ça s’inscrit dans des trajectoires sociales, le milieu d’origine et le rapport à la culture légitime. Effectivement, les footballeurs ont des goûts en matière de consommation et une volonté pour certains, notamment ceux qui viennent de milieu populaire, de montrer leur réussite par une sorte de consommation ostentatoire. Ce qui est intéressant, c’est d’en montrer les ressorts sociaux plutôt que de les stigmatiser. Car au-delà de la passion et des hauts niveaux de rémunération, on légitime tout un ensemble d’obligations qu’on n’accepterait pas ailleurs. Par exemple, les amendes, qui sont totalement dérogatoires au droit du travail en France, le fait d’imposer des amendes financières pour un retard ou un téléphone qui sonne. Mais au nom de la passion, on légitime tout un tas de pratiques inhabituelles.

En quoi la BD est un outil pertinent pour montrer et expliquer tout cela ? HG : Le dessin et la mise en scène des personnages permettent de créer des situations qui peuvent être plus explicites qu’une longue description.

Je n’écris habituellement que des fictions, là je n’ai pas eu beaucoup de liberté dans le scénario, mais en revanche j’essaie de la prendre dans le dessin, le découpage et la mise en scène des pages, car il y avait aussi un souci de fluidité dans la lecture.

Le dessin permet de donner des informations rapidement. Notamment sur l’environnement : les vêtements, le vestiaire, les maisons dans lesquelles ils habitent, et ça, c’est très efficace. Je n’écris habituellement que des fictions, là je n’ai pas eu beaucoup de liberté dans le scénario, mais en revanche, j’essaie de la prendre dans le dessin, le découpage et la mise en scène des pages, car il y avait aussi un souci de fluidité dans la lecture.

FR : Hélène a été capable de faire passer rapidement des connaissances via le dessin. Par exemple, dans mon livre, j’explique que pour des joueurs pros qui vont jouer en B, ce n’est pas marrant. Et ça, on le comprend tout de suite dans la BD, car Hélène a eu la bonne idée de faire en sorte qu’il pleuve en permanence quand les joueurs jouent en équipe de réserve. Ensuite, le format même de la BD permet de raconter une histoire au jour le jour, ce qui est très différent du travail sociologique et académique. Autre point, le souci de précision d’Hélène dans la description de la matérialité des différentes scènes. Elle a pris du temps sur les objets, les vêtements. Et finalement, je trouve que cet effort et cette qualité dans le dessin permettent de nous plonger dans un univers avec sa culture propre. Pour ça, la BD permet vraiment de viser un public pas forcément de spécialistes, tout en ayant une rigueur sociologique.

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