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Football History X

Le topic où l'on parle de l'histoire du foot ou de l'histoire tout court...
Le 23e congrès de la FIFA, tenu à Berlin les 13 et 14 août 1936, se penche évidemment sur cette question. Voici, in extenso, les passages du PV officiel qui concernent cette affaire :

« Mr. MALLOW (Pologne) soumet l’interpellation suivante : « Sur quel article des Lois du Jeu (Rules of the International F.A. Board) le Jury d’Appel s’est-il basé en annulant la rencontre olympique Pérou-Autriche, malgré le fait que l’arbitre n’a pas suspendu le match (voir Art. 13 alinéa 4 des Lois du Jeu). L’Article 10 des Règlements du Tournoi Olympique de Football de Berlin sur lequel le Jury d’Appel s’est basé en prenant sa décision relative à l’annulation de la rencontre olympique Pérou-Autriche, ne peut pas être en contradiction avec les Lois du Jeu, parce que – d’après l’opinion de la délégation polonaise – cette décision pourra constituer un précédent funeste pour tous les tournois de l’avenir. »

Mr. DUPUY [représentant de l’Uruguay] déclare qu’il y a une grande excitation pas seulement au Pérou mais dans toute l’Amérique du Sud. Le Pérou a fait un effort énorme pour faire participer son équipe au Tournoi de Berlin et maintenant cette équipe doit perdre dans un instant et par une circonstance dont elle n’est pas responsable le fruit de son effort, de son voyage et de sa victoire. Il demande si l’équipe du Pérou a correctement joué ? Si un spectateur entre dans le terrain de jeu le Pérou n’en était pas responsable. Il s’agit ici d’un cas nouveau et si l’on admet qu’un jeu soit annulé par suite de l’attitude d’un spectateur une telle décision pourrait avoir à l’avenir des conséquences graves et regrettables, comme dans chaque match (malgré toutes les mesures de précautions prises) de tels incidents pourraient avoir lieu. Le Pérou a gagné son match, déclare Mr. DUPUY, et son équipe est autorisée à continuer de jouer. Il suggère que le Pérou joue contre le vainqueur du match final ; il croit que ni l’Autriche ni l’Italie ne refuseront d’accepter cette proposition.

Mr. Dr. URSINI (Argentine) soutient les paroles de Mr. DUPUY. Il demande qu’on constate les responsabilités. Est-ce que la faute est à l’organisation ou est-ce que le jugement du Jury d’Appel n’était pas correct.

Mr. EIE (Norvège) déclare que le Congrès n’est pas qualifié et pas compétent pour annuler un jugement du Jury d’Appel. Les Associations Nationales invitées ont connu le Règlement et ils savaient par conséquent que le Jury d’Appel avait à décider dans de tels cas. Même s’il y avait une erreur, déclare Mr. EIE, il ne serait pas possible d’éliminer cette erreur par une seconde erreur ; il faudrait prendre des mesures pour éviter de tels cas à l’avenir.

Mr. LINNEMANN [représentant de l’Allemagne], en répondant à la question si peut-être l’organisation était fautive, remarque ce qui suit : Tout a été préparé en Allemagne et à Berlin de sorte que tous nos hôtes venus de l’étranger pouvaient se sentir à leur aise et que tous les matchs pouvaient se dérouler dans un bon ordre. En ce qui concerne le service d’ordre Mr. LINNEMANN remarque qu’il y a eu cinq fois plus de contrôleurs au terrain lors du match Pérou-Autriche que d’ordinaire ; on ne peut naturellement pas faire garder chaque spectateur par un gardien de police.

Encore une fois Mr. LINNEMANN souligne que tout a été fait de la part du Comité Organisateur pour assurer le déroulement normal du Tournoi Olympique.

Mr. SEELDRAYERS (Vice-Président) donne les explications suivantes au nom du Comité Exécutif : « Après le match Pérou-Autriche un protêt a été soulevé par l’Autriche dans la forme et le délai réglementaires. Le Jury d’Appel de la FIFA, saisi de ce protêt, a de suite pris les mesures nécessaires pour convoquer tous les intéressés, à savoir les représentants de l’Autriche et du Pérou, l’arbitre, les juges de touche et les officiels de la FIFA qui avaient mandat de contrôler le match. Après une enquête minutieuse de laquelle il résultait : Que des faits se sont produits qui ont empêché le déroulement normal du match ; Que l’organisation matérielle du match déterminé par les conditions habituelles s’est trouvée entravée par des circonstances imprévues ; Qu’il a été impossible d’empêcher les spectateurs d’entrer dans le terrain de jeu et qu’un spectateur a pu porter un coup de pied à un joueur autrichien. Le Jury d’Appel, dans le désir de trouver une solution sportive, a pris la décision : Que le match sera rejoué à huis clos et à bureau fermé le lundi 10 août 1936. Cette décision fut immédiatement communiquée à l’Autriche et au Pérou. A la date et à l’heure fixée pour la reprise du match l’équipe d’Autriche était présente, tandis que celle du Pérou faisait défaut. Par conséquent l’équipe d’Autriche fut déclarée vainqueur par forfait. Sur une intervention de S.E. Mr. BENEVIDES, Ambassadeur du Pérou en France, qui s’est adressé à Mr. RIMET pour essayer de trouver une solution il fut suggéré que le Pérou pouvait rejouer le match contre l’Autriche au Stade Olympique le 11 août à l’heure fixée pour le match Autriche-Pologne ; et que le gagnant de ce match jouerait le mercredi contre la Pologne. Cette solution sportive proposée par Mr. RIMET et approuvée par le Comité de la FIFA fut chaudement recommandée à S.E. Mr. BENAVIDES qui s’est mis en relation avec le chef de la délégation péruvienne ; mais la proposition ne fut pas acceptée par le Pérou et par conséquent l’équipe de l’Autriche jouait comme prévu contre la Pologne. Le Jury d’Appel de la FIFA, constitué suivant le Règlement Olympique, a rendu un jugement dont personne ne peut dire qu’il n’est pas influencé d’un esprit sportif, et qui avait exclusivement le but de faire répéter sous des conditions normales le match Pérou-Autriche. Il va sans dire, que le Comité a vivement regretté le forfait donné par le Pérou ; mais le jugement du Jury d’Appel est inappellable et il ne peut dans aucun cas être modifié par une décision du Congrès.

Mr. MALLOW remercie le Comité Exécutif des explications données par Mr. SEELDRAYERS et qui permettent d’apprécier l’esprit sportif de la décision prise par le Jury d’Appel ; tout de même cette décision pourrait constituer un précédent dangereux et pour cette raison Mr. MALLOW soumet la proposition suivante : Dans les cas où pendant une rencontre officielle (Tournoi Olympique, Coupe du Monde) des spectateurs envahissent le terrain de jeu, l’arbitre doit fixer aux organisateurs un délai de 10 minutes pour éloigner les spectateurs du terrain. Si dans ce délai le public n’a pas quitté le terrain de jeu le match doit être interrompu par l’arbitre. Dans de pareils cas les autorités sportives compétentes auront à prendre la décision qui s’impose.

Mr. von FRENCKELL [représentant de la Finlande] remarque que le Congrès n’est pas à même de discuter les propositions de la Pologne s’agissant d’une question technique, qui devrait être tranchée par une commission technique. Si les trois pays intéressés l’Autriche, l’Italie et le Pérou s’adressent au Jury d’Appel en faisant des propositions il serait possible de trouver une solution.

Mr. RIMET dit que toutes les opinions ont été entendues et qu’il serait le moment de terminer les discussions, d’autant plus qu’on ne pourra pas modifier la décision du Jury d’Appel.

Mr. DELAUNAY (France) regrette qu’il a été impossible d’arriver à une solution sportive de cette affaire. Il propose que les Associations intéressées tiennent une conférence pour essayer de trancher le différend.

Le Congrès se déclare d’accord, et sur la proposition de Mr. RIMET, MM. DELAUNAY, von FRENCKELL et LINNEMANN sont priés de tenir une conférence avec les représentants de l’Autriche, de l’Italie et du Pérou. […]

Mr. RIMET prie de vouloir interrompre encore une fois la discussion sur le rapport financier comme entretemps les messieurs de la Commission nommée pour régler le cas Autriche-Pérou sont revenus ; il donne la parole à Mr. von FRENCKELL, qui communique que la situation ayant été considérée à fond dans un esprit amical on s’est demandé si la FIFA ne pourrait pas faire la proposition que l’équipe du Pérou joue après le Tournoi Olympique contre le vainqueur du Tournoi Olympique. Mais il fut constaté que ni l’équipe autrichienne ni celle de l’Italie n’étaient à même de séjourner plus longtemps à Berlin. On a alors essayé de trouver une solution démontrant les relations amicales existant entre les footballeurs du monde entier ; le représentant du Deutscher Fussball Bund a proposé que l’équipe du Pérou joue un match amical contre l’Allemagne ; un second match serait organisé à Vienne entre l’Autriche et le Pérou. L’Autriche a consenti à cette proposition. Ces communications furent accueillies favorablement par le Congrès et on espère pouvoir liquider ainsi l’incident regrettable. Une décision définitive n’a pas encore pu être prise, mais le Délégué de l’Uruguay, qui représente le Pérou, se mettra de suite en relation avec le représentant du Pérou.

Mr. von FRENCKELL remarque finalement, que Mr. RIMET a bien voulu offrir une coupe en cas de réalisation de ces matchs. Mr. RIMET déclare être satisfait du résultat de cette conférence et il espère que l’incident pourra être considéré comme clos. Mr. DUPUY communique qu’il a soumis à la conférence des propositions qui malheureusement ne pouvaient pas être acceptées, par des raisons d’ordre pratique. Il est impossible à l’équipe italienne de rester plus longtemps à Berlin. Mais les représentants du Pérou, afin de montrer leur esprit de conciliation, ont envisagé de jouer les deux matchs contre l’Allemagne et contre l’Autriche. Mr. DUPUY finit par remarquer que l’équipe du Pérou a subi une injustice. »
Message posté par gil morrissao roland larque
L'auto ne mentionne rien sur le match dans son édition du 9 août ?


Non, tu penses ! Pour ce genre de match, L'Auto se contente de donner le résultat en page 5 : "Pérou bat Autriche, 4 à 2." Plus laconique, tu meurs !

L'Auto ne commence à s'intéresser à l'histoire qu'une fois qu'elle fait scandale et menace l'ensemble des Jeux : retrait possible de tous les athlètes sud-américains ! Un envahissement de terrain, un forfait... en 1936, c'est presque habituel !
Le 16 août, en page 6, L’Auto retranscrit la fort intéressante déclaration du « docteur Carlos Cacérès Alvarez », un des « officiels » de la délégation olympique péruvienne et « directeur général de l’Education physique au Pérou », que les journalistes français ont pu rencontrer à Paris : « Nous avions amené en Allemagne, nous dit le docteur Cacérès, une importante délégation qui comprenait, outre notre équipe de football, une équipe de basket, des athlètes et des nageurs.
En athlétisme, en natation, nous n’avions aucune prétention, mais nos hommes ont beaucoup appris au contact des meilleurs spécialistes moniaux.
Mais, en basket-ball, nous pouvions espérer une place d’honneur. Notre équipe a battu, en effet, l’Egypte et la Chine.
Enfin, en football, le titre olympique était peut-être à notre portée : nous avions battu la Finlande par 7 buts à 3 et, au tour suivant, nous étions opposés à l’Autriche.
Nos joueurs, un peu surpris par le jeu « robuste » des Autrichiens, étaient menés à la mi-temps par 2 buts à zéro. Après la pause, les Péruviens parvenaient à égaliser et dans les prolongations ils prenaient le meilleur en marquant deux nouveaux buts.
Après le match, des membres de la FIFA et de la Fédération allemande vinrent féliciter nos joueurs, et nous attendions avec confiance la demi-finale qui devait nous opposer à la Norvège. Lorsque l’Autriche déposa une réclamation portant sur trois points :
1e Le terrain était trop petit. Or, c’est sur ce même terrain que nous avions rencontré la Finlande…
2e L’arbitre avait commis plusieurs fautes d’arbitrage. S’il y eut des fautes d’arbitrage, de l’avis même des spectateurs elles désavantagèrent mes compatriotes. Songez que trois buts, qu’ils avaient marqués régulièrement, ont été annulés !
3e Un spectateur a donné un coup de pied à un joueur autrichien. Je n’ai pas vu cet incident, mais, même s’il a vraiment eu lieu, l’équipe péruvienne ne pouvait en être rendue responsable : un spectateur quel qu’il soit, n’aurait pas dû pouvoir pénétrer sur la pelouse. D’autre part, qui nous prouve que la manifestation de ce spectateur n’a pas été provoquée précisément pour justifier une réclamation ?
Aussi, jugez de notre surprise lorsque nous apprîmes que la FIFA décidait d’annuler le résultat de la rencontre et de faire rejouer le match en privé. D’autant plus qu’il y avait au maximum, à Berlin, 300 Péruviens… perdus parmi 30 000 spectateurs !
Nous avons immédiatement protesté… sans succès. Les autres pays sud-américains représentés à Berlin joignirent alors leur protestation à la nôtre. Ce fut en vain.
Nous avions fait un gros effort pour venir aux Jeux : le voyage est long et coûteux ; mais grâce aux sacrifices des sportifs et à l’appui du gouvernement notre participation avait pu être assurée.
Cependant, nous ne pouvions accepter cette décision, que nous considérions comme profondément injuste. Aussi, en manière de protestation, il fut décidé que toute la délégation du Pérou abandonnerait immédiatement les Jeux.
MM. Martinez, Dasso et moi-même sommes désolés d’avoir dû nous retirer des Jeux ; mais, je vous le répète, il nous était impossible de subir l’énorme injustice qui nous a été faite, car je ne peux arriver à comprendre ce qui a pu motiver la décision de la FIFA, à qui la Fédération Péruvienne a d’ailleurs envoyé sa démission. »
S’agissant des protestations adressées par les Péruviens à la FIFA, il y a notamment dans les archives FIFA une lettre de Claudio Martinez Bodero, premier président de la fédération péruvienne de football (1922-1926) et président de la délégation péruvienne lors des Jeux de Berlin, adressée à Jules Rimet, président de la FIFA en exercice, le 11 août 1936.

Dans celle-ci, Claudio Martinez stigmatise « les puériles raisons avancées pour annuler la partie Pérou-Autriche » et avance que la décision du jury d’appel de la FIFA avait pour but « [d’] éviter que le Pérou, unique pays sud-américain à prendre part au championnat de football, n’obtienne un triomphe olympique, que [tous les] Péruviens pensaient certain. » Il ajoute que « la partie Pérou-Autriche fut une magnifique partie de football, au cours de laquelle le Pérou obtint un triomphe resplendissant et indiscuté. »
Merci Bobby, je lis ça asap mais beau boulot et très bon complément au débat entamé (sur le quizz pour ceux qui n'ont rien suivi ^^) ! Ça sera l'occasion de me remettre à jour sur cette histoire qui a tellement suscité d'interprétations au fil des décennies qu'on ne sait même plus trop ce qu'il s'est réellement passé.
Une chose est sûre, que l'annulation soit d'abord motivée par le racisme des nazis ou due à l'irruption de quelques supporters péruviens sur la pelouse, il semble acquis qu'il ne s'agissait pas d'un énorme envahissement de terrain et que la décision de rejouer le match était largement abusive. On peut aussi affirmer sans trop se tromper que l'arbitrage était plutôt partial (le Pérou a quand même eu trois buts refusés de manière apparemment litigieuse avant que l'arbitre valide enfin ses 3e et 4e buts) et que l'annulation du résultat n'aurait jamais été prononcée en cas de scénario inverse (victoire autrichienne et intrusion de leurs supporters)...

Les joueurs péruviens ont en tout cas été accueillis en héros à leur arrivée à Lima - ce que n'a pas manqué d'exploiter le pouvoir péruvien à des fins de propagande - et cette campagne olympique réussie (sur le terrain, ils ont passé successivement 7 buts à la Finlande et 4 à l'Autriche) a permis au Pérou de jeter les bases du futur succès à la Copa America 39.
Et puis, c'est grâce à ces deux victoires contre des sélections européennes que cette magnifique génération dorée péruvienne a pu se faire connaître en-dehors de son pays : le gardien Juan Valdivieso (dit "El Mago"), le milieu Segundo Castillo, les vedettes offensives Alejandro Villanueva, Jorge Alcalde, Adelfo Magallanes et surtout la grande star de l'équipe, Teodoro "Lolo" Fernandez, l'idole de la U (l'un des meilleurs attaquants sud-américains de l'époque, encore considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands joueurs de l'histoire du foot péruvien).
Message posté par Alain Proviste
Merci Bobby, je lis ça asap mais beau boulot et très bon complément au débat entamé (sur le quizz pour ceux qui n'ont rien suivi ^^) ! Ça sera l'occasion de me remettre à jour sur cette histoire qui a tellement suscité d'interprétations au fil des décennies qu'on ne sait même plus trop ce qu'il s'est réellement passé.
Une chose est sûre, que l'annulation soit d'abord motivée par le racisme des nazis ou due à l'irruption de quelques supporters péruviens sur la pelouse, il semble acquis qu'il ne s'agissait pas d'un énorme envahissement de terrain et que la décision de rejouer le match était largement abusive. On peut aussi affirmer sans trop se tromper que l'arbitrage était plutôt partial (le Pérou a quand même eu trois buts refusés de manière apparemment litigieuse avant que l'arbitre valide enfin ses 3e et 4e buts) et que l'annulation du résultat n'aurait jamais été prononcée en cas de scénario inverse (victoire autrichienne et intrusion de leurs supporters)...

Les joueurs péruviens ont en tout cas été accueillis en héros à leur arrivée à Lima - ce que n'a pas manqué d'exploiter le pouvoir péruvien à des fins de propagande - et cette campagne olympique réussie (sur le terrain, ils ont passé successivement 7 buts à la Finlande et 4 à l'Autriche) a permis au Pérou de jeter les bases du futur succès à la Copa America 39.
Et puis, c'est grâce à ces deux victoires contre des sélections européennes que cette magnifique génération dorée péruvienne a pu se faire connaître en-dehors de son pays : le gardien Juan Valdivieso (dit "El Mago"), le milieu Segundo Castillo, les vedettes offensives Alejandro Villanueva, Jorge Alcalde, Adelfo Magallanes et surtout la grande star de l'équipe, Teodoro "Lolo" Fernandez, l'idole de la U (l'un des meilleurs attaquants sud-américains de l'époque, encore considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands joueurs de l'histoire du foot péruvien).


Tout à fait d'accord avec ta première partie, Alain. Comme disait le représentant uruguayen au congrès de Berlin : "l’équipe du Pérou a subi une injustice."

Et très belle équipe du Pérou, en effet.

As-tu vécu au Pérou ? En tout cas, ton éclairage sur les actuelles convictions péruviennes dans cette affaire est intéressant et décisif.

Merci beaucoup !
Pour vous faire patienter, je reposte mon texte sur la Coupe du monde 1938 : c'est en l'écrivant que j'ai découvert il y a quelques années cette affaire Pérou-Autriche.



Coupe du monde 1938 ou « l'esprit de Munich ».

« Si nous agissons habilement, nous pourrons placer l’actuelle FIFA totalement sous l’influence de l’Axe et isoler encore plus l’Angleterre. »
Peco Bauwens, membre allemand du comité exécutif de la FIFA (1932-1942), octobre 1940.

« L’hostilité vis-à-vis de l’Allemagne ne représentait pas la volonté du peuple britannique : c’était l’œuvre des Juifs. »
Nevile Henderson, ambassadeur du Royaume-Uni en Allemagne (1937-1939), août 1939.


La Coupe du monde 1938, organisée en France, est trop souvent méconnue. La gigantesque conflagration mondiale qui la suivit immédiatement semble en avoir fait une « Coupe du monde oubliée » (Victor Sinet). « L'esprit de Munich » qui y régna a sans doute aussi participé de son effacement des mémoires françaises.

La candidature française et les premiers préparatifs.

C'est Jules Rimet, à l'époque président de la FIFA et de la FFFA, qui fut à l'origine de la candidature française. Il espérait que, de la sorte, son pays remportât le trophée. Sachant les réticences naturelles de l'Etat à financer le football, jugé trop professionnalisé, alors qu'il hésitait moins à subventionner les compétitions omnisports comme les JO, Rimet voulut d'abord intégrer la Coupe du monde à l'Exposition internationale de Paris (1937) qui devait accueillir un tournoi de football. Placé sous le thème général de l'Exposition (« Arts et techniques de la vie moderne »), le football aurait dès lors reçu le soutien de l'Etat. Mais le projet capota et fut abandonné en avril 1936.

Au congrès de la FIFA de Berlin, en août 1936, la FFFA renouvela sa candidature, cette fois pour 1938. Mais elle se heurta à la concurrence argentine, qui bénéficiait de solides arguments. D'une part, elle pouvait faire valoir le principe de l'alternance des continents, puisque la Coupe du monde 1934 avait eu lieu en Italie. D'autre part, elle pouvait mettre en avant la stabilité économique et politique de l'Amérique du Sud, à l'opposé d'une IIIème République toujours aussi instable et désormais dirigée par le Front populaire, et d'une France qui tardait à sortir de la crise économique.

Surtout, l'absence de soutien de l'Etat en France était très handicapante. Alors que les Argentins avaient entrepris des travaux pour la construction d'un grand stade de 100 000 places, la France ne semblait pas en mesure de se doter de telles structures. En effet, en juillet 1936, Léo Lagrange, sous-secrétaire d'Etat aux Sports, tempêtait son opposition au sport-spectacle : « Pas un crédit pour les stades où cinquante mille spectateurs contemplent vingt ou trente acteurs, mais pour chaque ville ou village, la piste, la piscine, le terrain ! » Finalement, grâce à l'influence et à la force de persuasion du président de la FIFA, le congrès valida la candidature française à une large majorité (19 voix sur 24).

Mais, comme l'Etat refusait toujours de s'engager, l'Allemagne et l'Italie se mirent sur les rangs. Leurs représentants à la FIFA affirmèrent qu'ils étaient prêts à accueillir la compétition si la France venait à se désister. L'orgueil français fut alors touché. On connaissait l'importance, pour le prestige du pays, de l'organisation réussie d'une telle compétition. Les JO de Berlin étaient encore tout frais. Puisque l'Etat ne voulait pas mettre la main à la poche, les municipalités s'en chargèrent, avec le concours de la FFFA. Le stade de Colombes, où devait se dérouler la finale, fut modernisé et agrandi (60 000 places). Les stades d'Antibes, Le Havre, Lille, Reims, Strasbourg et Toulouse furent aussi agrandis. A Bordeaux et Marseille, de nouvelles enceintes furent construites.

Les participants.

Pour la première fois dans l'histoire de la compétition, le tenant du titre (l'Italie) et le pays organisateur (la France) furent qualifiés d'office. Vingt-et-une équipes, sur trente-quatre engagées au départ (nombreux forfaits), disputèrent donc des tours préliminaires pour désigner les quatorze participants manquants.

Les principaux forfaits à noter sont ceux de la presque totalité des pays sud-américains, à l'exception du Brésil. D'un côté, l'Uruguay continuait à ignorer les Coupes du monde européennes comme les Européens avaient ignoré la Coupe du monde uruguayenne de 1930. Mais, plus encore, c'est l'affaire « Pérou-Autriche » de 1936 qui cristallisa les rivalités entre les deux continents majeurs du football. Au tournoi de football des JO de Berlin, les Péruviens étaient les seuls représentants de l'Amérique du Sud. Opposés en quarts de finale aux Autrichiens, les joueurs des Andes parvinrent à arracher la prolongation (2-2). Mais, à la mi-temps de celle-ci, les supporteurs péruviens envahirent la pelouse et attaquèrent les joueurs autrichiens. L’un d’entre eux fut frappé. Le match reprit et les Autrichiens encaissèrent deux nouveaux buts. La délégation autrichienne fit appel. Or, le jury d'appel était composé essentiellement de membres européens. Il statua en faveur de l'Autriche et proposa donc de rejouer le match. Les Péruviens refusèrent, criant au complot, et quittèrent l'Allemagne. Déjà en froid avec les associations européennes, les Sud-Américains prirent partie pour les Péruviens dans cette affaire et, à l'exception des Argentins et des Uruguayens, menacèrent même de quitter la FIFA. L'Argentine, qui s'était d'abord inscrite pour les éliminatoires, se retrouva ainsi seule avec son vieux rival continental : le Brésil. Malgré la pression du peuple argentin, l'équipe nationale se désista et laissa le Brésil prendre la route de l'Europe sans jouer.

En Asie, le Japon déclara forfait compte tenu de la mobilisation du pays, entré en guerre avec la Chine en juillet 1937. Les Indes néerlandaises furent ainsi le représentant, unique, du plus vaste continent du monde. En Amérique centrale et du Nord, tous les engagés déclarèrent forfait sauf Cuba. L'Afrique et l'Océanie n'étaient de toute façon pas invitées.

En Europe, outre le forfait traditionnel des Britanniques, il fallut aussi statuer sur le cas de l'Espagne. Quarts de finaliste en 1934, les Espagnols vivaient dans un pays coupé en deux. La fédération espagnole, républicaine, s'était installée à Barcelone, tandis qu'une nouvelle fédération, nationaliste, vit le jour à Saint-Sébastien. Si les régimes nazi et fasciste soutenaient la fédération de Saint-Sébastien, la FIFA joua la prudence et refusa toute participation à l'équipe d'Espagne. De son côté, l'URSS s'était mise hors-jeu volontairement. Méprisant le sport bourgeois, les Soviétiques privilégiaient l'Internationale du sport communiste et refusèrent donc de participer à la Coupe du monde. Ainsi, l'Allemagne et la Suède se qualifièrent dans un groupe totalement déséquilibré qui comptait aussi l'Estonie et la Finlande, la Norvège disposa de l'Irlande, la Pologne de la Yougoslavie, la Roumanie bénéficia du forfait de l'Egypte tandis que la Suisse se qualifiait aux dépens du Portugal et que la Hongrie écrasait la Grèce 11 buts à 1, une équipe de Grèce qui s'était qualifié en battant au tour précédent l'équipe de la Palestine encore sous mandat britannique. Pour finir, la Tchécoslovaquie, finaliste en 1934, élimina la Bulgarie, l'Autriche se qualifia en battant la Lettonie à Vienne (au tour précédent, la Lettonie avait éliminé la Lituanie), et la Belgique et les Pays-Bas se qualifièrent dans un groupe à trois qui comptait aussi le Luxembourg...

Jules Rimet, dont le rêve pour le football était l'apolitisme et la promotion du pacifisme, obtint d'organiser le tirage au sort dans le fameux salon de l'horloge du Quai d'Orsay. Là où avait été signé le pacte Briand-Kellogg, en 1928, qui mettait la guerre hors-la-loi ! C'est d'ailleurs le petit-fils du président de la FIFA et de la FFFA, le jeune Yves Rimet (10 ans), qui fit le tirage. Il désigna les huit têtes de série ainsi que leurs opposants.

Voici le programme des huitièmes de finale (5 juin) :

Allemagne-Suisse à Paris (match d'ouverture le 4 juin).

France-Belgique à Paris.

Hongrie-Indes néerlandaises à Reims.

Cuba-Roumanie à Toulouse.

Italie-Norvège à Marseille.

Brésil-Pologne à Strasbourg.

Pays-Bas-Tchécoslovaquie au Havre.

La politique s'invite dans le football : les cas italien et allemand.

L'Italie disposait de la meilleure équipe du monde. Champions du monde en 1934 et champions olympiques en 1936, les Italiens, on l'a vu, furent automatiquement qualifiés pour la compétition. Véritable porte-drapeau du régime fasciste, la Nazionale permettait d'augmenter le prestige de Mussolini et de l'Italie. Quoique les relations entre la France et l'Italie s'étaient tendues à partir de 1935 (condamnation par la France, à la SDN, de l'invasion de l'Ethiopie) et que les Français étaient au courant des volontés italiennes de politiser à outrance les manifestations sportives internationales, les relations entre la FFFA et la FIGC restaient bonnes comme en témoigne l'organisation de matchs amicaux entre les deux sélections, à Paris en décembre 1937 puis à Naples un an plus tard. Peut-être le gouvernement français et la FFFA n'avaient-ils pas pris toute la dimension de l'importance accordée à l'événement par les journalistes et le pouvoir transalpins. En effet, à l'époque, le cyclisme passionnait les foules bien plus que le football et l'équipe de France ne pouvait prétendre jouer un rôle majeur sur la scène mondiale (au contraire de l'équipe d'Italie).

L'Allemagne faisait aussi partie des favoris. Demi-finalistes en 1934, les Allemands bénéficiaient de l'appui des joueurs autrichiens, eux aussi demi-finalistes en 1934. A l'image des gouvernements occidentaux, et fidèle à sa logique de « dénégation du politique », la FIFA avait en effet ratifié sans difficulté l'Anschluss de mars 1938 qui enterrait définitivement le célèbre Wunderteam et empêchait sa vedette Matthias Sindelar d'exprimer son talent sur les pelouses de France. Ainsi, bien que le régime nazi fixa un quota à l'intégration des joueurs de l'Ostmark (cinq « Autrichiens » maximum sur le terrain), l'équipe du Reich était, sur le papier, une des plus fameuses formations du continent. A l'image de l'Italie fasciste, l'Allemagne nazie accordait une grande importance au prestige sportif et entendait subvertir l'ordre politique en subvertissant d'abord l'ordre sportif et en l'utilisant comme un cheval de Troie pour prouver la faiblesse des « ploutocraties » occidentales. L'organe officiel du parti nazi, le Völkischer Beobachter, dépêcha même des journalistes en France. Malgré les avertissements de l'ambassadeur de France à Berlin, André François-Poncet, les démocraties occidentales ne prirent pas conscience du danger nazi qui exaltait le nationalisme et le « fanatisme » des Allemands à travers le sport. En témoigne cet incroyable match de football, disputé le 14 mai 1938 (deux mois après l'Anschluss) au stade olympique de Berlin, au début duquel, alors qu'on jouait l'hymne allemand, les footballeurs anglais, à la demande des plus hautes autorités politiques et sportives du Royaume-Uni, adressèrent le salut hitlérien aux dignitaires nazis présents ! S'ils remportèrent la confrontation sportive (6 buts à 3), les Britanniques s'inclinèrent lamentablement sur le terrain politique et diplomatique. Et ce n'était qu'un début !

L'Italie dans la Coupe du monde.

Le 4 juin à 17 heures, la Coupe du monde commença par un salut hitlérien au Parc des Princes. Les Allemands étaient opposés aux Suisses. Mais les joueurs sélectionnés par Sepp Herberger furent incapables de faire sauter le verrou : les deux équipes se séparèrent sur un match nul 1-1 après la prolongation. Cinq jours plus tard, le match fut rejoué. Menant 2-0 après 22 minutes, les Allemands furent finalement défaits 2-4.

Le 5 juin, à Marseille, le champion du monde en titre défia une modeste équipe norvégienne composée d'amateurs à court de compétition. Malgré un public hostile formé d'immigrants antifascistes et de Français favorables aux Norvégiens, la Nazionale se qualifia pour le tour suivant. Elle dut cependant recourir à la prolongation et bénéficia probablement d'un coup de pouce de l'arbitre allemand (2-1).

Dans le même temps, la France écartait, non sans mal, une valeureuse équipe de Belgique (3-1). Cette victoire permettait de concrétiser le match tant attendu et tant fantasmé de cette Coupe du monde : France-Italie à Colombes, l'hôte contre le tenant ! Si la rencontre avait surtout une teneur sportive pour les Français, elle revêtait une importance tout autre pour les fascistes qui voulaient prouver leur supériorité par rapport aux démocraties libérales. De part et d'autre, tous les espoirs étaient permis puisque l'équipe de France avait réussi à tenir en échec les maîtres italiens le 5 décembre 1937 au Parc des Princes (0-0). Certes, il avait fallu un Laurent Di Lorto en état de grâce...

En fait de football, de match il n'y en eut pas. Volontaires mais terriblement limités, les Français furent éliminés sans les honneurs (1-3). Mais le match se déroula en réalité sur un tout autre terrain. En effet, au moment de l'entrée des équipes, les Italiens apparurent tout de noir vêtus ! Maillot, short et chaussettes. Le noir, ne l'oublions pas, c'est la couleur traditionnelle du fascisme. Les « chemises noires ». Ce n'était plus une équipe de football, c'était une parade fasciste, la Marche sur Rome en plein Stade Yves du Manoir, rempli de plus de 58 000 spectateurs qui huèrent les joueurs transalpins et lancèrent des cailloux dans les filets d'Aldo Olivieri !

Rescapés de la « bataille de Bordeaux » (trois expulsés lors de Brésil-Tchécoslovaquie, match d'ailleurs rejoué puisque nul 1-1), les Brésiliens se virent opposés aux Italiens en demi-finale. La rencontre eut lieu une nouvelle fois à Marseille. Et, une nouvelle fois, l'hymne fasciste fut copieusement hué. Mais les Italiens l'emportèrent 2-1, face à des Sud-Américains fatigués et présomptueux (Leonidas et Tim laissés au repos en vue de la finale mais surtout, avant le match, les Brésiliens prétendirent racheter aux Italiens les places que ceux-ci avaient réservé dans l'avion en partance pour Paris le lendemain !).

En finale, le 19 juin, les Italiens retrouvèrent les Hongrois, faciles vainqueurs de leurs confrontations précédentes : 6-0 contre les Indes néerlandaises, 2-0 contre la Suisse et 5-1 contre la Suède ! Sûrs de leurs forces, les coéquipiers de Giuseppe Meazza ne firent qu'une bouchée des Magyars (4 buts à 2). Présent pour l'occasion, le président de la République Albert Lebrun salua les vingt-deux joueurs avant le début de la rencontre. Au moment de récupérer le trophée mondial des mains du président français tout sourire, le capitaine de la Nazionale, membre éminent de l'Ambrosiana-Inter, adressa au vieil homme (67 ans) un vigoureux salut fasciste ! Scène irréelle, qu'on peut rétrospectivement voir comme annonçant la déroute des démocraties européennes face aux dictatures. Scène délirante, qui prêta lieu à des caricatures et des commentaires hystériques, la Gazzetta dello sport voyant dans la victoire des joueurs de Vittorio Pozzo une « apothéose du sport fasciste au stade de Paris ».

Conclusion.

Une question revient, lancinante, surtout au regard des provocations ouvertes et tant de fois répétées : pourquoi une telle tolérance ? Si l'ambiance pacifiste de l'époque et « la politique de l'apolitisme » (Jacques Defrance) conduite par la FIFA et la FFFA ne sont pas étrangères à cette apathie, il ne faut pas non plus négliger, de la part d'une partie des élites françaises et britanniques, une indubitable sympathie (voire, parfois, admiration) pour les régimes d'ordre italiens et allemands. Ainsi, dans un article intitulé « Comment s'en sortir » (Miroir des Sports du 9 septembre 1938), Gabriel Hanot prenait l'Italie et l'Allemagne en exemples : « L'Etat se désintéresse du sport contrairement aux pays totalitaires où le sport est une institution nationale, une démonstration de racisme régénérateur, un moyen de propagande ».

Au total, si la Coupe du monde 1938 n'annonçait pas la guerre (les footballeurs français se déplacèrent à Naples en décembre 1938 et des sportifs français participèrent à une rencontre d'athlétisme à Munich en juillet 1939) ni ne figeait les équilibres politiques à l'aune des résultats sportifs (l'Italie s'effaça progressivement devant l'Allemagne), il est indubitable qu'elle fut partiellement transformée en tribune de propagande par les régimes nazi et, surtout, fasciste. Succès populaire (plus de 20 000 spectateurs en moyenne) et financier (plus de 5 000 000 de francs de bénéfices), la Coupe du monde 1938 participa aussi, un temps, à renforcer le prestige de la France. Prestige qui se noya très vite, trop vite, dans les tempêtes des années suivantes.
Puisque Polstergeist évoque plaisamment « cette horde de hooligans péruviens armée de flûtes de pan », je ne résiste pas à l’envie de citer Lucien Dubech, journaliste à L’Auto et à L’Action Française, que j’avais déjà rencontré lors de mes recherches sur August Jordan. Comme son maître Charles Maurras, Dubech est bien peu partisan du topos coubertinien voulant que le sport promeuve l’amitié entre les nations, voire participe à effacer les nationalismes.

Ainsi, en page 4 de L’Auto du 15 août 1936, écrit-il à propos de Pérou-Autriche : « Je sais bien que les Jeux Olympiques ont été créés tout exprès pour entretenir les rapports de bonne amitié entre les peuples. Je me permettrai respectueusement de faire observer que les incidents de frontière entre le Pérou et l’Autriche avaient été jusqu’à ce jour assez rares. Pour la suite, les Autrichiens ont battu les Polonais, de sorte que ce sont eux qui rencontreront les Italiens dans la finale. On doit donc en conclure que, sans l’incident, c’est aux irascibles Péruviens que fût revenu cet honneur ; et une finale Italie-Pérou n’eût pas manqué, je crois, d’être animée et pittoresque. Sans compter qu’il eût été savoureux de voir le Pérou succéder à l’Uruguay au palmarès olympique. »
Merci à vous deux pour vos éclairages passionnants et instructifs !
D'ailleurs Bobby, je voulais te poser la question depuis un moment : d'où sont issus tes textes ? Tu les as écrits pour un livre paru depuis, un article, un mémoire, une thèse ?
Sinon pour répondre à ta question, non je n'ai jamais vécu au Pérou. J'ai un peu traîné mes guêtres en Amérique du Sud (Pérou, Colombie, Venezuela) et centrale (Guatemala, Honduras) à diverses occasions et plus ou moins longuement, du coup j'y ai gardé des contacts et des amis, en plus d'un intérêt particulier pour ce continent. Mais j'y étais à chaque fois en "touriste", je n'y ai pas vécu.
Je reprends la publication de documents sur Pérou-Autriche 1936.

Le 27 août 1936, en page 6 de L’Auto, Maurice Pefferkorn revient sur « l’incident Pérou-Autriche » : « Le modeste Tournoi olympique de Berlin aura tout de même échappé à l’indifférence générale, grâce aux quelques surprises qui attirèrent obligatoirement l’attention sur lui, mais grâce aussi à l’incident du match Pérou-Autriche qui a permis d’augmenter d’une sentence la jurisprudence sportive.
Rappelons les faits en quelques mots : au cours de la rencontre Autriche-Pérou, quelques spectateurs envahirent le terrain, invectivèrent les joueurs autrichiens et les frappèrent même. On a dit que ces spectateurs étaient des Péruviens indignés. Mais cela ne paraît pas très nettement établi. Ce pouvaient être tout aussi bien des Sud-Américains fraternels, car lorsque les Sud-Américains se trouvent en Europe, ils constituent soudain une grande famille solidaire.
Quoiqu’il en soit le match put se terminer. Le Pérou gagna par 4 buts à 2. Mais l’Autriche déposa une réclamation qui fut examinée par le Comité technique de la Fifa. Ce comité décida que le match ne s’était pas déroulé dans des conditions normales et ordonna qu’il fut rejoué. Le Pérou s’y refusa et l’Autriche gagna par forfait.
Nous pensons que l’événement est ainsi exactement relaté. Que faut-il dès lors penser de la décision de la Fifa qui est de nature à créer un précédent ? Il est certain que, puisqu’il y eut envahissement du terrain et altercation entre quelques spectateurs et les joueurs d’un des camps en présence, le match ne fut pas disputé dans des conditions de parfaite régularité.
D’autre part, le Pérou déclara que son équipe n’avait rien à se reprocher, qu’elle n’avait commis aucune faute, qu’elle n’était responsable de rien et qu’il était injuste par conséquent de la priver du bénéfice de la victoire en déclarant que le match sera rejoué.
Et voilà un cas bien embarrassant pour la Fédération. Obligée de mécontenter, disons même de léser un des deux adversaires, elle choisit la solution la plus proche de l’équité. Elle donna le match à rejouer.
1e L’arbitre aurait bien dû, semble-t-il, arrêter le match dès qu’il constata que des spectateurs envahissaient le terrain. En ne le faisant pas, il convenait implicitement que cette intervention ne compromettait pas la régularité de la rencontre. Le comité technique en a jugé autrement : il a donc déjugé l’arbitre et blâmé sa décision d’avoir laissé le match se continuer. Faut-il conclure de là que les arbitres doivent interrompre les matchs dès qu’il y a envahissement du terrain ?
Remarquons d’ailleurs qu’il s’agit là d’un incident survenant sur terrain neutre. Lorsque pareils événements se produisent sur le terrain d’un des adversaires, l’envahissement est mis automatiquement au compte du club qui reçoit et qui de ce fait a match perdu.
Bref, il nous semble que se pose nettement la question suivante :
- Que doit faire, sur terrain neutre, l’arbitre dès que le terrain est envahi ?
2e Si la responsabilité de l’envahissement du terrain de Berlin n’incombe ni au Pérou, ni à l’Autriche, quel en est le responsable ? C’est, de toute évidence l’organisateur de la rencontre. La FIFA ne semble guère s’être appesantie sur la question. C’est elle qui est moralement responsable. Mais elle n’organise, à proprement parler, rien par elle-même. Elle délègue ses pouvoirs aux fédérations affiliées, en l’espèce à la fédération allemande qui a donc à se reprocher une organisation insuffisante.
3e Il semble tout de même bien probable que l’envahissement du terrain soit dû à des spectateurs péruviens ou sud-américains. La passion pour le football est vive en Amérique du Sud, on le sait déjà. L’enthousiasme et l’indignation des partisans dépassent souvent les bornes. Ce sont là des fautes graves contre l’esprit sportif. La sentence de Berlin comporte à ce point de vue un enseignement qui ne sera pas perdu. On veut le croire du moins. »
Message posté par Alain Proviste
Merci à vous deux pour vos éclairages passionnants et instructifs !
D'ailleurs Bobby, je voulais te poser la question depuis un moment : d'où sont issus tes textes ? Tu les as écrits pour un livre paru depuis, un article, un mémoire, une thèse ?
Sinon pour répondre à ta question, non je n'ai jamais vécu au Pérou. J'ai un peu traîné mes guêtres en Amérique du Sud (Pérou, Colombie, Venezuela) et centrale (Guatemala, Honduras) à diverses occasions et plus ou moins longuement, du coup j'y ai gardé des contacts et des amis, en plus d'un intérêt particulier pour ce continent. Mais j'y étais à chaque fois en "touriste", je n'y ai pas vécu.


Alain,

Navré de répondre si tardivement. Chouette carnet de voyages, que le tien ! Et j'imagine que ces voyages furent aussi l'occasion d'assister à quelques belles parties de football ?

Mes p'tits textes ne sont pas grand-chose. Disons que j'aime le sport et l'histoire. Je pratique le premier à un niveau on-ne-peut-plus faible (un peu de foot et surtout du vélo) et j'ai pu faire de la seconde mon métier. Alors, je n'hésite pas à croiser mes passions. Il y a quelques années, je m'étais amusé, essentiellement à partir de sources secondaires, à produire quelques p'tits textes que j'avais publiés sur Sportvox puis Solavanco. Désormais, j'ai migré par ici. Mais je n'écris presque plus, plus par fainéantise que par manque de temps. Ou manque d'envie... Mais cela reviendra sans doute !
@Bobbysanno, bienvenue au club alors, c'est un peu pareil pour ma part.
Pour la petite histoire, j'avais juste commencé à écrire quelques portraits de joueurs sud-américains que je trouvais injustement absent du top 100 "ils ont marqué le foot sud-américain" de So Foot. Au départ, je m'étais donc limité à ces quelques joueurs (du genre Junior, Careca, Clodoaldo, Caniggia, Houseman, Perfumo, Pedro Rocha, Miguez, Cesar Cueto, "Lolo" Fernandez, Hormazabal, Andrés Escobar, Romerito, etc...) et je comptais simplement les poster dans un com sur l'un des derniers articles du top Amsud de So Foot. Mais finalement, je me suis pris au jeu et je suis parti sur des portraits de tous les joueurs que je verrais présents dans un top 50 ou 100 de leur propre pays. J'en ai donc écrit une petite centaine pour l'instant - que je distille de temps en temps dans les commentaires sur le site, au gré des articles - et j'en ai quasiment le même nombre encore au programme (je me suis fait une liste pays par pays).
Je l'ai fait pour moi et pour les quelques forumeurs qui m'avaient dit être intéressés ici. Du coup, ce n'est enregistré que sur un simple doc word sur mon PC... Mais je commence à me demander si je ne devrais pas essayer de trouver un endroit où les publier, que ce soit "gratuitement" sur un site ou un blog, ou carrément sous forme de pige dans un article, dossier ou autre (après tout, c'est mon taf, je suis journaliste).
Bon les amis, on est d'accords pour dire que la seule révolution réussie, qui a abouti à un régime meilleur que le précédent dès son début quel que soit la suite, c'est la Commune.
Message posté par TheDuke8
Bon les amis, on est d'accords pour dire que la seule révolution réussie, qui a abouti à un régime meilleur que le précédent dès son début quel que soit la suite, c'est la Commune.


Message posté par TheDuke8
Bon les amis, on est d'accords pour dire que la seule révolution réussie, qui a abouti à un régime meilleur que le précédent dès son début quel que soit la suite, c'est la Commune.


Ma foi, c'est quand même assez difficile d'être aussi catégorique sur la Commune avec seulement 2 mois d'existence
Message posté par TheDuke8
Bon les amis, on est d'accords pour dire que la seule révolution réussie, qui a abouti à un régime meilleur que le précédent dès son début quel que soit la suite, c'est la Commune.


C'était pas si mal, les débuts de la Deuxième République, non ?

Et, au passage, la Commune (de Paris) meilleur régime politique que quel précédent ? L'Empire ? Ou bien cette République boîteuse avec une Assemblée nationale monarchiste ?
Message posté par Xixon
Ma foi, c'est quand même assez difficile d'être aussi catégorique sur la Commune avec seulement 2 mois d'existence


Ce sont les limites de la question mais je précisais, dans l'immédiat, qu'importe la durée.

Message posté par bobbysanno
C'était pas si mal, les débuts de la Deuxième République, non ?

Et, au passage, la Commune (de Paris) meilleur régime politique que quel précédent ? L'Empire ? Ou bien cette République boîteuse avec une Assemblée nationale monarchiste ?


Ben oui.
Je me permets de poster à nouveau l'ensemble de mes messages d'hier et d'aujourd'hui sur la question des tournois de football des Jeux des années 1920, sans modification.

A Anvers, pas plus qu'à Paris ou à Amsterdam, la FIFA n'organisa (ou co-organisa) à proprement parler le tournoi de football.
A chque fois, les rapports officiels mentionnent que c'est le Comité olympique national (belge, français, néerlandais en l'occurrence) qui est reponsable de l'ensemble de l'organisation des Jeux : page 41 pour 1920 ; 75 pour 1924 ; 66 pour 1928.
En revanche, les rapports officiels mentionnent à chaque fois que ce sont les règles de la FIFA qui s'appliquent : page 45 pour 1920 ; page 76 pour 1924 ; page 70 pour 1928.
Or, la FIFA avait statué en 1914 (congrès de Christiana) : "The International Federation will recognise the Olympic Football Contests as the Amateur Championship of the World of Association Football if they are carried out in conformity with the rules and wishes of the Federation."
Donc, comme les tournois de football de 1920, 24 et 28 respectent les règles de la FIFA, les vainqueurs sont désignés par la FIFA "champions du monde amateurs".
Mais, dans les faits, les suiveurs du football ne s'y trompent guère. Il s'agit d'un véritable titre de champion du monde, et pas seulement amateur ! En témoignent L'Auto des 10 juin 1924 et 14 juin 1928 :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4684622b/f1.item
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k … r=football
Mais, dans L'Auto du 3 septembre 1920, pas de mention de titre de champion du monde pour les Belges : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k … r=football
Si vous trouvez dans les archives belges (ou autres) une mention de titre de champion du monde pour les Belges, je suis vivement preneur !

"Dans l'absolu, c'est comme si l'Uruguay avait remporté les 3 premières coupes du monde d'affilée de 1924 à 1930."
C'est le cas ! Indubitablement.
Pour celle de 1920, on peut ergoter pour la raison que je note au-dessus (absence de réelle consécration du titre de champion du monde à l'époque) et parce que, contrairement à ce que dit Lalanne, le tournoi n'incluait pas toutes les meilleures équipes du monde : en fait, il n'y avait que des équipes européennes, hormis l'Egypte encore sous protectorat britannique. Il manquait les Sud-Américains, bon sang ! Et même pour l'Europe, les vaincus de la Grande Guerre n'avaient pas été invités.

Evidemment, Le Miroir des Sports du 9 septembre 1920... Je le connaissais en plus !
En l'espèce, Eroldir, je me fierais plus certainement à un "journal d'illustrations photographiques" spécialisé dans le sport qu'à un "journal d'information et/ou d'investigation". En effet, au contraire de la presse sportive, la presse généraliste française des années 1920 parle de titre olympique et non de titre mondial pour l'Uruguay en 1924 et 1928. Où est l'ignorance ?

Eroldir, tu émets beaucoup d'hypothèses mais avance bien peu de faits pour les étayer.
Pourquoi le contexte aurait-il "forcément changé" entre 1914 et 1919 ?
En fait, peut-être sans le savoir, tout ton développement semble se baser sur "Histoire merveilleuse de la Coupe du monde" de Jules Rimet, un livre publié de manière très postérieure aux événements (1954) et dont l'objectif est clair : célébrer Jules Rimet et sa "création", donc rabaisser le prestige des JO précédant la "première Coupe du monde" de 1930. Donc un témoignage à prendre avec de très grosses princettes !

Et, au passage, Rimet n'est pas président de la FIFA en 1919. Il est président de la FFFA en 1919, président provisoire de la FIFA en 1920 et président de la FIFA en 1921.

Ainsi Rimet mentionne-t-il, page 25, qu'après-guerre "l'idée d'accepter le tournoi olympique comme championnat du monde de football était abandonnée", et pas seulement pour le tournoi d'Anvers, mais aussi pour ceux de Paris et d'Amsterdam.

Pourtant l'implication de la FIFA dans l'organisation (je vais y revenir) de ceux de Paris et d'Amsterdam est patente. Cela, Rimet le cache sous le tapis !
De la même façon, il proclame, page 21 et sans prendre la peine de se justifier, que dès 1914 "les événements tragiques [...] qui suivirent de près la fin du congrès" de Christiana "firent complètement oublier" la décision de consacrer les tournois olympiques à venir comme "championnat du monde amateur".

Bref, pour paraphraser Nicole Loraux, Rimet n'est pas un collègue !
On ne peut pas prendre son témoignage au pied de la lettre, comme s'il s'agissait d'un bouquin écrit par un historien. C'est un témoignage fort important, mais fort postérieur aux événements et fort orienté, qui doit donc être rigoureusement critiqué.

Je reviens sur l'implication (ou non) de la FIFA dans les tournois olympiques de l'entre-deux-guerres.
J'ai fait une lecture trop rapide des rapports officiels hier soir. En effet, en 24 et 28, la FIFA est clairement impliquée dans l'organisation technique des tournois (jury d'appel, officiels, arbitres, etc.). Voir ainsi page 315 pour 1924 et pages 340 à 342 pour 1928.
En 1920, si ses règles sont appliqués, elle n'apparaît pas spécifiquement pour l'organisation technique du tournoi. Néanmoins, notons que le rapport officiel de 1920 est nettement moins fourni que ceux de 1924 et 1928 : respectivement, 179, 853 et 1013 pages !
Ainsi, dans les rapports officiels de 24 et 28, sont mentionnés les noms des officiels, des membres du jury d'appel, de l'ensemble des joueurs, etc. Rien de tout cela dans le rapport officiel de 1920. Et pourtant, il y avait bien des joueurs, des officiels, des arbitres, etc. Non ? Alors, la FIFA était-elle partie prenante de l'organisation en 1920 et n'apparaît-elle pas parce que le rapport officiel est peu fourni et dès lors il ne s'agit que d'une omission, ou bien, tout simplement, ne participait-elle pas à l'organisation ?
Pour toute cette période 1919-1922, la documentation est famélique.
Voulant m'intéresser à l'élection de Rimet à la FIFA, j'avais questionné Dietschy (très bon connaisseur des archives FIFA) mais il répondait que la documentation est effectivement lacunaire et ne permet pas une étude satisfaisante des événements de la période.
Le rapport officiel des Jeux d'Anvers en est une très bonne illustration.

Rimet est président de la FFFA en 1919, de la toute nouvelle fédération française, pas de la FIFA.
Plus globalement, qu'on prenne en compte le contexte de l'époque, OK, mais qu'on s'en serve pour évacuer la documentation, je ne vois pas comment c'est possible. La prise en compte du contexte permet de nuancer, de comprendre la documentation, pas de s'en débarrasser.
Hormis "Histoire merveilleuse de la Coupe du monde", rien n'indique que la décision de Christiana était tombée à l'eau en 14, en 19 ou en 20. Je veux bien qu'on invoque le contexte, comme le fait Rimet, mais c'est un peu une pétition de principe, non ? Que le contexte ait changé, oui, mais que cela ait influé sur les décisions de la FIFA et du CIO, encore faut-il le démontrer, non ?
Bref, de "véritable avis", je n'en ai pas sur les Jeux d'Anvers. Néanmoins, que la FIFA organisât ou non les tournois de football des Jeux d'Anvers, de Paris et d'Amsterdam, la vocation des Jeux était toujours la même : sacrer les meilleurs sportifs du monde. Par essence, les Jeux sont des championnats du monde, dans toutes les disciplines.
Ce qui me chagrine le plus à Anvers, c'est qu'il n'y a que des sélections européennes (sauf l'Egypte sous protectorat britannique). Championnat d'Europe ? Championnat du monde ? Reconnu par la FIFA ou pas ? Je ne sais pas et espère pouvoir continuer d'explorer la question.

Je crois que le problème est surtout Rimet et son "Histoire merveilleuse de la Coupe du monde". Autant l'abondance de la documentation à partir de 1923 a permis de montrer que le président de la FIFA et de la FFFA avait une fâcheuse tendance à déformer (volontairement et/ou involontairement) les faits, autant la rareté de la documentation pour la période immédiatement post-Grande Guerre empêche de vérifier ses dires. J'en avais parlé avec Dietschy : impossible de travailler sérieusement sur son élection à la tête de la FIFA.
Rimet était-il, parfois, foncièrement malhonnête ou bien ses souvenirs étaient-ils tout simplement déformés, comme c'est souvent le cas avec les témoignages ? Rappelons qu'il publie "Histoire merveilleuse de la Coupe du monde" en 1954... 40 ans après Christiana ! 34 ans après Anvers ! 26 ans après Amsterdam !
Sinon, je suis tombé sur un article qui parle du football Soviétique que je vous partage ici. Il se peut même que pour certains vous l'ayez déjà lu ou que vous avez des connaissances sur le sujet.

Le Dynamo Moscou : histoire d’un géant du football soviétique


Dès la fin du XIXème siècle, le football apparaît en Russie, apporté par des marins et industriels anglais dans le port de Saint-Pétersbourg. Très vite, la passion de ce sport s’empare des populations et Moscou s’impose rapidement comme la capitale du football soviétique. Face à cet engouement populaire, les dirigeants tentent alors de mettre la main dessus et de contrôler la passion autour du ballon rond. L’histoire du football soviétique est donc celle d’un match entre le Kremlin et ses peuples. Une équipe va néanmoins marquer les esprits dans ces premières années. Plus vieux club russe, le Dynamo Moscou fait partie des monuments du football Est-européen. Celui-ci va dominer les trois premières décennies du foot soviétique et appartient encore à l’élite du football russe. Retour sur le glorieux passé d’un club, désormais « maudit », à l’époque soviétique où le sport était bien plus qu’un loisir en URSS, mais une question d’honneur national.


Tout à l’origine, le Dynamo Moscou est fondé par des Anglais : les frères Charnock, grands protagonistes de l’arrivée du football en Russie, dans la dernière décennie du XIXème siècle. Ces producteurs de tissus appellent tout d’abord leur équipe Orekhovo Sport Club. Cette dernière est rebâtie le 18 avril 1923 en tant que section footballistique de la nouvelle société sportive Dynamo. Celle-ci est l’association sportive omnisports par excellence de l’Union soviétique. Elle fut créée par le ministère de l’Intérieur sous l’impulsion de Félix Dzerjinski, chef de la Tchéka (l’ancêtre du KGB) : la police politique soviétique de l’époque. L’objectif est de permettre aux membres des divers services de sécurité et milices, ainsi qu’à d’autres fonctionnaires tels que les collecteurs d’impôts, de pratiquer le sport afin de maintenir une bonne condition physique.


Le Dynamo, une affaire d’Etat


Dès sa fondation, le Dynamo n’est pas promis à un grand soutien populaire. Nombreux sont les athlètes qui proviennent de la police politique qui exercent d’autres professions impopulaires. Le nom de « Dynamo » est censé véhiculer une image novatrice et sportive de la politique en place. Le tout nouveau Dynamo est appelé à devenir le fleuron du système éducatif et sportif de l’Union Soviétique. Un gros travail est donc fait à travers le sport auprès des jeunes afin de promouvoir les carrières dans l’armée ainsi que dans les services de renseignement. « C’est un véritable instrument de pouvoir pour les dirigeants de la police politique comme moyen de reconnaissance et d’autorité. A travers le sport, le Dynamo, tout comme l’ensemble des Sociétés sportives qui composaient ce système, avait l’objectif d’insuffler une appartenance à un pan de l’Etat. C’est un moyen de faire carrière et de représenter l’organe de l’Etat le plus redouté du pays. » précise @FootRusse, compte de football dédié au football russe sur Twitter. Des clubs omnisports Dynamo fleurissent partout en URSS et on compte alors en 1929 plus de 200 clubs Dynamo, parmi eux les plus connus : le Dynamo Moscou et le Dynamo Kiev. C’est pourquoi des clubs mythiques vont écrire leurs légendes notamment par leurs rivalités avec les autres clubs tels les Spartak, Zenit, CSKA et autres Lokomotiv. Mais ces rivalités coûtent cher au pouvoir soviétique en raison de la forte concurrence entre l’armée et la police politique. Les budgets ne cessent d’exploser afin d’attirer les meilleurs athlètes au sein d’un camp ou d’un autre. Les coûts importants de fonctionnement et de maintenance des installations sportives poussent les Soviétiques à s’interroger sur la pérennité de la société Dynamo. Le pouvoir en place y voit finalement une utilité et sauve de justesse ce programme qui connait finalement un succès partout en Europe de l’Est.


Les premiers joueurs de la nouvelle équipe de football proviennent de plusieurs clubs moscovites dissouts pour laisser place au Dynamo. Le plus notable est le Sokolniki Moscou dont l’un des anciens joueurs, Fiodor Tchoulkov, se voit confier le recrutement des joueurs et ramène donc avec lui plusieurs de ses coéquipiers. Le premier match de l’histoire du Dynamo Moscou se joue par ailleurs exclusivement avec des joueurs de l’ancien Sokolniki. Peu après la création du club, la construction du stade Dynamo est entamée pour s’achever en août 1928.


Le Dynamo intègre à partir de 1924 le championnat de Moscou et termine quatrième pour sa première saison. Dès ses premières années, l’équipe se démarque par sa force offensive avec notamment les attaquants Sergueï Ivanov, Vassili Pavlov ou encore Valentin Prokofiev et Vassili Smirnov. En 1928, le club remporte son premier championnat de Moscou. Il termine à nouveau champion à quatre autres reprises en automne 1930, 1931, 1934 et au printemps 1935.


Entre nouveau championnat et guerre : des débuts particulièrement prometteurs


La première division soviétique est créée au printemps 1936. Le Dynamo fait partie des sept équipes fondatrices qui participent à la première édition de la compétition. Comptant alors dans ses rangs des joueurs tels que Mikhaïl Semitchastny, Sergueï Iline et Mikhail Yakushin, l’équipe écrase le championnat printanier, en remportant les six matches prévus pour l’occasion. Elle remporte ainsi le tout premier titre de champion d’Union soviétique de l’histoire, devant le Dynamo Kiev. Le championnat d’automne voit ensuite le Dynamo Moscou échouer à conserver son titre, qui finit deuxième, juste derrière le Spartak Moscou. L’année suivante, le championnat se joue désormais sur une année (et non plus en deux fois avec les éditions du printemps et de l’automne) et le Dynamo réalise le doublé Coupe-Championnat. Les saisons d’avant-guerre sont, de manière générale, marquées par une forte rivalité entre le Dynamo et le Spartak, équipes avec trois titres de champion chacun. Alors que le Spartak remporte deux coupes nationales entre 1936 et 1940, le Dynamo en remporte, de son côté, qu’une seule. Hors des terrains, cette rivalité prend une autre dimension sous l’influence de Lavrenti Beria, directeur du NKVD à partir de 1938 et grand soutien des équipes associées à la société Dynamo. Tout est mis en oeuvre pour gagner et celui-ci met en place plusieurs actions pour limiter les succès et la popularité du Spartak, allant de matches rejoués à plusieurs tentatives d’arrestations des frères Starostine (les fondateurs du Spartak) qui finissent par aboutir en 1942 à une sentence de dix années en camp de travail. Nikolaï Starostin, l’un des meilleurs joueurs des années 30 et qui évolue au Spartak Moscou, est envoyé dix ans au Goulag.


En 1940, l’équipe, renforcée notamment par les arrivées de Vassili Trofimov, Sergueï Soloviov et Vsevolod Blinkov, parvient à remporter son troisième championnat à l’issue de la saison. Sergei Soloviov est, d’ailleurs, encore à ce jour le meilleur buteur de l’histoire du club. Malgré le fait qu’il n’y avait pas de compétition internationale pendant la guerre, il atteindra à la fin de sa carrière en 1952, les 135 buts. Un record toujours imbattu aujourd’hui. L’équipe se classe par ailleurs première du championnat en 1941, qui n’est cependant pas achevé en raison de la Seconde Guerre mondiale.

Les héros du ballon rond ne sont pas envoyés au front car les héros ne doivent pas mourir. Le rôle du sportif dans la propagande de guerre est jugé prépondérante pour le Kremlin. C’est pourquoi certains joueurs du Dynamo sont protégés. D’ailleurs à Moscou, et malgré la suspension du championnat national, on organise en avril 1942 un championnat de Moscou. Beria est à la manœuvre, une occasion pour lui de voir son Dynamo l’emporter alors que le Spartak n’a plus les armes pour rivaliser, depuis que plusieurs de leurs joueurs sont tombés au front et que les frères Starostine furent envoyés au Goulag. Le Dynamo peut donc créer ses propres « sportifs héros » selon l’expression du journaliste Igor Fein.


À la reprise de la compétition en 1945, le Dynamo, renforcé par l’arrivée notable de Konstantin Beskov et de son emblématique entraîneur Mikhail Yakushin, remporte le premier championnat d’après-guerre devant le CDKA Moscou (l’ancien nom du CSKA Moscou), club de l’armée, bien que ce dernier parvienne à remporter la coupe nationale lors de la finale opposant les deux équipes. Après la Seconde Guerre mondiale, l’heure est à la reconnaissance internationale. Quand il faut choisir une équipe soviétique pour faire une tournée au Royaume-Uni en 1945, le Dynamo est naturellement choisi, et devient le premier club soviétique à aller jouer des matches internationaux en dehors des frontières. « Comme c’était l’équipe de la police secrète, le Dynamo pouvait être envoyé à l’étranger pour une campagne de propagande », remarque dans le Moscow Times, Ronnie Kowalski, universitaire auteur d’un livre sur l’évènement. Le Dynamo remplit parfaitement son rôle : les joueurs distribuent des bouquets de fleurs à leurs adversaires au moment d’entrer sur le terrain, et la supériorité tactique et physique des Soviétiques leur permet de terminer invaincus. La tournée britannique se conclut par une victoire contre Cardiff City (10-1), une contre Arsenal (4-3) et deux matches nuls contre les Glasgow Rangers et Chelsea. Cette dernière équipe qui avait payé très cher pour acquérir les meilleurs joueurs du pays pour la rencontre.


Les années qui suivent voient le Dynamo et le CDKA s’opposer une concurrence en championnat jusqu’à la fin des années 1940. Celle-ci débouche sur cinq titres de champion entre 1946 et 1951 pour ce dernier tandis que le Dynamo termine vice-champion à quatre reprises sur cette même période. Le club remporte, toutefois, le championnat en 1949 avec un record que peu d’équipes réussiront à égaler, en marquant 104 buts pour une différence de but portée à +74. Il atteint par ailleurs deux nouvelles finales de coupe en 1949 et 1950, mais perdant chacune d’entre elle. Néanmoins, le plus grand reste à venir pour le Dynamo et c’est notamment durant le début de cette nouvelle décennie, que commence la carrière d’un certain Lev Yashin.
























Lev Yashin, un nouvel âge d’or et une renommée européenne

Le début des années 50 voit le Dynamo échouer à tirer parti de la disparition temporaire du CDSA (nouveau nom du CDKA) pour le gain du titre, tandis que le Spartak l’emporte en 1952 et 1953. L’équipe du CDSA est, en effet, affectée par une répression politique en 1952 et est dissoute sur ordre des autorités soviétiques en août 1952. Ses joueurs sont réaffectés vers d’autres équipes dont les meilleurs éléments… échouent au Dynamo. La principale raison évoquée pour cette décision est la performance décevante de la délégation soviétique de football lors des Jeux olympiques d’été de 1952, où la sélection composée en grande majorité de joueurs du CDSA est éliminée dès le premier tour par la Yougoslavie. Il est également suspecté que cette décision soit le fruit de pressions politiques, notamment de Lavrenti Beria, afin d’éliminer la concurrence du CDSA qui est alors le principal rival du Dynamo.

L’année 1953 voit le Dynamo remporter sa deuxième coupe nationale au détriment du Zénith Kouïbychev. À partir de 1954, l’équipe entraînée à nouveau par Mikhail Yakushin et se composant notamment de joueurs tels que Lev Yachine, Vladimir Iline, Boris Kuznetsov, connaît un nouvel âge d’or. Elle remporte le championnat à quatre reprises en 1954, 1955, 1957 et 1959. Une période faste, donc, qui s’explique par des moyens colossaux du club de la police, comme l’explique @FootRusse : « il faut voir les moyens considérables de la Société sportive grâce à l’appuie de la police politique. Que ce soit en terme d’infrastructures ou de possibilités d’acquérir les meilleurs joueurs, le Dynamo a profité de sa condition de club de la police secrète ». Et son gardien de l’époque illustre cette superpuissance du club.

Lev Yashin est considéré comme le gardien le plus fort de son temps et l’un des tous meilleurs de l’histoire du foot. Ses débuts pour le club en 1950 sont néanmoins compliqués, enchaînant les performances à demi-teinte dans les buts. Il est alors renvoyé dans l’équipe de hockey sur glace du Dynamo. C’est ici que le jeune portier russe finit par s’améliorer avant de s’imposer définitivement dans les cages de football en 1953… cages qu’il ne quittera plus pendant près de 17 ans. En effet, après ses bonnes performances aux cages de hockey, les dirigeants du Dynamo décident de lui redonner une chance dans l’équipe de football moscovite. Ses parades exceptionnelles et à sa tenue toute noire lui vaudront le surnom de « l’araignée noire ». L’homme est doté d’excellents réflexes et est capable de se relever immédiatement d’une parade puis de relancer rapidement vers ses coéquipiers. L’homme aux 150 penaltys arrêtés, d’après la légende, savait comment se préparer « Mon secret ? Avant un match, je fumais une cigarette pour me calmer les nerfs et buvais un verre de vodka pour tonifier mes muscles ».L’homme devient rapidement une icône de l’URSS à l’image de Gagarin, premier homme à être allé dans l’espace, qu’il n’hésite pas à citer : « La joie de voir Yuri Gagarin voler dans l’espace est seulement dépassée par la joie d’un bon arrêt de penalty » déclarera-t-il. Une légende citant une autre légende donc. Légendes grâce auxquelles Moscou peut briller et faire savoir au monde entier combien le pays est puissant. Sa présence au sein de l’équipe est donc porteur de renommée pour le Dynamo, seul club qu’il fréquente dans sa carrière. L’immense carrière de Lev Yashin atteint son apogée au cours de l’année 1963 avec, une saison à seulement 6 buts encaissés en championnat, un nouveau titre national avec le Dynamo Moscou et le Ballon d’or : l’unique gardien à l’avoir remporté.

Les années suivants cette période dorée sont plus difficiles pour le club dont les principaux acteurs quittent l’équipe ou arrivent au terme de leur carrière. C’est notamment le cas de Lev Yashin en 1971. Le Dynamo demeure néanmoins une équipe de haut de classement avec deux places de vice-champion en 1967 et 1970. Ces deux années s’accompagnent par ailleurs de victoires en Coupe. Cette dernière victoire permet alors au Dynamo de se qualifier pour sa première compétition européenne de son histoire en prenant part à la Coupe des coupes 1971-1972. Dirigée alors par Konstantin Beskov, l’équipe obtient un résultat historique pour le football soviétique. En l’emportant face aux Grecs de l’Olympiakos puis face aux Turcs d’Eskisehirspor, elle élimine par la suite l’Étoile rouge de Belgrade en quarts de finale avant de l’emporter aux tirs au but contre le Dynamo Berlin pour devenir la première équipe d’URSS accéder à une finale de coupe européenne, et ce dès sa première participation. La finale disputée à Barcelone au Camp Nou s’achève cependant par une défaite 3-2 des Soviétiques face aux Écossais des Glasgow Rangers.

Après ce parcours, l’équipe poursuit ses saisons inconstantes en championnat. Elle termine finalement première lors du championnat printanier de 1976, remportant ainsi son onzième et dernier titre de champion d’Union soviétique. Cette victoire est suivie l’année suivante d’une cinquième coupe nationale remportée face au Torpedo Moscou, lui permettant de participer à la Coupe des coupes 1977-1978 où le Dynamo connaît un nouveau parcours notable, échouant en demi-finale face à l’équipe autrichienne de l’Austria Vienne. Le début des années 1980 s’accompagne d’une période très difficile sportivement pour le Dynamo qui côtoie régulièrement le bas du classement entre 1980 et 1985. 1984 voit cependant le club remporter sa sixième et dernière coupe d’Union soviétique.

À la dissolution du championnat soviétique en 1991, le Dynamo se classe comme la troisième équipe la plus titrée du championnat avec onze titres de champion, derrière le Dynamo Kiev et le Spartak Moscou qui en comptent respectivement treize et douze. Elle se démarque par ailleurs comme étant la seule équipe à avoir pris part à l’intégralité des éditions de la première division soviétique. Il est également le troisième club ayant remporté le plus de coupes nationales avec six trophées. Toutefois, aujourd’hui, le Dynamo n’est plus à la hauteur de son illustre passé. Le club subit de plein fouet la chute de l’URSS et ne parvient plus à remporter un titre dans le championnat de Russie moderne. Entre changements de propriétaires, crises institutionnelles et sportives, telle sa première relégation en 2016, les résultats ne suivent plus et le Dynamo renvoie l’image d’un club « maudit ». Néanmoins, ce dernier envisage de redevenir l’un des clubs phares de Russie et de regagner des titres, en particulier celui d’un championnat qui lui échappe depuis plus de 40 ans maintenant. Malgré un stade ultra-moderne, il faudra être patient et c’est toujours en arrière que les fans regardent et attendent désespérément le retour au sommet d’un Dynamo où l’ombre du passé plane toujours.

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