
Rapidement, néanmoins, la seule dimension sportive n'est plus au centre de l'exposition : le FLN, son équipe de football et Rachid Mekhloufi se voient vite consacré un mur entier, parsemé de coupures de presse, de vidéos, de témoignages. Mi-avril 1958, de nombreux footballeurs algériens quittent la France pour évoluer avec le onze de l'indépendance. Dès la fin des années 1950, le football se politise dans le monde arabe, une caractéristique qui l’imprègne encore fortement aujourd’hui et qui se greffe à la majorité des sujets du parcours balisé par l'IMA : « C'est vrai que, pour nous, c'était important de bien faire comprendre la dimension immédiatement politique qu'a pu acquérir le football dans le monde arabe, reprend Aurélie Clemente-Ruiz. C'est une chose qu'on a un peu perdu en Europe, alors que, là-bas, les stades sont parfois le seul vecteur de liberté d'expression dans certains pays. »

Le ton de l'exposition est donné, à chacun de jongler comme il l'entend entre les thématiques plus grand public, comme celles consacrées au foot en Palestine ou à la Coupe du monde 2022 au Qatar, et d'autres, plus pointues, qui attraperont l’œil et la curiosité des visiteurs plus avertis. Onze grands sujets divisent ainsi la rétrospective. Parmi eux, on pourra notamment découvrir le Nejmeh SC, ce club libanais qui parvient à fédérer au-delà des religions de chacun, dans un pays déchiré par les guerres confessionnelles opposant chrétiens et musulmans chiites et sunnites. Ou encore comprendre l'importance du développement du football féminin en Jordanie, devenu un vecteur d'émancipation inédit au sein d'un monde arabe où le ballon rond reste encore quasi exclusivement réservé aux hommes. « C'est un exemple très particulier, donc on a tenu à le mettre en avant, déroule Aurélie Clemente-Ruiz. Il n'y a qu'en Jordanie qu'il y a vraiment cette incitation auprès des jeunes filles pour jouer au foot... Les Jordaniennes qui veulent jouer ont beaucoup moins de difficultés structurelles, des clubs existent, elles ont des vestiaires pour elles, etc. C'est en partie lié au fait que la reine Rania de Jordanie se bat au quotidien pour faire évoluer les mentalités, elle est très impliquée dans la défense du droit des femmes. Le pays porte une vraie attention à cela et ça se reflète à travers le football. »
Cerné de maillots de sélections et de clubs arabes – dont une bonne partie sont empruntés à la collection Louis Nicollin –, on peut aussi tendre l'oreille pour écouter les chants emblématiques de supporters algériens, comme La case de Mouradia, qui vise notamment à défier le pouvoir du clan Bouteflika. Ou encore se repasser en boucle le but de Rabah Madjer en finale de C1 face au Bayern en 1987, avec commentaires d'époque à l'appui : en bref, c'est sensoriel, immersif et c'est plutôt chouette. On regrette seulement le trop peu de textes qui accompagnent certaines photos et objets de collection, qui auraient permis d'enrichir le tout de précieux éléments contextuels supplémentaires. Mais l'exposition a fait le choix d'assumer jusqu'au bout ce parti pris visuel, à l'image des grilles qui cerclent la salle réservée aux ultras du monde arabe, donnant l'illusion savoureuse de se retrouver en parcage avec les supporters.

Une section qui revient évidemment sur l'implication des ultras des clubs algériens, tunisiens et égyptiens dans le soulèvement des printemps arabes et qui se concentre aussi plus spécifiquement sur le derby du Caire, entre Al Ahly et Zamalek. Un choix mûrement réfléchi : « Quand on parle foot et monde arabe, la ville qui revient systématiquement dans les conversations, c'est le Caire, explique Aurélie Clemente-Ruiz. Quand le foot a été introduit dans le monde arabe par les colonisateurs anglais et français, le sport était d'abord réservé aux colons : les Égyptiens ne jouaient pas au foot à la fin du XIXe siècle. Mais le Caire, c'est la première ville où des autochtones ont créé un club, Al Ahly, en 1907. Historiquement, c'est vraiment l'Égypte qui va ainsi prendre le pas sur les autres pays du monde arabe, footballistiquement parlant. »

Après avoir slalomé entre les différentes salles, ne reste qu'un dernier crochet à effectuer avant d'emprunter la sortie : composer son onze de légende à partir d’un panel d’entraîneurs, de joueurs et joueuses du monde arabe, historiques ou actuels. L'équipe type des visiteurs aligne notamment une doublette d'attaque Madjer-Mohamed Salah du plus bel effet, même si on peut aussi préférer opter pour un tandem Hossam Hassan - Rachid Mekhloufi, plus nostalgique. La dernière note interactive d'une exposition qui permet de picorer un peu de savoir, de découvrir quelques moments d'histoire et de s'immerger dans le football d'une zone géographique qui, peut-être plus que partout ailleurs, mêle considérations sportives, politiques, sociales et culturelles.
Par Adrien Candau Tous propos recueillis par AC
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