Les Espagnols sont mauvais en gestion. Del Bosque le sait. Avant le match, le coach n’avait qu’un seul objectif : « Nous avons essayé de leur enlever l’idée du match nul de la tête, c’était beaucoup trop dangereux. » Certes, le refoulé peut prendre la porte et sortir de la tête un instant, mais il reviendra toujours par la fenêtre. À trop hésiter entre le nul (qui les qualifiait) et la victoire, entre gérer et attaquer, les Espagnols n’ont fait ni l’un ni l’autre. « Nous n’avons pas réussi à trouver des solutions vers l’avant. Il nous a manqué de la clarté sur les premiers contrôles. Nous avons donc perdu en vitesse et en intensité » , reprend le boss. Aragonés, le mentor de cette équipe, n’a pas aimé non plus la première mi-temps et balance dans Marca : « Nous n’avons créé aucune occasion en première mi-temps parce que nous n’avons pas trouvé la vitesse de balle nécessaire ni les espaces sur les côtés. » Entre un Jordi Alba sans espace à gauche et un Arbeloa pas vraiment rassuré à l’heure de monter en première ligne, Silva, Xavi, Iniesta et Torres ont joué entre eux. Les huiles espagnoles n’ont donc fait que s’engluer dans l’axe. L’Espagne sans vitesse, c’est la France.
L’homme vs la Machine
Mais quand les autres doutes et que le destin s’acharne, quand plus rien ne va et que seul un miracle peut sortir les croyants de leurs angoisses, il y a toujours un saint sur lequel se reposer. San Iker a sauvé l’impossible contre Rakitić à la 58e minute. À bout portant, il détourne une tête qui sentait bon le fiasco. Pourtant, quand, dans El Pais, le saint raconte son miracle, on dirait une notice d’aspirateur : « C’est une action rapide, un bon arrêt, mais il faut dire que j’étais bien placé. (Pour réaliser cet arrêt, ndlr) Il faut des réflexes, sauter et un bon placement. Mais surtout il faut en être convaincu. » Casillas n’est pas celui qui saute le plus haut, il n’est pas non plus le plus spectaculaire ou le plus explosif. Mais Iker est le meilleur parce qu’il ne se trompe jamais et arrêtent les ballons qu’il faut arrêter. Être Iker Casillas pendant un match décisif, c’est devenir un être froid, rationnel et calculateur. Il n’y a pas de chance ni de hasard dans ses interventions, seulement une hallucinante capacité à être meilleur sous la pression. Xavi, qui en connaît un rayon question matchs importants, le sait. D’ailleurs, le surnom qu’il lui a donné depuis les juniors c’est « Maqui » . De maquina, la machine.
Contre la Croatie, l’Espagne a connu ses premières chaleurs. En conférence de presse, mardi, Iniesta n’a pas fêté son 2e MVP en deux matchs. Il préfère dire les choses et détendre tout le monde : « Ce n’est pas facile de jouer quand un nul te suffit, que tu es presque qualifié, mais qu’en même temps, un but encaissé peut t’éliminer. J’espère qu’avec le recul, on se dira que ce match a été le plus difficile de notre Euro. » Les Espagnols ont frôlé le psychodrame, mais seront bien là en quarts. Ils retrouveront l’adversaire idéal pour se refaire une santé mentale. Ici, on s’attendait à l’Angleterre, mais ce sera la France, leur ennemi héréditaire à eux. La dernière fois que la Roja a perdu une éliminatoire, c’était contre la bande à Maké et Zidane. Iniesta n’avait pas de poils et Iker avait un peu plus de cheveux. Mais en six ans, ces courbes se sont croisées. Andrés est un grand maintenant. Il sait que ça ne sert à rien d’avoir peur : « Restez tranquilles et ayez confiance en nous » , demande-t-il. C’est vrai ça. Il n’est jamais trop tard pour se faire un câlin.
Par Thibaud Leplat, à Madrid
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