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En Thaïlande, le football aussi est en deuil

Par Maxime Delcourt
6 minutes
En Thaïlande, le football aussi est en deuil

Un pays en deuil, un championnat arrêté précipitamment à trois journées de la fin, des supporters en colère... Ces dernières semaines, la Thaï Premier League, pourtant ambitieuse depuis quelques années, traverse une crise sans précédent. Retour sur cette situation qui annonce des lendemains possiblement difficiles.

Depuis le 13 octobre dernier et la mort de Sa Majesté Bhumibol Adulyadej, en Thaïlande, c’est le flou total. La pagaille, même. Une grande partie de la population, pourtant habituée aux couleurs plus prononcées, se balade en noir et blanc, pleure la mort de leur défunt roi et se passe en boucle un programme imposé par une télévision elle aussi convertie au noir et blanc, tandis que les opposants au pouvoir en place se voient aussitôt emprisonnés au nom de l’article 112, qui punit de prison tout blasphème. Pour ne pas ternir l’image de celui que le peuple considérait autant comme un père que comme une figure céleste, et qui a régné sur le pays soixante-dix ans, le ministre de la Justice a même appelé ses citoyens à « sanctionner socialement » ceux qui critiqueraient la monarchie. Pis, le gouvernement, en signe de respect, a annoncé l’arrêt de toutes les « activités de divertissement » pendant un mois, recouvrant les affiches publicitaires d’un drapeau noir, annulant le festival annuel du film de Bangkok et reportant de multiples concerts, dont celui de Morrissey.

« Il faut bien prendre conscience qu’en Thaïlande, il s’agit d’un événement pratiquement sans précédent, explique Jean-Louis Margolin, enseignant-chercheur à l’université de Provence Aix-Marseille et spécialiste de l’Asie du XXe siècle. Sa Majesté Bhumibol Adulyadej était en place depuis 1946, autant dire que l’immense majorité des thaïlandais n’ont jamais connu un autre monarque. Il a toujours été en toile de fond de leur vie. De fait, s’ils respectent à ce point le deuil, ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit d’une consigne officielle, mais parce qu’ils essayent aussi de se raccrocher à des fondements d’unité. Surtout aujourd’hui, alors que la société thaïlandaise est extrêmement divisée. »

« Nous allons nous battre pour la justice et l’équité. »

Autre secteur à faire les frais de cette situation : le football. Jusqu’au-boutistes, le gouvernement et la FAT (Football Association of Thailand) ont en effet annoncé mi-octobre l’annulation pure et simple de la Thaï Premier League et des deux autres compétitions nationales. Une décision complètement folle, qui n’est pas sans conséquence. Alors qu’il restait encore trois matchs à jouer en championnat, c’est Muangthong United qui a été sacré champion, tandis que deux des trois clubs en position de relégable et pouvant être encore sauvés se sont vus d’office envoyés en seconde division. Chainat Hornbill FC et Army United, tous deux à un point du premier non-relégable, ont bien sûr fait appel, mais il faut bien se rendre à l’évidence : 17 des 18 clubs engagés en Thaï Premier League se sont montrés favorables à l’arrêt prématuré de la saison. La raison ? Les lois en vigueur, tout simplement. Pour un citoyen, comme pour un club, ce serait tout bonnement suicidaire de faire passer ses ambitions personnelles au premier plan en cette période de deuil national. Légalement, c’est aussi s’ouvrir à de possibles poursuites juridiques. Autant dire qu’Anirut Nakasai, vice-président du Chainat Hornbill FC, prend de sacrés risques quand, sur Facebook, il déclare : « Je voudrais vous informer que nous sommes d’accords avec la décision d’annuler les matchs, parce que nous pouvons pleurer la perte du roi et nous rappeler la bonté sans limite et gracieuse de sa Majesté. Mais nous allons nous battre pour la justice et l’équité. »

Même son de cloche chez Pansa Suwanthichakorn, vingt-neuf ans et supporter de Bangkok United, deuxième à cinq points de Muangthong United, qui regrette que les matchs n’aient tout simplement pas été reportés : « Ils auraient pu demander aux clubs d’observer une minute de silence avant le début de chaque match restant jusqu’à la fin de la saison. De cette façon, je pense que les fans de football auraient compris. Bangkok United a l’habitude de lutter contre la relégation. Je n’aurais jamais pu penser que nous pourrions atteindre ce niveau. C’est dommage que nous n’ayons pas eu la chance de nous battre pour le titre. » D’autant plus dommage que le match opposant la Thaïlande à l’Australie le 15 novembre prochain à Bangkok a été maintenu, lui.

Un flou total

Mais Jean-Louis Margolin se veut clair à ce sujet : ce n’est pas le football qui est visé en particulier. « C’est un véritable deuil national, précise-t-il. Même l’industrie du sexe, pourtant très importante en Thaïlande, a été arrêtée ou réduite à la clandestinité. Après, il ne faut pas se leurrer non plus : la société thaïlandaise étant ce qu’elle est, toutes ces règles imposées sont aussi un moyen pour les gens actuellement au pouvoir de marquer le coup, d’asseoir leur légitimité et de profiter de ce décès pour enterrer les nombreux mécontentements ayant surgi ces derniers mois. On parle quand même d’un pays qui accorde très peu de liberté à ses opposants, qui, à l’occasion d’un référendum, a interdit toute campagne visant à encourager le « non » et qui n’a pas hésité à envoyer un traducteur thaïlandais en prison pendant trois ans pour avoir osé traduire une biographie non autorisée du roi… »

Autant dire que les clubs semblent avoir fini par s’en accommoder. Même Florent Sinama-Pongolle, exilé au Chainat Hornbill FC depuis la saison dernière, vient de prolonger son contrat de deux ans avec le club provincial, pourtant relégué en seconde division. Injoignable ces derniers jours, l’attaquant français donne en tout cas l’impression que la situation semble s’améliorer, que le championnat thaïlandais retrouve peu à peu son ambition, lui qui a accueilli ces dernières années plusieurs joueurs européens (Robbie Fowler, Jay Bothroyd, Xisco, Kalifa Cissé,…). S’il avoue ne pas être expert en foot, Jean-Louis Margolin se veut toutefois moins optimiste. D’abord, parce qu’il pense que le vote des clubs en faveur de l’annulation du championnat est loin d’être exsangue d’une autorité gouvernementale. Ensuite parce que les conflits entre le pouvoir en place et ses opposants, de plus en plus nombreux, rendent le pays plus que jamais instable. Enfin, parce que « le successeur désigné ne jouit pas de la popularité de son défunt père. Il est même très détesté, et passe pour un incapable, bien plus attiré par les voitures de sport et les jolies femmes que par le développement de son pays. D’ailleurs, il a préféré attendre la fin du deuil, soit un an, pour prendre ou non la direction du pays. En attendant, c’est un régent de 96 ans, Prem Tinsulanonda, qui assure les tâches quotidiennes… »

Difficile de savoir si cette situation aura des répercussions sur le championnat thaïlandais. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la FAT s’est tirée une bonne balle dans le pied avec cette histoire et que tout pourrait être chamboulé la saison prochaine. Parmi les nombreuses propositions étudiées, il y a notamment celle-ci : 18e avant l’arrêt du championnat et condamné à la relégation, Big Bang Chula United serait l’unique équipe à descendre à l’échelon inférieur, tandis que les trois premiers de la seconde division monteraient pour former un championnat à vingt clubs la saison prochaine. Mais là encore, comme partout ailleurs en Thaïlande, tout reste en suspens.

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