- SoFoot n°64
- Avril 2009
En rouge et Noirs
Ils s'appellent Giannelli, Idy, John, Franck, Hugo, et jouent dans les équipes des 16 et 18 ans du centre de formation de l'En Avant Guingamp. D'origine congolaise, algéro-sénégalaise, camerounaise et éthiopienne, ces apprentis footballeurs Français d'origine africaine se coltinent les clichés au quotidien.
Guingamp, ville de foot. 8000 âmes, l’ennui qui soutient la pierre et l’ardoise, et ils sont pourtant 12 000 à venir garnir les tribunes du Roudourou quand Tours se déplace en ville. L’ADN des héros du stade? Autre question. « Ici, le footballeur est une idole absolue, quelle que soit sa couleur. Au stade ou à la ville. Quelque part, Drogba appartient encore à Guingamp. L’équipe première est presque 100 % black, et il n’y a aucun problème » , entend-on dès la sortie de la gare.
Fort de cette déclaration de foi très United Colors, on monte à pied au stade Yves Jaguin rencontrer quelques jeunes Noirs du centre de formation de l’EAG. Rencard à 15h30. Grand soleil. Dans la maisonnette qui donne sur les terrains de jeu, ils sont cinq autour de la table: Giannelli, Idy, John, Franck et Hugo. En tenue de sport, crampons aux pieds, juste avant l’entraînement. Intimidés mais pas farouches. On devine d’entrée comme une « complicité élective » entre eux… Idy se lance: « Ce n’était pas fait exprès, mais la première fois quand est arrivés ici, on s’est tous regroupés entre Africains. Ça s’est fait naturellement, même si on ne se connaissait pas. Les Maghrébins étaient avec nous » . John: « Nous, on n’est pas de la région. On vient des grandes villes de la banlieue parisienne ou rouennaise, et on a les mêmes délires. On écoute tous du rap et de la musique africaine. Les « autres » , les Blancs… euh… les Bretons, ils écoutent de la variété française, du rock. Ils ne connaissent pas trop les vraies musiques (sic) » , « Mais j’ai l’impression qu’ils aiment bien notre style. On leur donne un plus, on leur fait découvrir des choses sur la musique ou sur l’habillement. Ils commencent à écouter nos musiques, ils s’habillent comme nous… On leur apprend des mots, des expressions, « ça fait derzer! » » (Idy). Franck poursuit sur le « nous » et « eux » : « On est plutôt entre nous, les Africains. On se mélange un peu avec les autres. Mais quand on va au Mc Do ou au ciné on est entre nous. Où c’est frappant, c’est en déplacement! On entre au resto: les Noirs se mettent à table entre eux et les Blancs de leur côté. Ça se fait naturellement. Des fois, on a envie de se mélanger, mais on préfère rester entre nous. Si un Blanc vient s’asseoir au milieu de six Noirs, il va se sentir mal: c’est pas le même délire » . Tous confirment pourtant que sur le terrain, les différences de couleurs s’estompent: on est Guingampais et solidaires !
Vitesse, puissance et cadeaux de Noël
On passe sur l’école qui les branche moyen, même s’ils travaillent plutôt bien et que le bac est un objectif revendiqué. Leur motivation de réussite dans le foot est la plus forte. A titre personnel et familial. Franck: « On a le vécu de la famille. Les parents, les oncles sont toujours là pour nous remettre les idées en place. Eux ont souffert, leur vie n’a pas été facile. On ne va pas pleurer, on est bien ici, on a tout pour réussir. On ne veut pas les décevoir. On veut aussi réussir pour eux » . Une pression familiale assumée et qui ferait la différence avec les « autres » , selon John: « Nous on est plus durs, mentalement. On n’a pas eu la même enfance que les Blancs. On n’était pas chouchoutés, cadeaux de Noël et tout… Dès qu’on est petit, on apprend à se débrouiller seul. On est plus autonomes, plus tôt. On a des objectifs, on sait pourquoi on est là » . Le temps file…
Quid des qualités de vitesse/puissance qui seraient propres aux sportifs noirs? Franck y va: « C’est prouvé, je crois. Sur le 100 mètres, par exemple. Quand tu regardes la finale aux Jeux de Pékin, y’a pas un seul Blanc. Ça doit être dans les gènes, on peut rien y faire. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de Blancs rapides ou endurants. Mais la plupart du temps, c’est comme ça. Quand on regarde dans les équipes de jeunes, à Guingamp, moi, je vois que les joueurs noirs ont ce genre de qualités: rapides, techniques, endurants » . Idy conteste en faisant autorité: « L’envie! C’est ça qui fait la différence! Le travail! En milieu défensif, c’est un des postes les plus durs et on dit que les Noirs sont les plus athlétiques. Mais, en équipe de France, le numéro 6, c’est un Blanc, Toulalan… C’est donc n’importe quoi de parler de couleurs » . Lionel Rouxel, entraîneur des 18 ans, vient de frapper à la vitre: fin de la première mi-temps. Les gars se lèvent et partent…
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On se retrouve à 18 heures. Ça sent la sueur et ça déconne à la séance photo. On enquille direct sur leur expérience de jeunes footballeurs noirs évoluant dans le terroir. Et ça fuse. Idy: « Les réactions agressives, c’est très rare en équipes de jeunes. Sauf une fois, à Valenciennes. Là-bas, l’équipe, c’était que des Blancs. Des qu’on touchait la balle, ils faisaient des cris de singes. Nous, ça nous faisait marrer, on les insultait et puis on a gagné » . John: « C’est vrai que c’est rare. Ici, ça va. Mais, à l’extérieur, c’est différent. Y’a le regard des supporters. Y’en a qui gueulent contre nous, « Vas-y, pète-le! » à leurs joueurs » . Franck: « Des fois, on entend des trucs. Moi, on m’a dit « Ta gueule, sale bouffon! » Après, je ne suis plus dans le match… Un autre, « Ta gueule, sale Zoulou! » . Sur un corner, j’entends des fois « Prends le Noir au marquage! » Ça me gêne, ça m’énerve que les gens en soient encore à ce niveau là. Qu’ils emploient des termes aussi négationnistes (sic). C’est mauvais. Ce n’est pas arrivé beaucoup de fois, mais tu le sens dans le regard » .
Adriano, Martins et Di Canio
A travers la vitre, le bon Lionel Rouxel écarte les paumes: plus que dix minutes… La polémique sur le « trop de Noirs en équipe de France » ? John: « Sans les Noirs, ça deviendrait dur pour l’équipe de France. Plus les Magrébins comme Nasri ou Benzéma! Enlevez-les et vous verrez… Mais c’est normal qu’ils disent ça. Même moi, quand je vois la composition de l’EDF, je me dis ‘ Wo-la-la! Là, c’est chaud: que des mecs qui viennent d’horizons différents, aucun mec qui vient de Strasbourg!’ Mais, bon: on prend les meilleurs » . On rêve un peu: pour quelle sélection aimeraient-ils jouer plus tard? Les Bleus récoltent les suffrages. Question de niveau et d’infrastructures… Mais on ne ferme pas entièrement la porte aux pays des ancêtres. Idy, lui, est catégorique: « Le Sénégal! C’est mon rêve depuis que je suis né » .
Où aimeraient-ils faire carrière à l’étranger? L’Angleterre, à l’unanimité. L’Espagne, ensuite ( « C’est un peu chaud pour les Noirs, mais le jeu est bon » , Franck). Haro ferme et général sur l’Allemagne (la langue, pour beaucoup) et surtout l’Italie ( « Trop d’histoires de racisme à l’Inter, avec Adriano ou Martins, et puis à la Lazio avec l’autre… Di Canio! » Giannelli). Une dernière avant le clap, on parle du football africain. Les visages s’allument. Idy: « C’est merveilleux: là-bas, c’est une fête! » . Franck: « En Afrique, c’est plus chaleureux, plus « familial » . En France, c’est trop froid. Tout le monde est tête baissée. Trop de règles, d’interdictions. On devrait plus laisser les joueurs créer leur truc… À la longue, ça joue un peu sur le mental du footballeur. Trop de discipline. Quand tu rates des trucs, on t’en veut comme si tu étais un professionnel. Je pense qu’on a une certaine pression trop tôt. Mais, bon, les plus forts mentalement, c’est eux qui finissent toujours par réussir » . Le car de ramassage scolaire est arrivé au moment où le soleil perdait son duel à l’horizon.
Par Chérif Ghemmour, à Guingamp
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