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« En Italie, la police est forte avec les faibles et faible avec les forts »

Propos recueillis par Antoine Aubry
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Auteur du livre Le phénomène ultras en Italie et spécialiste universitaire intervenant régulièrement lors de conférences sur le sujet, Sébastien Louis parle des violences commises par la police italienne sur les supporters.

Lors du match de Coupe d’Italie entre San Remo et Imperia disputé le dimanche 6 septembre, plusieurs incidents ont éclaté avant et après la rencontre. Présents avec leurs amis d’Imperia, des supporters niçois ont été passés à tabac par la police italienne. Sébastien Louis réagit.

Tout d’abord, pouvez-vous nous faire un rapide historique de la rivalité entre les clubs d’Imperia et de San Remo ?

Cette rivalité est typique de celle que l’on retrouve dans toute la péninsule, c’est une rivalité qui a des racines dans l’histoire italienne, dans le pays des cent villes et des mille clochers. Le campanilisme est l’un des éléments-clés de l’identité italienne et que ce soit au Moyen-âge, ou lors des guerres entre communes, les cités étaient alors en conflit les unes avec les autres. Florence contre Sienne, les Guelfes contre les Gibelins, les républiques maritimes de Gênes et de Venise, le Nord contre le Sud, etc. L’antagonisme entre Imperia et San Remo a des racines plus récentes, car le chef-lieu de la province est Imperia, ville nouvelle fondée en 1923 sous le fascisme dans le but d’unir deux centres urbains préexistants et distincts d’un point de vue géographique : Oneglia et Porto Maurizio. Alors que San Remo est une ville dont la fondation remonte à l’époque romaine. Enfin, San Remo est plus peuplé qu’Imperia et se retrouve sous sa férule administrative. Ces différents éléments permettent de remettre dans le contexte cette rivalité et le campanilisme typiquement italien qui entoure les derbys, et ce, même dans les catégories inférieures du Calcio. Pour l’anecdote, la première rivalité sportive d’Imperia fut contre le club de Ventimiglia, puis à partir des années 1930 contre la Sanremese. Pourtant, si l’on connaît sa géographie du football, ce match n’est pas l’un des plus dangereux, loin de là. Des derbys comme Pisa-Livorno, Cosenza-Catanzaro, Reggina-Messina ou encore Prato-Pistoia et Monopoli-Andria sont bien plus préoccupants en matière de maintien de l’ordre. Les deux équipes, que ce soit la Sanremese ou Imperia, ne disposent pas d’un nombre important de supporters, et leurs ultras se comptent par dizaines, ce qui ne les empêche pas de cultiver cette rivalité. Pour revenir au match de dimanche, cette rencontre était sans réelle importance d’un point de vue sportif. Le stade sonnait creux, à peine 800 spectateurs (pour une capacité de 4800 places) s’étaient déplacés et il devait y avoir moins d’une centaine d’ultras locaux entre les « Irriducibili » et les « Cani sciolti » . Les visiteurs étaient également peu nombreux, un peu plus d’une centaine de personnes. À leur arrivée à la gare de San Remo, seuls deux policiers les ont escortés jusqu’au stade situé à 3 kilomètres.

Concernant le match et les incidents avec les supporters niçois, est-ce qu’on peut dire que les forces de l’ordre italiennes sont coutumières de ce genre de matraquage ?

La liste des abus de la part des forces de l’ordre en Italie est longue et s’inscrit dans une séquence historique. Les violences de leur part sont coutumières, de 1920 à nos jours, trois supporters ont été tués par des policiers ayant fait usage de leurs armes de manière inconsidérée, et un autre est décédé suite à des coups et blessures (Stefano Furlan pris à partie par la police à la fin du derby Triestina-Udinese le 8 février 1984). Le cas le plus connu et le plus récent est bien sûr celui de Gabriele Sandri, ce supporter de la Lazio, tué d’une balle tiré par un policier le 11 novembre 2007. Ensuite, pour en venir aux « bavures » , je parlerais d’ailleurs d’abus répétés, il y a de nombreux cas de violences volontaires de la part de policiers sur des supporters, comme après le match entre Lazio et Livourne le 10 avril 2005, où les 256 supporters toscans ont été retenus dans deux casernes après le match. Certains ont été battus et retenus sans qu’aucun avocat ne puisse intervenir. En avril 2007, lors de la rencontre A.S. Roma-Manchester United, les carabiniers ont chargé violemment et sans raison valable les fans anglais dans le stade. Malgré les demandes d’explications du gouvernement anglais et l’enquête de l’UEFA, rien n’a été fait. Il faut tout de même replacer ces violences dans leur contexte ; celui d’une police italienne qui a eu trop souvent les mains libres et dont les agissements d’une minorité violente ont été couverts par sa hiérarchie. Les violences lors du G8 à Gênes en 2001 (mort de Carlo Giuliani, matraquages et séquestrations à l’école Diaz) n’ont vu aucun policier faire de la prison. Trois des quatre policiers communaux de Ferrare qui ont été condamnés pour homicide volontaire pour la mort du jeune Federico Aldrovandri (tué par la police à 18 ans en septembre 2005) à trois ans et demi de prison (ils n’ont passé que six mois derrière les barreaux) ont été ovationnés par le second syndicat de police du pays (le S.A.P., le syndicat autonome de police). Enfin, l’homicide de Stefano Cucchi, ce géomètre romain battu et torturé lors de sa garde à vue, n’a toujours pas de responsable selon la justice italienne.

Les Niçois affirment que ce déchaînement de violence a été perpétré pour se venger des incidents d’avant-match. Est-ce plausible ?

La version des supporters niçois est réaliste. Connaissant les violences répétées dans la péninsule en marge des matchs de football, il est plus que possible que ces derniers se soient vengés de la sorte, avec ou sans le consentement de leur hiérarchie, le préfet de police de la province d’Imperia. Car, une fois de plus, ce match a démontré l’incapacité des pouvoirs publics italiens en ce qui concerne l’organisation et la sécurité des matchs de football. Nous parlons d’un match avec 800 spectateurs et au maximum 200 ultras. Si les forces de l’ordre ne sont pas capables d’éviter les troubles entre les deux factions, vous pouvez imaginer comment un seul individu, lors du match Italie-Serbie, arrive à faire interrompre un match de football. Bien entendu, il faut un coupable pour l’opinion publique, et les ultras sont tout désignés pour cela. De plus, les incidents qui ont émaillé l’avant-match lors de l’arrivée des fans adverses, avec de nombreux échanges de projectiles, alimentent ce sentiment anti-ultras, très répandu dans la presse italienne, qui ne remet quasiment jamais en cause la version des forces de l’ordre.

De manière générale, comment se comporte la police italienne avec les ultras ?

« Fort avec les faibles et faible avec les forts » , cela semble être la devise de certains policiers qui profitent de leur position de force pour se venger, comme à la fin de ce derby ligure en « coinçant » littéralement dos au mur les fans niçois en minorité. Souvenons-nous de Roma-Feyenoord en février 2015, où quelques centaines de fans hollandais ont été laissés libre d’agir à Piazza di Spagna où ils ont dégradé quelques monuments et transformé la place en une véritable déchetterie. L’incompétence des responsables de l’ordre public était criante ce jour-là, et pourtant, les seuls coupables étaient les fans hollandais pour l’ensemble de la presse transalpine. Dans la péninsule, les forces de l’ordre n’ont pas de réelle stratégie en amont, à l’inverse de la police allemande par exemple. Depuis 1999, suite à la mort de quatre supporters dans l’incendie d’un train, il existe un Observatoire national sur les manifestations sportives, mais bien qu’il ait mis en place une stratégie en 2001, celle-ci n’est que théorique. En Italie, la tessera del tifoso (la carte du supporter) a été rendue obligatoire en 2010 pour recenser et contrôler les ventes d’abonnements aux supporters à domicile et la vente des billets pour ceux qui se déplacent. Malgré cette mesure, l’État empêche lors de certains matchs à n’importe quel supporter (en possession ou non de la carte) de se rendre au stade. L’escalade répressive et les nombreuses législations anti-violence mises en place à partir de décembre 1989 avec la loi n°401 n’ont abouti qu’à un seul résultat, un antagonisme des ultras envers la police qui est devenue l’ennemi numéro un des différents groupes. Enfin, le dialogue est au point mort entre les représentants de l’État et les ultras. Une loi interdit d’ailleurs aux dirigeants d’être en contact avec eux, alors que les dispositions de l’UEFA vont dans le sens inverse en privilégiant un dialogue permanent entre les « Supporters liaison officer » obligatoire dans chaque club et les supporters.

Est-ce que les policiers qui encadrent les supporters sont spécialement formés à ces tâches ?

Il existe différents corps de police qui œuvrent dans et autour des stades : des carabiniers (l’équivalent de nos gendarmes) à la Celere (les C.R.S. italiens) en passant par la Guardia delle finanze (police financière), les Vigili urbani (policiers municipaux) et les stewards. Le seul élément qui les rassemble est le peu de préparation et surtout le fait de faire office de bouche-trous. Car les stades italiens sont parmi les plus vétustes du continent, celui de San Remo date de 1931 et ne compte que deux tribunes. Les stades italiens nécessitent pour la grande majorité d’entre eux une rénovation importante. Ils sont à l’image d’un pays où les infrastructures sont vieillissantes et le peu d’investissement de la part de l’État oblige les forces de l’ordre à être les « pompiers » de la situation. Ils remplacent la carence des infrastructures et le manque d’initiative en amont pour prévenir et éviter les violences. Il est donc évident que certains abusent de ce pouvoir de coercition. En outre, les préfets de police font parfois carrière grâce à cette répression contre les supporters. C’est le cas d’Achille Serra, l’ancien préfet de police de Rome.

Les évènements de dimanche ont-ils fait beaucoup parler en Italie ?

Seule la presse citadine en a parlé sans réel article de fond, évoquant uniquement quelques incidents et mentionnant l’arrestation d’un supporter niçois. Le quotidien régional de Ligurie Il secolo XIX n’a même pas évoqué le cas. Ce qui est arrivé aux supporters en général est un épiphénomène pour les journalistes italiens. De plus, la version des supporters est systématiquement remise en question dans la plupart des journaux italiens. Il suffit de se rappeler la mort de Gabriele Sandri qui, pour nombre de vos collègues, était un supporter violent alors que le policier qui avait tiré depuis une aire d’autoroute avait été victime d’un malheureux concours de circonstances. Sans l’abnégation de la famille Sandri, le policier n’aurait jamais été condamné.

Les supporters du Gym ont annoncé vouloir porter plainte. Est-ce qu’il y a une chance de voir cette plainte aboutir ?

Le combat des supporters niçois est perdu d’avance, c’est le « pot de fer contre le pot de terre » , mais ils ont le mérite d’en parler et seul ce genre d’initiatives peut, dans le futur, faire changer les choses. Car l’antagonisme nourri par ce type d’épisode ne peut que conforter les tenants de la radicalisation violente chez les ultras sous le slogan « A.C.A.B. » (All Cops Are Bastard, ndlr), alors qu’il ne s’agit que d’une poignée de fonctionnaires de police qui ne peuvent être considérés comme les représentants de l’ensemble des forces de l’ordre. Malheureusement, en Italie, comme en France, l’heure est à la répression, comme le prouvent les amendes des 167€ qui ont été envoyées à des supporters de l’A.S. Roma au lendemain du Roma-Juventus, il y a deux semaines. Ils n’occupaient pas le siège indiqué sur leur billet dans la Curva Sud du Stadio Olimpico…
Après la trêve internationale, place au festin !

Propos recueillis par Antoine Aubry

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