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Emil et images

Par Théo Denmat
6 minutes
Emil et images

Lorsqu’on a demandé à Dimitri Payet les souvenirs du premier France-Suède de sa carrière, son nom est tombé d’entrée : « Je me souviens du numéro dix qui avait marqué sur coup franc, Emil Forsberg. Un joueur qui nous a fait très mal. » Annoncé successeur officiel d'Ibrahimović en équipe nationale, le meilleur passeur d’Europe cette saison avec le RB Leipzig présente pourtant la particularité d’être « le joueur le plus ennuyeux du monde à interviewer ». Et pas de blague, c’est son papa qui le dit.

C’est une course d’élan aussi brève que tonique. Trois pas d’élan, pas plus : à vingt-cinq mètres des cages, il le sait, il s’agit de cadrer. Elle est moins longue que celle de Juninho, moins ostentatoire que celle de Cristiano Ronaldo, mais se rapproche de celle de Gareth Bale, en prenant soin de frapper la balle le plus à plat possible pour la faire bénéficier des coups de vent. Hugo Lloris anticipe, fait un pas à droite. Erreur. Car moins d’une seconde après un impact du pied droit, la trajectoire du coup franc frappé par Emil Forsberg a, ce 11 novembre 2016, lentement commencé à dérailler dans les lumières du Stade de France. Mais pas comme avant : « Emil était vraiment le genre de gars à quitter en dernier les entraînements, ce n’est pas un cliché, se souvient Mattias Larsson, journaliste pour le journal Kvallsposten, canard basé à Malmö – ancien club de Forsberg – et tiré à 55 000 exemplaires. Il avait l’habitude de taper ma voiture sur le parking avec son ballon quand il tirait des coups francs pourris, mais ça finit par payer. En novembre contre la France, il a marqué ce super coup franc brossé. » Son numéro 10 dans le dos, la révélation de la saison 2016-2017 de Bundesliga a confirmé deux points en même temps qu’il ouvrait le score face aux Bleus : la Suède tient son nouveau leader technique, et le meilleur passeur d’Europe sait aussi marquer.

2. Bundesliga plutôt que Lyon ou Séville

À quoi tient finalement un titre de meilleur passeur décisif sur une saison ? Prenons le top 3 à l’envers, à travers les cinq plus grands championnats : Eriksen pointe à 15, De Bruyne à 18, et donc Forsberg à 21. Vingt et une passes décisives, non pas délivrées au Kun ou à Harry Kane, mais à une ligne d’attaque Timo Werner-Yussuf Poulsen. Le tout saupoudré de huit buts, ce qui fait simplement de lui l’ailier le plus efficace du championnat allemand, devant Ousmane Dembélé et Arjen Robben. Pourtant, lors de son arrivée au RB Leipzig à l’été 2015, rien ne prédestinait ce grand timide à tutoyer Ibrahimović en sélection. Et pour cause : si lui aussi débarque de Malmö, où il est au passage quasiment assuré de disputer tous les ans la Ligue des champions, le voilà qui décide à 23 ans de partir en deuxième division allemande dans un club de six ans d’existence. Mais pourquoi ?

Pour comprendre les racines d’un tel choix, il convient de rappeler un fait déterminant : Forsberg aime à suivre les traces des membres de sa famille. Le grand-père, Lennart Forsberg – surnommé « Foppa » – était un ailier gauche qui débuta sa carrière au club de Sundsvall, à 17 ans, en 1945. Son père, Leif Forsberg – « Lill Foppa » – passa l’intégralité de la sienne au même endroit, où il marqua 143 buts en 20 ans de carrière. Une légende pour qui le club a par ailleurs décidé de retirer son numéro 10, comme au temps du 6 de Baresi au Milan, du 4 de Javier Zanetti à l’Inter ou du 21 de Diawara à l’OM. Puis est arrivé Emil – « Mini Foppa » – qui a d’abord manqué de tout laisser tomber après que le club lui a signifié qu’il était trop frêle physiquement, raison pour laquelle il hésita illogiquement à se lancer dans le hockey. « J’ai la vitesse de mon père et l’habileté technique de mon grand-père » , dit-il un jour pour se décrire. Deux qualités qui l’ont donc mené des patins aux crampons, des patinoires à Sundsvall, puis de Sundsvall à Malmö, où il affronte un soir d’août 2014 le Red Bull Salzbourg pour une qualification en poules de Ligue des champions. Les Suédois perdent 2-1, mais Emil accouche d’une prestation de grand gourou, récompensée d’un but dans le temps additionnel, point de départ de la qualification des siens au retour (3-0). Dans les tribunes ce soir-là, le directeur sportif du projet football de Red Bull, Ralf Rangnick, cherche des joueurs pour le Leipzig, cousin germanique de Salzbourg. Le voilà désormais persuadé : il tient sa pépite. Le transfert aura lieu un an plus tard, et Forsberg est élu meilleur joueur de deuxième division allemande dans la foulée.

Sa femme porte la culotte

Compiler les interviews d’Emil Forsberg est une tâche assez ardue, par le simple fait qu’il en donne peu. Le gus n’aime tout d’abord pas particulièrement l’exercice, mais est surtout ce que l’on appelle « un mauvais client » . Florilège de sobriété : « c’est amusant de jouer au football » , « notre équipe a beaucoup de potentiel » , « nous prenons les matchs un par un » . Attention, ne pas voir là le signe d’un cerveau défaillant, au contraire, l’homme est plutôt intelligent. Simplement, Emil et image, ça fait deux. Son père : « C’est sans aucun doute le joueur le plus ennuyeux du monde à interviewer. Il dit la même chose à chaque fois. » Et d’enchaîner : « Il est humble et timide, deux raisons qui participent au fait qu’il n’y ait aucune bonne interview de lui où que ce soit. » Tout juste apprend-on ici qu’il aurait sûrement été vendeur d’article de sports à Intersport s’il n’avait pas percé, et là qu’il aime les boulettes de poisson avec des macaronis. Aucun signe distinctif d’originalité pour un type au profil pourtant lourd de passif, celui des 10 excentrés. Et si Liverpool, le Bayern et surtout Arsenal, qui songe à remplacer Mesut Özil, sont prêts à poser 35 millions sur la table, c’est bien parce que le bonhomme a l’habileté de savoir s’adapter au profil nécessaire à son équipe. En sélection, il porte le 10 et joue meneur de jeu. En club, il occupe l’aile gauche, avec la bonne habitude de repiquer pour frapper pied droit.

Des sollicitations à la pelle décrites par les dirigeants de Leipzig comme « des vœux de Noël en plein été » , visiblement sûrs de garder « l’intégralité de leur effectif l’année prochaine » . Pas sûr en revanche que Forsberg ne résiste aux sirènes des grands clubs européens, lui qui ne se dit d’ailleurs pas totalement satisfait de sa saison : « Le jour où je ferai 32 passes décisives, là je serai content. » La raison qui pourrait vraiment le pousser à rester au Land de Saxe ? Sa femme Shanga, joueuse dans la section féminine du club, et aussi rabat-joie que monsieur : « Vous devriez venir à la maison après un mauvais match, se marrait-il il y a un mois auprès du média officiel de la Bundesliga. Quand elle est silencieuse, je sais que ça va mal. Puis elle me dit : « Qu’est-ce que c’était ces passes de merde ? Tes courses étaient pourries aussi, et ta finition pareille ! » C’est bon d’avoir à ses côtés quelqu’un qui comprend le football. C’était une bien meilleure footballeuse que moi, et(si elle ne s’était pas blessée au genou quand elle avait 18 ans, ndlr)elle le serait probablement toujours. » Reste à savoir si, par précaution lors des après-midi coups francs, les voisins du couple prenaient soin de planquer leurs voitures au garage.

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