Occuper les stades comme les théâtres ?
Peu importe si les pros alignent trois fois plus de cas Covid que la moyenne nationale, le foot amateur va être sacrifié. Le sentiment d’être délaissé ne date cependant pas de la pandémie. Très intelligiblement, Frédéric Thiriez a d'ailleurs tenté de se positionner sur ce créneau en surfant sur la colère d’une majorité de moins en moins silencieuse... Mais dont les doutes et les douleurs ont fort peu pesé, lors du vote ou dans les instances dirigeantes de la FFF. Faudra-t-il occuper les stades de L1, comme les artistes s’y sont résignés avec les théâtres, pour que les footeux se fassent enfin entendre et obtiennent la reprise des championnats de foot à onze ou à sept ? Frédéric Thiriez a surtout énoncé une évidence, soulignée par l’actuelle situation de crise sanitaire : le football ne possède pas le poids politique qu’il devrait avoir, au regard de ce qu’il représente dans le pays.

L’ancien jeune militant du PSU passé à droite avait flairé le problème. Il n’était certes pas le plus crédible, avec son passé et son passif à la LFP, pour le régler. La ficelle pouvait ainsi sembler un peu grosse, pour un homme qui ne trimbalait pas franchement une réputation de généreux monsieur avec les sous des droits télé. Mais Thiriez avait, aussi, conscience que le foot se devait de suivre davantage son époque. D’où son envolée lyrique en faveur de la sélection corse, dont il trouverait « tout à fait juste et logique que la Squadra corsa puisse jouer, notamment la Ligue des nations » (Corse-Matin).
Ni boycott, ni tirage de cheveux
De son coté, et après son déni du racisme ou de l’homophobie dans le foot, Noël Le Graët avait répondu à l'EFP en bon boutiquier qui ne se mouille pas à propos d'une question du boycott de la Coupe du monde au Qatar : « Le Qatar a été désigné depuis longtemps par des gens responsables, on ne va pas aller sur une remise en cause à un an de l'organisation. La France sera présente au Qatar si elle se qualifie. » Aucune discussion, aucune réflexion. Trop dangereux. Sa sortie pour Eurosport sur les Bleues avait, déjà, surpris : « Aucun match perdu. Voilà ce que je retiens. Donc elles peuvent se tirer les cheveux, ça m'est égal. »

Et quand il lui fut demandé de se justifier, après le tollé provoqué jusqu’au gouvernement, il s’est fendu d’un classique « Moi aussi, j’ai des amies femmes » (toujours à l'AFP) : « J'ai quand même un peu l'impression d'avoir beaucoup fait pour le foot féminin. (...) Dans mon entreprise, j'ai 780 salariés et j'ai mes deux filles qui s'en occupent bien. Donc non, franchement, on peut toujours chercher ce qu'on veut, ça n'a aucun intérêt. Aucun regret. » Hermétique et droit dans ses bottes, l’ancien maire breton.
Le changement, c'est pour quand ?
Mais davantage que la personnalité du président reconduit ou les personnalités des outsiders et leur positionnement, c’est la FFF en tant qu’institution qui se retrouve interrogée. Surtout au regard des problématiques cruciales que le foot va devoir affronter dans les années à venir, en espérant une sortie de la pandémie en 2021. Et d’abord son incapacité à intégrer les enjeux de son temps, ainsi que les évolutions sociétales. Lesquelles éloignent par exemple les jeunes du foot, en tout cas de manière exclusive. Évidemment, personne n’espérait une candidature féminine alors qu'Emmanuelle Bonnet-Oulaldj (FSGT) et Brigitte Brigitte Henrique (vice-présidente de la FFF) se sont cette fois mises sur les rangs concernant le CNOSF.

Quel est le moyen de transformer cette grande maison du foot, conservatrice et ventripotente, semblant imperméable aux débats de société comme aux responsabilités politiques ? On doute même que la prochaine « proposition de loi visant à démocratiser le sport en France » , débattue prochainement devant la représentation nationale et qui aborde la douloureuse affaire de la gouvernance malgré son format réduit, puisse y changer quelque chose (hormis en réduisant le nombre de mandats successifs, ce qui n'aurait pas fait les affaires de Le Graët). Une incitation législative ne parviendra sûrement pas à faire bouger les lignes, dans un château où l’on relève si facilement le pont-levis. Le foot est une église, et à l’instar de toute les églises, les pratiquants ont plus la foi que le clergé.
Par Nicolas Kssis-Martov
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