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Du football pour pacifier les deux Corée, vraiment ?

Par Régis Delanoë
5 minutes
Du football pour pacifier les deux Corée, vraiment ?

En visite en Corée du Sud, le nouveau boss de la FIFA Gianni Infantino a émis l’idée d’organiser un amical entre les deux Corée afin d’essayer d’apaiser les tensions entre ces voisins qui n’ont jamais vraiment fait la paix depuis plus de soixante ans. Une idée louable quoiqu’un peu naïve : l’histoire des confrontations entre ces deux sélections a prouvé qu’il ne suffisait pas de taper dans un ballon pendant 90 minutes pour remiser les missiles au placard…

Il est chaud, l’ancien chef des boules des tirages au sort des compétitions organisées par l’UEFA. Depuis qu’il a été élu nouveau big boss du foot mondial, il a des projets plein le ciboulot. Le premier et le plus prioritaire étant de remettre de l’ordre et de redonner du crédit à cette antique institution qui a fini par méchamment partir en cacahuète du temps de son prédécesseur Sepp Blatter. Puis, pourquoi ne pas aussi faire un peu de football politique et montrer que ce sport-monde peut contribuer à apaiser quelque peu des tensions entre nations, ou tout du moins essayer de réamorcer le dialogue par le langage universel de la frappe enroulée dans la lucarne. En 74, RFA et RDA ont bien été obligés de ne pas s’ignorer le temps d’un match hautement symbolique. En 98, Américains et Iraniens ont posé ensemble pour la photo d’avant le coup d’envoi. Ce ne sont là que les exemples les plus connus en la matière.

Infantino « prêt à aider »

Infantino veut provoquer son RFA/RDA ou son Iran/USA, il veut que son mandat serve une cause géopolitique. En visite en Corée du Sud pour l’un de ses premiers déplacements en tant que président de la FIFA, il a dégainé cette idée : « Nous devrions rassembler tout le monde autour d’un terrain de football… Je suis prêt à aider de quelque manière que ce soit. » Tout le monde, autrement dit la sélection sud-coréenne locale et sa voisine du nord, pour que les deux se fassent des bisous dans le cou et oublient plus de soixante ans de guerre froide virant parfois au tiède.

C’est mignon, louable et tout, mais sans passer pour des cyniques, il faut reconnaître que les doutes l’emportent concernant l’efficacité d’une telle initiative au-delà de la durée de la rencontre. Après tout, RFA et RDA ont continué de vivre avec un mur les séparant plus de quinze ans après leur confrontation au Mondial, de même qu’Iraniens et Américains commencent seulement aujourd’hui à rouvrir le dialogue diplomatique, dix-huit ans après la Coupe du monde en France…

Premier derby de l’histoire en 1978

Surtout, il est ici question d’une potentielle rencontre entre deux frères ennemis, séparée depuis la fin supposée – car toujours pas officiellement déclarée – de la Guerre de Corée en 1953 par une zone tampon au niveau du fameux 38e parallèle. Au nord, le dernier parti staliniste encore au pouvoir dans le monde continue de diriger d’une main de fer la population, avec le troisième dictateur en place, Kim Jong-un et son obsession pour les missiles qui font peur à l’Occident. Cette semaine encore, il aurait testé le lancement d’un gros engin de type Musudan, capable d’atteindre une cible jusqu’à 4 000 km de distance. Tentative couronnée d’échec, mais le gamin turbulent ne compte pas s’arrêter là et les observateurs craignent qu’il profite du prochain congrès extraordinaire du parti unique pour procéder à un essai nucléaire…

Au sud, on se lasse des réguliers coups d’éclat de ces bizarres cousins éloignés qui les obligent à mener une géopolitique de la sanction et de la fermeté. Alors le football, dans tout ce marasme, n’a tout de même que très peu d’espoirs de changer la donne et de réchauffer les relations entre les deux voisins. D’ailleurs, ce possible match amical souhaité par Gianni Infantino ne serait pas une première : par seize fois déjà les sélections masculines A de Corée du Sud et du Nord se sont affrontées sans que ça n’entraîne ne serait-ce qu’un début de rapprochement ou de réconciliation. Le premier a eu lieu en 1978 à Bangkok à l’occasion des Jeux asiatiques (0-0), le dernier en date à Wuhan en Chine en août dernier à l’occasion de la Coupe d’Asie de l’Est, un tournoi mineur (encore 0-0). Le bilan : 7 victoires sud-coréennes, 8 nuls et seulement 1 victoire nord-coréenne.

Boycott d’hymne et suspicion d’empoisonnement

Cet unique succès (1-0), les Nord-Coréens l’ont obtenu en 1990, à l’occasion de la seule confrontation organisée en Corée du Nord, au stade Kim Il-sung de Pyongyang. Pour les quinze autres matchs, ils ont eu lieu soit chez le voisin du sud, soit sur terrain neutre, et presque toujours sous tension. Exemple lors des qualifications pour le Mondial 1994 : un an avant à Doha, les Sud-Coréens l’emportent 3-0 – et se qualifient d’extrême justesse aux dépens des Japonais – face à des Nord-Coréens honteux qui quittent la scène internationale les cinq années suivantes. Lors des qualifications pour la Coupe du monde 2010, c’est cette fois Shanghai qui doit accueillir les deux matchs « à domicile » de la Corée du Nord, car les autorités de Pyongyang refusent que l’hymne sud-coréen résonne dans le stade. Et quand c’est à Séoul que ça se passe, c’est encore pire.

En avril 2009, toujours lors de cette même houleuse campagne de qualification, le staff nord-coréen réclame le report du match, car trois des membres de la sélection auraient été empoisonnés dans leur hôtel et seraient cloués au lit. La FIFA écarte la requête, mais l’incident diplomatique passe tout proche… Pourtant, cette tension n’empêche pas les deux peuples de garder des liens « familiaux » aussi ténus que complexes à lire. En 2002, la presse du régime nord-coréen avait très officiellement félicité les Sud-Coréens pour leur parcours à l’occasion de leur Mondial organisé conjointement avec le Japon. Et récemment, un sondage réalisé en Corée du Sud révélait ceci : en cas de confrontation entre une sélection nord-coréenne et les États-Unis, plus de 70% des personnes interrogées décideraient de soutenir le voisin, quand seulement 7% encourageraient spontanément l’adversaire. Merci aux Yankees d’unir les rivaux coréens dans une cause commune.

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Par Régis Delanoë

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