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Droits TV : le flou artistique espagnol
Après la vente record des droits télé de Premier League, c'est au tour de la Liga de renégocier son pactole. Pour la première fois, la LFP et ses clubs s'apprêtent à copier le modèle européen en vigueur, à savoir une répartition collective. Un changement qui ne se fait pas sans contretemps.
De « connard » à « mon ami » , il n’y a qu’un pas. Alors que les relations entre les présidents de la Ligue de football espagnole et de la Royale Fédération semblaient plus distantes que jamais, les deux hommes se sont rabibochés en un courrier. Signée par Miguel Angel Villar, homme fort de la RFEF, la missive propose à Javier Tebas, big boss de la LFP, de trouver une solution bipartite au sempiternel problème de la répartition des droits télé. En des termes plus bureaucratiques, la Fédération soumet l’idée de « la constitution d’une commission mixte formée par les représentants des deux institutions, avec pour objectif d’avancer dans cette importante question qui affecte le football espagnol et de pouvoir offrir au gouvernement d’Espagne une solution globale dans tout le football national » . Car plus que le conflit qui oppose depuis un an ces deux institutions, c’est bien la bande à Rajoy qui bloque le processus. Délaissé par les autorités étatiques, le football espagnol s’apprête donc à trouver une solution en interne. Sous peine de voir son pactole des droits télévisuels fondre comme neige au soleil. Explications.
Le gouvernement et ses peaux de banane
Les hommes politiques n’ont peur de rien. C’est même à cela qu’on les reconnaît. Rapidement, Miguel Cardenal a été démasqué. Président du Conseil supérieur des sports, et donc membre du gouvernement de Mariano Rajoy, il n’a cessé de mettre des lapins aux dirigeants de la LFP. Le 19 novembre dernier, dans une conférence de presse organisée à Vigo, il promettait « qu’avant la fin 2014 ou durant le mois de janvier 2015 » un décret royal serait adopté. Ce décret de loi prévoyait la légalisation d’un modèle de répartition collectif des droits télévisuels entre tous les clubs de Première Division. Depuis, nada. Au début de ce mois, la Ligue, par l’intermédiaire de son président, n’était plus agacée. Elle était inquiète : « On met en danger notre situation sur le marché des droits audiovisuels et surtout nos droits internationaux pour les prochaines saisons » . Dans les faits, l’homologue espagnol de Frédéric Thiriez s’apprête à remettre en jeu les droits TV de la saison 2016-17. Pour la première fois de l’histoire du championnat espagnol, cette vente ne se fera pas club par club, mais collectivement.
Ce changement de système s’impose pour deux raisons. La première, connue de tous, est la trop grande différence entre le tandem Real Madrid-FC Barcelone et les autres. En chiffres, les deux mastodontes accaparent près de 50 % des 750 millions d’euros annuels à répartir. Sans loi obligeant une répartition collective, le président de l’Espanyol, Joan Collet, a prévenu : « Nous sommes prêts à agir si nous n’obtenons pas ce que l’on souhaite du gouvernement, nous sommes prêts à arrêter la Liga » . Bref, l’inextinguible déséquilibre des forces ne semble pas chagriner les autorités politiques d’Espagne. L’autre raison rime avec les chaînes payantes. Selon Javier Tebas, « l’Espagne a aujourd’hui quatre millions d’abonnés, alors qu’ils sont 15 millions en Angleterre. Cette différence fait que la Premier League reçoit plus d’argent à l’heure de vendre son produit » . Les prévisions de la Ligue estime ainsi qu’il faudrait doubler le nombre d’abonnés dans les trois, quatre ans pour suivre la cadence infernale imposée par le championnat outre-Manche. Sinon, la Liga se retrouverait comme la dernière roue du carrosse européen.
Villar reprend la main
Face au manque de solution apportée par le gouvernement, la Fédération vole donc au secours de la LFP et des clubs de Première Division. En jouant sur les règlements d’une FIFA qu’il connaît comme sa poche – sans l’accord de la fédé, la répartition des droits peut être considérée comme nulle (article 78) –, Angel Maria Villar revient sur le devant de la scène. Loin du scandale du Qatargate ou de ses soubresauts de subventions avec ce même Miguel Cardenal, il apporte une solution qui ne nécessite pas un passage par la loi. Sa proposition de création d’une commission passe même plutôt bien auprès de la LFP. Composée de cinq membres de la Ligue (Tebas plus quatre présidents de club) et de cinq membres de la Fédération (Villar plus quatre présidents de club), elle devrait même se réunir d’ici peu dans les bureaux de la RFEF. Cette possible sortie de crise offre un grand bol d’air aux petites et moyennes équipes. Car le Barça et le Real se sont déjà préparés à un tel revirement de situation. Pis, les Blaugrana viennent même de signer un accord à hauteur de 180 millions d’euros avec Telefonica pour la prochaine saison. La crise ne touche pas tout le monde…
Par Robin Delorme, à Madrid