Ukraine de star
5 novembre 1997. Le soir où un Andriy encore méconnu fait du Camp Nou sa chose à l’aide d’un triplé, et devient le Shevchenko le plus célèbre de la mappemonde devant le poète national, Taras de son prénom. Autant dire que les supporters culés n’ont pas que des bons souvenirs de vacances à Odessa sous la main, quand on leur parle d’Ukraine. Amateur d’art et de funk rock, jazzman à ses heures perdues, groupie de Gabriel García Márquez et biker dans une autre vie, le jeune Chygrynskiy est pourtant prophète en son pays. Mais est-il capable d’incarner un Barça moderne, avant-gardiste même, synthétisant présence aérienne et relance progressive ? Promu capitaine du Shakhtar de Mircea Lucescu en 2007, à seulement 20 ans et à la place d’un certain Matuzalém, le chevelu d’Iziaslav écarte en tout cas les mirettes de Guardiola contre les Blaugrana en C1, quelques mois avant son transfert.

Avant d’être reversé en Coupe de l’UEFA, compétition que les Ukrainiens raviront au Werder Brême de Diego Ribas, « Dima » participe activement au 3-2 en faveur du Shakhtar à Barcelone. Des dégâts contrôlés du haut de son mètre 89, et une carte de visite qui prend de l’épaisseur. Josep Guardiola de Santpedor, lui, accélère les sérénades auprès de ses dirigeants. Or que fait-on pour convaincre un champion d’Europe et son club plein aux as ? On met le paquet. 25 millions d’euros, plus précisément. Un poids dont le grand Dmytro ne pourra jamais se défaire. Moins de soixante-douze heures après avoir été titulaire lors de la Supercoupe d'Europe 2009 entre son ancien et son futur club à Monaco, voilà Chygrynskiy présenté au Camp Nou le dernier jour du mercato estival. Dans l’ombre de Zlatan Ibrahimović, et juste à temps pour ne pas finir dans la catégorie des fax tardifs.
Une clause libératoire à 100 millions
En plus de la barrière de la langue et d’un salaire annuel avoisinant les 2 millions, le premier Ukrainien de l’histoire du Barça a droit à une clause libératoire ahurissante dans son contrat de cinq ans : 100 patates. Ses débuts face à Getafe tiennent la route, et Guardiola est sûr de son coup : « Avant même son premier match, j'avais la sensation que nous avions une recrue de choix. Après l'avoir vu jouer, je crois qu'il va apporter beaucoup au club, et pendant longtemps. Son intégration sera peut-être plus compliquée, en raison de sa provenance et de son prix. Mais si quelqu’un est responsable de ça, c’est moi, pas lui. » Des paroles osées dans les colonnes de Marca, qui n’auront pas l’effet escompté sur son nouveau protégé.

Ni une ni deux, Chygrynskiy perd ses repères dans un vestiaire de stars et ne sera qu’un éclat de mosaïque égaré dans le parc Güell. En un peu plus de 800 minutes de Liga, il cumule les sifflets, les approximations, les trous d’air et les fautes coûteuses. Les observateurs jugent que ses ressources mentales tapent dans le rachitisme. Il serait même arrivé blessé sur les Ramblas, avec les ligaments d'un genou affectés... Pataud, étourdi, bourreau des siens contre Séville en Coupe du Roi, visiblement trop éloigné du tiki taka et du joueur d’élite désigné, Dima devient « Jesucristo » : un objet de satire pour les ancêtres du Chiringuito. Un moyen de mordre les chevilles de son entraîneur, aussi, forcément. « À Barcelone, je n’ai jamais pensé que je jouerais instantanément, sans problème. Mais je ne savais pas, non plus, que ce serait si difficile. La pression du public, des médias, le style de jeu totalement différent... Au Shakhtar, c’est moi qui devais créer le jeu, au Barça je devais toujours faire la première passe à Busquets, Xavi ou Iniesta. C’est une chose de vouloir s’y imposer, c’en est une autre d’affronter la réalité » , avouera le défenseur central à froid, une fois loin de la Catalogne.
La réalité, c’est aussi cette guerre permanente autour de la présidence du Barça, avec Joan Laporta et Sandro Rosell en protagonistes principaux. Pris entre deux feux, le pauvre Dima devient vite un argument de campagne. Pour pousser Laporta - dont le second mandat se termine en juin 2010 - dans les orties, et lui assurer une piteuse sortie de scène, Rosell pointe du doigt le « flop ukrainien » recruté à prix d’or par son rival. Élu haut la main par les socios - à hauteur de 61,35 % -, cet as du marketing sportif va même au bout de son idée une fois en fonction. Alors qu’il devait servir d’acompte contre Cesc Fàbregas, tel une vulgaire tranche de steak, Dmytro Chygrynskiy retourne finalement au Shakhtar Donetsk, après onze mois de nuit noire. Le Barça s’en sort avec une moins-value de seulement 10 millions, mais Dima, lui, a déjà dit adieu aux sommets. Quelques déclarations guerrières et parades en bécane plus tard, cet inconditionnel des Red Hot Chili Peppers est trahi par son corps et s’échoue en Grèce. À 35 ans, il sert tant bien que mal de taulier à Ionikos, septième de Superleague. Un empereur parmi les coiffeurs ? Un comble pour « Chygy » qui a toujours évité ce commerce de proximité avec soin.

Par Alexandre Lazar
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