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Marcelo Gallardo, dernier esthète du siècle

Par Chris Diamantaire
Marcelo Gallardo, dernier esthète du siècle

Avant de devenir un entraîneur qui pourrait prétendre à tous les bancs au monde, Marcelo Gallardo a été un artiste qui rendait fous ses adversaires. Arrivé en Principauté à l'été 1999, El Muñeco aura fait de Monaco une toile de maître une saison durant. Trop peu pour laisser davantage qu'une trace éphémère sur le Vieux Continent, mais bien assez pour marquer d'une empreinte éternelle le Rocher.

Sur le Rocher, ce sont les princes qui règnent. Et sur le gazon, les princes portent le numéro 10. Depuis les années 1960, l’ASM a pris l’habitude de ne pas laisser son trône à n’importe qui, faisant de Louis-II une terre où les 10 sont tenus d’honorer leur flocage, malgré quelques régences inévitables. De Théo à Bernardo Silva en passant par Glenn Hoddle, la tradition s’est perpétuée dignement au fil des décennies. Les princes du ballon ont toujours quelque chose en commun, mais ils ne deviennent princes que par ce qui les différencie des autres princes. Si le règne court, mais intense de Marcelo Gallardo est l’un des plus mémorables qu’ait connus l’AS Monaco, cela tient avant tout à une raison : il est peut-être le seul ayant exacerbé des sentiments trop extrêmes pour l’atmosphère feutrée de la Principauté. Gallardo a régné trop fort, trop vite, aimantant en quelques mois seulement ce mélange irrationnel de passion, d’amour et de haine habituellement réservé aux stars clivantes des clubs populaires. À Monaco, les princes ont généralement le choix de s’envoler conquérir l’ailleurs ou de se laisser doucement faner par les années. Marcelo Gallardo, lui, s’est symboliquement fait abattre au sommet. Cela en fait un prince à part. Il n’a jamais connu un dernier carré de C1 ou exporté son talent dans un grand championnat du Vieux Continent comme d’autres, mais il a importé quelque chose d’inédit sur le Rocher : un parfum d’absolu.

 Un vrai chef, c’est celui qui demande la balle pour faire jouer l’équipe. Et il n’a pas à être désigné, il doit se voir sur le terrain. C’est le rôle qui fait le patron.

Une histoire de diagonales

« L’une des premières choses que David m’a dites quand je suis arrivé, c’est qu’il était fan de River Plate. Il m’a confié qu’il avait été marqué par l’équipe de River avec laquelle j’ai eu la chance de tout gagner au milieu des années 1990. Ses paroles m’ont touché et m’ont permis de me sentir à l’aise d’entrée. Ses yeux se mettaient à briller quand il évoquait cette équipe de River qui l’avait tant fait rêver. » Comment les destins s’aimantent-ils jusqu’à se lier ? C’est toujours une histoire d’émotions qui entrent en collision, de rêves qui en alimentent d’autres jusqu’à façonner une réalité. À l’été 1999, orphelin de la magie d’Ali Benarbia depuis un an, David Trezeguet est encore un gamin exilé en train de digérer sa conquête du monde, et Marcelo Gallardo déjà un homme prophète en son pays qui se doit d’étendre son territoire. L’un et l’autre ont de quoi s’admirer et s’envier. Alors, ils se respectent et se lient. Cela aurait pu ne jamais arriver. Ou arriver ailleurs. Lorsqu’il pose ses crampons en Principauté, Marcelo Gallardo est un génie déjà reconnu, mais un génie en cristal. L’Europe tergiverse après lui avoir fait la cour, et les clés du jeu de l’Albiceleste lui sont souvent prêtées, mais jamais totalement confiées. Alors que le PSG s’est cassé les dents sur les exigences de River avant le mondial 1998 en se voyant refuser une offre de 90 millions de francs, les décideurs de l’ASM, eux, profitent des difficultés financières du club argentin et raflent la mise pour presque deux fois moins. « Monaco a bénéficié du renoncement des clubs italiens et espagnols après la Coupe du monde. Ils se posaient des questions sur sa fragilité physique et musculaire », expliquera quelques mois plus tard Henri Biancheri, alors directeur sportif de l’ASM.

Coup d’État

« Un vrai chef, c’est celui qui demande la balle pour faire jouer l’équipe. Et il n’a pas à être désigné, il doit se voir sur le terrain. C’est le rôle qui fait le patron », tonnait le meneur de jeu à l’automne 1999. Placé à gauche d’un quatuor offensif où il avait le choix de « valoriser la personnalité » de Simone, Trezeguet ou Giuly, la prise de pouvoir d’El Muñeco – la poupée – sur le jeu monégasque a été fulgurante : « Je n’ai même pas fait la présaison, car je revenais d’une blessure au genou. J’ai commencé à jouer pratiquement sans m’être entraîné. Mais l’équipe était tellement forte qu’après trois ou quatre matchs, la mécanique s’est mise en place comme si on se connaissait depuis toujours. On se comprenait à la perfection. Je n’avais jamais vécu cela dans ma carrière. » Mais la chute d’un prince en dit toujours un peu sur son règne. Celle de Gallardo s’est donc faite brutalement, dans la violence, réelle et symbolique. Elle s’est jouée sur les terrains et en dehors, de la part de ses propres dirigeants et même dans la presse. « Gallardo devait finir par payer et je dis même qu’il va encore payer ! Même si c’est un joueur d’exception, en provoquant ainsi et en manquant autant de respect pour les autres, il n’a pas sa place dans le championnat de France », osera même Serge Blanc, défenseur de l’OL, dont, il est vrai, le visage était un jour entré en communion avec la salive de l’Argentin.

Lyonnais également, mais moins rancunier, Vikash Dhorasoo, confiait plus récemment que le maestro monégasque, « un joueur de malade » à qui il était « impossible de prendre la balle », était tout bonnement l’adversaire le plus fort qu’il ait eu à affronter durant sa carrière. Gallardo était un esthète qui ne craignait pas d’embrasser les coups, c’était là tout son charme. En février 2000, deux mois avant l’embuscade dans le tunnel du Vélodrome, l’AS Monaco peut déjà presque entériner son titre de champion dans un match au sommet à Gerland. Victime d’une quinzaine de fautes en moins d’une heure et contraint de sortir sur civière après une agression de Sonny Anderson, le meneur de jeu est déjà au centre de toutes les polémiques. « C’est sur ce match à Lyon que j’ai compris à quel point Gallardo était un phénomène, se remémore Bruno Irles, son coéquipier d’alors. Plus le match était violent, plus il y retournait. C’était énorme. J’en ai vu des joueurs techniques qui disparaissent dès qu’on leur met deux, trois tampons. Marcelo, lui, c’était l’inverse. J’ai rarement revu chez un joueur créatif cette capacité à se sublimer dans la difficulté. Et, en plus, il n’avait pas le gabarit, ce n’était pas Zidane physiquement, il n’avait pas les cuisses de Benarbia… Mais c’était un phénomène. Un joueur de rue, un Argentin… Je n’en ai pas connu d’autres comme lui. »

Plus le match était violent, plus il y retournait. J’en ai vu des joueurs techniques qui disparaissent dès qu’on leur met deux, trois tampons. Marcelo, lui, c’était l’inverse. Il avait cette capacité à se sublimer dans la difficulté.

Prince déchu

« Je ne suis provocateur que sur la pelouse. Et si ça dérange mes adversaires, je m’en fous.(…)C’est sur le terrain que tout doit se passer. » Sur scène, tout est permis, surtout le spectacle. Tel était le credo de l’artiste, décrit hors des pelouses comme « un mec extraordinaire, d’une grande gentillesse. » Increvable sous les lumières, celui dont Maradona disait qu’il était « un joueur qui ouvre la voie » n’a pourtant pas su échapper à l’obscurité des coulisses. Le 7 avril 2000, l’AS Monaco se déplace au Vélodrome pour tenter de faire coup double : valider mathématiquement un titre qui lui est promis depuis l’hiver et pousser l’OM vers le précipice. « Marseille se battait pour le maintien et on en a parlé dans la semaine. Des coéquipiers avaient des échanges avec des joueurs marseillais. L’un d’eux est venu me voir la veille pour me dire : « Écoute Marcelo, ça va être chaud, ils vont venir te chercher. » Moi, j’ai ri. J’ai même pensé : « Bon, un peu d’atmosphère argentine ! » Et ils ont insisté : « C’est vraiment sérieux. » Et je me suis dit : « Qu’est-ce qu’ils peuvent me faire ? Me donner des coups de pied comme à Lyon ? Quoi d’autre ? »  » Avant la rencontre, Blondeau gifle Simone et donne le ton de la soirée. Pas de quoi perturber Gallardo qui joue sa partition, prend son traitement habituel et se mêle aux échauffourées en première période.

À la pause, le meilleur joueur du championnat traîne un peu et rejoint le tunnel parmi les derniers. Les caméras ont disparu, mais les témoins ne manquent pas : « Marcelo ne peut pas se défendre. Les gars de la sécurité se mettent entre nous, le staff, qui voyions que ça allait mal se passer, et lui. Ils nous disent : « Ne vous inquiétez pas, on est là. » Alors qu’ils l’amenaient à l’échafaud. Ils le tiennent par les mains et ils montent les escaliers… Et là, les coups », se remémore Jean Petit, alors adjoint de Claude Puel. Après une première altercation avec Galtier, l’Argentin, maintenu par un membre de la sécurité, est passé à tabac par plusieurs joueurs marseillais : « J’ai pris des coups de pied et des coups de poing de partout. C’était une belle expérience… (Rires.) Je suis retourné aux vestiaires ensanglanté. Mes coéquipiers étaient assis sur les bancs, comme si de rien n’était. Cette image m’a rendu fou. J’ai commencé à leur crier dessus. Au milieu du vestiaire, il y avait une table avec du jus, de l’eau, du café… Je l’ai attrapée et je l’ai jetée, j’ai renversé toute la merde et j’ai crié toutes les insultes qui me venaient. »

 De tous les meneurs de jeu que j’ai vus passer au club, il y en a eu deux au-dessus des autres : Hoddle et Gallardo. C’étaient des magiciens.

Prince déçu

L’ancienne idole du Monumental, expulsée par l’arbitre dans la foulée pour « avoir mis le bordel », n’a presque que faire de ses ennemis : il se sent trahi par les siens. « Marcelo n’a pas été marqué par l’événement en lui-même. J’en ai reparlé avec lui il y a deux ans à River, explique Bruno Irles, qui a parfait sa formation d’entraîneur à ses côtés. Ces situations où il se faisait taper, il les avait déjà vécues. Mais le manque de soutien de sa direction et même de nous, ses coéquipiers, c’est ça qui l’a marqué. Barthez venait de Marseille… À Marseille, il y avait d’anciens Monégasques… Marcelo ne connaissait pas les connivences qu’il pouvait y avoir. On ne va pas dire que Barthez a facilité le problème. Mais il y a eu ce problème. Et, derrière, Marcelo n’a pas compris certaines accolades, le manque de soutien… Ce qui est difficile, c’est qu’on est à l’AS Monaco. Pour y avoir travaillé plus de vingt ans, l’image, c’est : tu me donnes un coup sur la joue droite, je tends la gauche. On ne répond pas parce que l’image est importante pour la Principauté. » Après quelques déclarations belliqueuses de façade, Jean-Louis Campora, patron de l’ASM, mais aussi vice-président de la Ligue, renfile son costume de diplomate et décide de ne pas enfoncer l’OM. « Gallardo sentait que le club ne l’avait pas aidé, reconnaît Jean Petit. La diplomatie… Je crois qu’il y a eu un transfert entre les deux clubs pour calmer l’affaire… On a connu les années Tapie… C’était difficile à accepter. Avec Arsène (Wenger), Claude (Puel), Jean-Luc (Ettori), on connaît les trucs… L’affaire n’a pas vraiment eu de répercussions à la Ligue ou à la Fédé. Comme si ça avait été classé sans suite. Les seuls qui ont essayé de faire la guerre pour Gallardo, c’est l’UNFP argentine. »

La cassure au sein du club, bien qu’adoucie par le titre acquis la semaine d’après, est irréparable. Le génie de Gallardo est-il mort dans ce tunnel ? Pas tout à fait. Mais, si l’Argentin a continué à manier le sceptre avec brio de temps à autre, son envie de gouverner le jeu n’a plus jamais semblé aussi viscérale. Car son Monaco, lui, était déjà mort. Était-il plus fort que celui des autres princes ? Probablement pas. On ne peut mettre à son crédit la longévité, l’aura européenne ou les folies statistiques dont peuvent se targuer d’autres grandes équipes de l’ASM. Mais sa force réside justement dans le fait qu’il n’en a pas eu besoin. Il laissait dans son sillage une impression, une sensation, un parfum. Un parfum qui ne tient pas, mais qu’on n’oublie pas. « Il n’avait pas la maturité du Monaco 1997. Mais ce qui était marquant, c’est cette impression de découvrir un nouveau football, de nouveaux types de joueurs, ce football sud-américain. J’avais la sensation de m’ouvrir au football international. Gallardo, Márquez… Ils m’ont apporté une autre vision », souligne Bruno Irles. Du haut de son demi-siècle sur le Rocher, Jean Petit appuie d’un dernier regard : « Esthétiquement, c’était… Ce Monaco fait à mon sens partie de ceux qui ont fait le style, l’âme de Monaco avec celui de 1960-1963 et celui de 1978. Et, de tous les meneurs de jeu que j’ai vus passer au club, il y en a eu deux au-dessus des autres : Hoddle et Gallardo. C’étaient des magiciens. »

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Par Chris Diamantaire

Propos de Bruno Irles et Jean Petit recueillis par CD, ceux de Marcelo Gallardo extraits de sa biographie Gallardo Monumental (Diego Borinsky, Aguilar, 2016), de la biographie de David Trezeguet Bleu Ciel (Florent Torchut, Hugo Sport, 2016) et d'interviews accordées à France Football en octobre 1999 et mars 2000, et ceux de Serge Blanc issus du Parisien.

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