Le dictateur détaillait juste avant sa mort les raisons extra-sportives qui les avaient conduits l'un vers l'autre, un beau condensé de 50 ans de géopolitique à l’échelle individuelle. « Comme Latino-Américains, nos relations n'ont alors jamais été aussi étroites. Tu as triomphé des épreuves les plus difficiles, comme athlète et comme jeune d'origine modeste. (...) Naturellement, Diego, je n'oublierai jamais l’amitié et le soutien que tu as toujours apporté à Hugo Chávez, promoteur du sport et de la révolution d'Amérique latine et des peuples opprimés du monde. » Ironie folle de l'histoire, les deux hommes sont décédés le même jour, un 25 novembre (2016 pour Castro).

Maradona, le rebelle, malgré tout...
Tout était dit, de quoi faire chavirer le cœur romantique d’une gauche qui parfois oublie son rationalisme pour se (re)tourner vers Péguy, notamment en France, ou toute une génération rêva de révolution tropicale, de Régis Debray à Pierre Goldman jusqu’aux dérives brésiliennes d’Olivier Besancenot. Aucun footballeur ne pouvait mieux représenter ce mélange des genres. Et se frayer un chemin sur les tifos, voire imposer sa tête au milieu des tee-shirts militants entre Marx, Engels et Lénine. Il était abrasif, compliqué, il forçait à réfléchir l’humain, à questionner la politique et à aimer le foot autrement que par la sagesse disciplinée d’un Pelé ou l’évidence patriotique d’un Platini. Pour aimer Maradona, il fallait être dialecticien. Lire Gramsci autant que L’Équipe. Oser se dire que rien n’est simple, sortir des lieux communs, passer par-dessus sa défense douteuse du régime iranien, et le fourre-tout cocaïné de sa révolte et de ses valeurs. Il fallait aimer aussi le maestro, communiant avec le peuple napolitain, mais avec la Camorra et les manteaux en fourrure sur les épaules.
Quittons la forme pour le fond. Si nous devions nous poser la seule question qui vaille, ce serait surtout en quoi Maradona a-t-il apporté une vraie définition de gauche du foot. La réponse ne provient plus de ses prises de position, mais de ses dribbles. Elle tient en quelques mots et instants de grâce et de subversion (en Amérique latine, le gauchiste prie souvent) lorsque, contre l’infâme perfide Albion, peu de temps après les Malouines, il a remis son pays sur la mappemonde « du bon coté de la barricade des crampons » , à coté du Brésil de Sócrates. Il humilia les Anglais, d’abord d’un but fou et espiègle d’enfant des rues, un foot égoïste dans un sport collectif, puis avec cette main de dieu, donc. Cette vengeance. Cette appropriation d’un loisir de gentleman, par la ruse populaire, par le génie des pauvres et des favelas. La bravade révolutionnaire absolue. Maradona a détruit, réduit en miettes capitalistes l’âme bourgeoise anglo-saxonne du foot en transformant un but de la main en l’un des gestes les plus marquants de l’histoire du foot. Les héros du peuple sont immortels, leurs buts aussi.
Par Nicolas Kssis-Martov
Vous avez relevé une coquille ou une inexactitude dans ce papier ? Proposez une correction à nos secrétaires de rédaction.