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« Défendre les droits des supporters »

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Daniela Wurbs est supportrice du club hambourgeois de Sankt Pauli et responsable de Football Supporter Europe. Dans un anglais parfait, elle promeut l'union des supporters au niveau européen afin de faire valoir leurs droits et leurs intérêts. Et elle prend la défense de la culture ultra, face aux préjugés dont celle-ci fait, selon elle, l'objet.

Pouvez-vous présenter Football Supporters Europe (FSE) ?

FSE est un réseau européen indépendant, organisé démocratiquement. Nos membres viennent de 37 pays. Ce sont des supporters individuels mais aussi des groupes. Ils adhèrent à une charte avec des principes fondamentaux : lutte contre toutes les discriminations ; refus de la violence ; lutte pour donner du pouvoir aux supporters ; promotion d’une culture supporter positive, notamment autour du fair-play et de la bonne gouvernance du football.Auparavant, il existait des contacts ponctuels entre supporters au niveau international, mais il n’y avait pas de structure propre, capable de représenter leurs intérêts en Europe. C’est comme ça qu’est née l’idée de FSE. Le football est de plus en plus globalisé, les intérêts des clubs, des joueurs sont représentés par des institutions. On estime que les supporters jouent également un rôle majeur dans cette globalisation du football. Donc il faut aussi qu’ils soient représentés au niveau européen. Et puis c’est aussi l’occasion de se rencontrer, apprendre les uns des autres et passer de bons moments ensemble.

Quelles sont vos relations avec les institutions européennes ?

L’UEFA n’est pas aimée par les supporters en général, ni par beaucoup de nos membres. Et dans le même temps, l’UEFA a ouvert un dialogue avec les supporters. Nous percevons un financement de leur part, qui constitue une grande partie de nos ressources. Néanmoins, ce partenariat se fait à deux conditions, définies au départ avec l’UEFA. D’abord, nous avons besoin d’être indépendants, sinon on perd notre crédibilité auprès des supporters. Ensuite, si à l’UEFA, ils ne sont pas d’accord avec ce qu’on fait, ils doivent faire avec. S’ils veulent une voix représentative des supporters, il faut qu’ils acceptent que les supporters n’aiment pas toujours ce que fait l’UEFA. De la même manière avec la Commission Européenne et le Conseil de l’Europe, nous avons un siège permanent d’observateur et participons à un comité pour la prévention de la violence. Cependant, nous ne voulons pas être perçus comme avalisant toutes les décisions qu’ils prennent. Au contraire, nous nous réservons le droit de manifester nos désaccords et de les rendre publics. Cette posture est parfois difficile pour maintenir le dialogue, mais ça nous paraît essentiel pour rester indépendants et donc crédibles.

Vous défendez l’usage de la pyrotechnie : pourquoi ?

Nous prenons la défense d’un usage contrôlé et sécurisé de la pyrotechnie, parce que nous savons que beaucoup de supporters sont très attachés à l’usage de fumigènes comme une manifestation très importante du soutien à leur équipe. A l’inverse de ce que les médias ou les autorités ont l’habitude de dire, on ne pense pas que la pyrotechnie relève forcément du hooliganisme. Nous croyons vraiment que la pyrotechnie est un aspect essentiel de la culture ultra. Si on laisse les supporters s’autocontrôler lorsqu’ils utilisent les fumigènes, nous pensons qu’ils peuvent le faire sans dommage. Dans beaucoup de pays européens, l’utilisation de fumigènes est illégale, mais ils sont quand même utilisés. Et on observe que beaucoup de problèmes sont en fait dus au fait que ce soit illégal : les gens entrent en douce du matériel pyrotechnique de mauvais qualité, ils ne l’utilisent pas en toute sécurité et le jettent souvent sur le terrain ou par terre afin de ne pas être identifiés avec une torche à la main. Dans le même temps, dans des pays comme l’Autriche ou la Norvège, où les fumigènes peuvent être utilisés avec prudence, il n’y a pas d’incidents majeurs. En Allemagne, il y a eu une initiative portée par plus de 50 groupes de supporters réclamant la légalisation des fumigènes. Ils ont eu une réunion avec la fédération allemande de football, il y a quelques semaines, et celle-ci s’est déclarée ouverte au dialogue sur cette question.

Quel est le programme de votre congrès ?

Il se tiendra de vendredi à dimanche au Danemark. C’est la quatrième réunion de ce type. On attend plus de 300 supporters issus de plus de 30 pays d’Europe. Ca devrait être un week-end très chaleureux. On va discuter des questions relatives au quotidien des supporters comme les déplacements, la violence, les conditions dans et autour du stade pour les supporters visiteurs, l’état actuel des mesures de répression. Nous organisons un tournoi contre le racisme et les discriminations, qui sera l’occasion de présenter l’activité antiraciste des groupes de supporters. Nous aurons également une session où nous présenterons les initiatives actuelles en vue de la légalisation de la pyrotechnie en Allemagne et en Norvège. Une autre sera axée sur les supporters danois, la sécurité et le dialogue avec les autorités. Nous parlerons enfin de l’augmentation du prix des places pendant les compétitions européennes. Il y a normalement une réglementation pour le prix des places, mais on a observé que des supporters venant d’Angleterre ou d’Allemagne, lorsque leur équipe joue en Italie ou en Belgique, paient plus cher leurs billets que les supporters locaux. Ce qui est contraire au règlement de l’UEFA. On veut que tous les supporters soient traités équitablement, il devrait même y avoir des prix « sociaux » , puisque les supporters dépensent déjà beaucoup d’argent pour se déplacer à travers l’Europe.

Que pensez-vous de la situation des supporters français ?

C’est très inquiétant de voir que les autorités se réfugient exclusivement derrière la répression. L’année dernière, en janvier, j’étais au congrès national des associations de supporters, à Paris, organisé par le ministère des sports. J’ai trouvé que c’était un premier pas intéressant. De nombreux groupes de supporters étaient présents et les autorités ont écouté ce qu’ils avaient à dire. Mais un mois après, un supporter du Paris Saint Germain mourrait aux abords du Parc des Princes et ça a entraîné un changement total de politique que je trouve très préoccupant. Quand on regarde à travers l’Europe, partout où la question de la violence a été traitée exclusivement sous l’angle de la répression, sans aucun dialogue avec les supporters, on a vu que le problème empirait. C’est aussi ce qui s’est passé en Allemagne. Dans les années 80, il y avait beaucoup de violence autour des stades, et la seule solution décidée par les autorités était un renforcement policier : au final, il n’y a eu aucune amélioration. Alors le gouvernement a nommé une commission d’enquête pour se pencher sur le sujet. Dans l’ensemble, les résultats ont montré que la répression n’était pas la seule solution et qu’il fallait renouer le dialogue avec les supporters. Une politique préventive s’est donc développée à partir des années 90. Maintenant, dans chaque club en Allemagne, il y a un responsable chargé du dialogue avec les supporters. Au niveau national, la fédération et la ligue ont également un responsable dont la seule tâche est le contact avec les supporters.

[page] Quel regard portez-vous sur les groupes de supporters français ?

Ce qu’on observe parmi les supporters français, c’est qu’ils se connaissent mais qu’il n’y a pas de réseau organisé au niveau national. Il y a eu une coordination nationale des supporters, mais je crois qu’elle a cessé d’exister. Mon impression aussi, c’est que les autorités politiques et sportives françaises ont une position très dure sur la façon de traiter la violence dans les stades. Les supporters n’obtiennent pour seules réponses à leurs revendications que davantage de répression et de police, en tout cas c’est ce que nous disent les supporters français que nous connaissons. Je trouve ça inquiétant et je pense qu’il faudrait que les supporters français s’unissent pour se faire entendre contre la répression et se battre pour leurs droits. Il y a certes des problèmes de violence de la part des supporters en France, mais c’est le cas dans toute l’Europe. La question est de savoir comment on les appréhende. J’ai été à Marseille et à Metz : il me semble que les groupes de supporters français sont vraiment variés et divisés. Certains groupes ne se parlent pas du tout entre eux. D’un côté, je le comprends, car si certains supporters ont des attitudes discriminatoires, c’est très difficile de parler avec eux quand on est contre ça. D’un autre côté, je pense qu’il y a beaucoup de supporters dans les mêmes dispositions d’esprit qui devraient partager des principes communs. Pourtant, ils ne trouvent pas les moyens de se mobiliser pour défendre ensemble leurs intérêts. Au fond, je pense que leurs rivalités sont plus fortes que le désir d’améliorer leur situation.

Quelle est l’implication des supporters français dans la FSE ?

Je dois admettre qu’il y a très peu d’implication des supporters français dans la FSE. Seul un club de supporters est membre de la FSE, c’est d’ailleurs un groupe fortement connecté avec les supporters allemands. Je pense que c’est dû au manque d’expérience des supporters français pour créer des contacts entre eux. Par exemple, en Allemagne, ce travail collectif est bien établi parmi les supporters. Pour eux la représentation à l’échelle européenne de leurs intérêts est très importante parce qu’ils en tirent les bénéfices dans leur propre pays. En France, je suppose que les supporters ne voient pas vraiment les avantages d’être membres de la FSE. Personnellement, comme tous les membres du réseau, j’aimerais voir les supporters français unis et engagés pour défendre leurs droits. S’ils appartenaient à la FSE (enfin, je ne veux pas faire la promotion de notre organisation), ce serait un bon moyen pour eux de se défendre et de faire entendre ce qu’ils ont à dire.Quand nous avons commencé, beaucoup d’ultras étaient méfiants, parce que la seule chose qu’ils connaissaient de nous c’était qu’on percevait un financement de l’UEFA. Depuis beaucoup de groupes ultras nous ont rejoints et ils ont vu les avantages qu’on peut leur apporter.

La FSE cherche à redorer l’image de la culture ultra. Comment expliquez-vous qu’elle soit si négative ?

Je pense que c’est dû à deux choses. Dans un premier temps, le mot « ultra » sous-entend dans l’opinion publique un point de vue extrême, ce qu’il est. Les ultras se considèrent comme les supporters les plus fanatiques de leur équipe. Ils apportent une certaine culture de l’expression visuelle et acoustique dans le stade, qui à ses débuts était complètement nouvelle pour les supporters plus traditionnels. Le sens général du mot ultra et l’exploitation qui en est fait dans l’opinion publique sont associés à une manière extrême de manifester un soutien à leur équipe qui n’est pas toujours bien vue. En outre, je pense qu’il y a une ressemblance visuelle entre ultras et hooligans. Bien que la culture ultra n’ait pas du tout les mêmes visées que le hooliganisme et relève d’une démarche foncièrement constructive, il existe des ressemblances superficielles, surtout visuelles, entre ultras et hooligans (les ultras forment souvent des groupes fermés, caractérisés par une très forte cohésion interne et ils ne portent généralement pas les maillots et les autres accessoires traditionnels aux couleurs du club, mais plutôt des vêtements de ville). Ces ressemblances sont souvent mal interprétées, par les journalistes notamment. Du côté de la police également, on n’a pas suivi l’évolution de la culture ultra et on continue de l’associer, à tort, au hooliganisme.Après, il est indéniable que des groupes ultras ont été impliqués dans des épisodes de violence. Ces incidents ont été très médiatisés, ce qui a conduit à assimiler la culture ultra au hooliganisme. Or, les travaux scientifiques montrent que, si certains de ces incidents s’expliquent effectivement par le comportement violent d’ultras, la plupart trouvent leur origine dans le traitement disproportionné ou indifférencié des groupes ultras, notamment par les policiers et les stadiers, qui provoquent parfois eux-mêmes les incidents. Cette manière d’assimiler la culture ultra au hooliganisme tend à renforcer l’image négative que les médias donnent des ultras.
Certains spécialistes considèrent que, si des groupes ultras commettent aujourd’hui des actes de violence, c’est lié aux préjugés dont ils sont victimes. Leur comportement violent traduirait le raisonnement suivant : « Puisque vous nous traitez comme si nous étions tous des hooligans, ne vous étonnez pas que nous nous mettions à nous comporter comme eux » . Bien sûr, ces circonstances n’excusent absolument pas les violences commises, mais pourraient constituer l’un des principaux éléments d’explication du phénomène complexe de la violence dans le football.

Le phénomène ultra vous passionne !

Oui c’est un sujet vraiment fascinant. La culture du supportérisme peut varier d’un pays à l’autre, mais les problèmes restent les même pour tous les groupes d’Europe : des groupes ultras traités comme des hooligans. On essaie de faire face à ça, mais certains pensent qu’on ne pourra rien changer à cette vision, par nature négative, des supporters ultras.Nous on veut réunir les gens, comme lors de ce congrès, et leur montrer qu’en s’alliant, on peut arriver à faire des choses et se faire entendre. Nous avons constaté quelque chose d’important avec les membres du réseau FSE : quand les amateurs de football parviennent à s’organiser et qu’ils peuvent participer à un véritable dialogue, en tant que partenaires à part entière, quand leurs préoccupations et leurs intérêts sont pris en compte et que les supporters participent aux décisions, alors on note une nette amélioration des relations, une responsabilisation des supporters, et un recul des incidents, en particulier des violences.

Anthony Cerveaux, avec Nicolas Hourcade

Sur le sujet :

Conférence internationale sur les ultras, organisée par le Conseil de l’Europe en février 2010, avec la participation active de la FSE

Le livre vert du supportérisme, rédigé suite au congrès français des associations de supporters auquel a participé Daniela Wurbs au nom de la FSE

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