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Dan Smith : « Je suis une cible facile »

Propos recueillis par Paul Piquard
8 minutes
Dan Smith : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je suis une cible facile<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

« Il n'est pas fragile. Il a juste été détruit par un mauvais tacle. Le footballeur a besoin de la mobilité de sa cheville. À partir du moment où la mobilité de votre cheville est restreinte, vous compensez par autre chose. Il s'est fait tacler à Sunderland, il y a 6 ou 7 ans. Un tacle assassin qui n'a jamais été puni. Ça a restreint la mobilité de sa cheville. » Arsène Wenger n'a visiblement pas oublié Dan Smith, auteur du fameux tacle, le 1er mai 2006. Cela tombe bien, nous non plus. Explications avec un exilé.

Wenger a fait référence à ton « tacle assassin » sur Abou Diaby, il y a sept ans. Que penses-tu de ses commentaires ?

Ce n’était pas un tacle malveillant, il a eu d’autres blessures depuis, comme il en avait déjà eu avant. Qu’Arsène Wenger dise cela à la télévision… pour moi, il cherche un bouc émissaire. C’est mon opinion personnelle. Je n’ai jamais voulu blesser qui que ce soit, je n’ai jamais eu l’intention de faire mal. L’arbitre l’a bien vu, je n’ai pas reçu de carton rouge, je ne me souviens même pas si j’ai été averti (ce fut le cas, ndlr). C’était juste un tacle en retard, vous en voyez tous les week-ends. Il y a une chance sur un million qu’il y ait un blessé grave. Il a eu le ballon alors que j’étais déjà lancé. J’ai de la compassion pour lui, cela n’a pas été facile, il a connu beaucoup de blessures depuis. Mais si vous prenez l’ensemble de sa carrière, vous ne pouvez pas dire qu’il a raté sa vie à cause de cette blessure. La dernière fois que j’ai vérifié, il gagnait toujours 60 000 livres par semaine, alors que je bosse à plein temps en Australie. Si cela a été un obstacle dans sa carrière, évidemment que je lui présente mes excuses, mais il ne faut pas oublier qu’il y a des gens moins chanceux que lui.

As-tu essayé d’entrer en contact avec lui, après l’incident ?

J’ai essayé de prendre contact avec lui juste après. Après la rencontre, je suis passé sur Match of the Day pour présenter des excuses publiques et j’ai essayé de le contacter. Le club a fait passer mon message d’excuses et j’ai essayé de l’appeler directement, mais il ne m’a pas rappelé. J’ai présenté mes excuses, c’était la meilleure chose à faire. C’est pas de chance, mais on a vu des tacles encore pires depuis. Il y a eu Shawcross qui a brisé la jambe de Ramsey, mais on a vu le Gallois revenir et faire de très grosses saisons depuis. Quand on parle de blessures, je pense que je suis une cible facile.

À l’époque, ce tacle a reçu beaucoup d’attention, et tu as été sévèrement critiqué. Sunderland t’a soutenu ?

Le club a été fantastique. Kevin Ball, qui était le manager à l’époque, m’a toujours soutenu. Il me connaissait depuis mes 13 ans, et il savait que je n’étais pas un joueur méchant, j’ai même rarement été averti. Il m’a soutenu jusqu’au bout. Je n’étais pas seulement critiqué dans les médias, mais je recevais des menaces de mort au club, qui venaient de certains fans d’Arsenal. Ce n’était pas très sympa, mais je suppose que vous devez faire avec.

Tu es parti juste après. Six ans après, tu dirais que cela a grandement affecté ta carrière ?

C’est difficile de dire oui ou non. En quelque sorte, on me connaissait pour les mauvaises raisons. On dit que toute publicité est bonne à prendre, mais par mon expérience, j’ai appris que je ne pourrais jamais me débarrasser de cette image. On me connaissait comme le mec qui avait cassé la cheville de Diaby. Cela m’a affecté, rien que dans le football. C’est difficile quand on s’intéresse à toi pour le joueur que tu as blessé, plus que pour ce que tu peux montrer sur le terrain.

Ton parcours après Sunderland ?

J’ai signé à Aberdeen, en Écosse, pour 4 ans. J’y ai peu joué, je me suis pas mal blessé. À partir du moment où j’ai quitté Sunderland, je n’arrêtais pas d’enchaîner les blessures. Je revenais, puis je rechutais. Je suis allé à St Johnstone, puis Huddersfield, mais je suis arrivé à un point où les blessures prenaient le dessus sur moi également. Les clubs ne pouvaient plus prendre le risque.

Quel type de blessures as-tu subies ?

Beaucoup de blessures au genou. Je me suis fait le cartilage sur les deux genoux, deux fois, ainsi que les ligaments croisés, en plus de torsions. Cela montre que les blessures, si vous prenez mon exemple, font partie du métier de footballeur. La moitié de mes blessures graves ont été dues à de mauvais chocs. Les blessures m’ont aussi éloigné des terrains. Avec tout le respect que je lui dois, Diaby est un grand joueur, mais il a toujours eu la réputation d’être plus enclin que d’autres à se blesser. Ce qui s’est passé entre lui et moi est malheureux. Mais il y a des cas plus graves que le sien, dans des ligues inférieures, moins médiatisées, et cela m’énerve un peu. Il y a des tas de joueurs comme moi dont la carrière s’arrête brutalement, et qui doivent trouver un boulot pour vivre. Diaby a la chance de très bien gagner sa vie, au moins.

C’est assez ironique de constater que vos carrières ont connu une tournure similaire, non ?

Oui, mais si vous regardez le parcours de Diaby, il est toujours international français, malgré ses blessures. Il a quand même eu une carrière fantastique. Depuis la blessure qu’il a eue à cause de moi, il a représenté la France et c’est toujours un excellent joueur. C’est ironique, en effet, cela pourrait être le karma… je ne sais pas trop. Cela fait partie du foot. J’ai accepté le fait que certaines choses arrivent dans une carrière de footballeur. Vous savez, moi aussi, je rêverais d’évoluer toujours au top niveau. Vous ne devez pas avoir peur des événements. Vous arrivez sur le terrain en sachant que vous pouvez vous blesser, que ce soit sur une faute volontaire ou un moment anodin. C’est le foot.

Comment t’es-tu retrouvé en Australie ?

J’étais retourné en Angleterre. Je n’avais aucune proposition. Rien ne se passait, et je me suis dis que j’avais besoin de changement. Ici, le temps et le mode de vie des gens me plaisent bien plus que chez moi. Je travaille à plein temps et je joue encore au foot, à mi-temps, dans un petit club local. Je suis commercial. C’est un boulot normal. Je suis venu pour l’expérience, pour être honnête. Avec le club, je m’entraîne trois fois par semaine et je joue le week-end, mais ce n’est pas sérieux. C’est un niveau semi-pro, disons.

Cela t’arrive de repenser à ce moment, et de regretter ? Tu penses que les choses auraient été différentes sans ce tacle ?

C’était il y a six ou sept ans, mais même aujourd’hui, il ne se passe pas une semaine sans que j’y repense. J’avais 18 ou 19 ans, je débutais pour Sunderland, le club de ma ville, et c’était un rêve devenu réalité pour moi. J’étais appelé en sélection de jeunes avec l’Angleterre, j’étais un jeune espoir et les gens disaient du bien de moi. Je crois que cela a été le pire timing possible. C’était un tacle malheureux. J’arrivais en équipe première et jouer devant 40 000 personnes était tout ce dont j’avais toujours rêvé. Si je n’avais pas commis ce tacle, qui sait ce qu’il se serait passé ?

Tu as taclé à la dernière minute, alors qu’Arsenal menait déjà 3-0. J’ai lu que cela a renforcé l’incompréhension des gens à l’égard de ton geste. Tu voulais montrer que tu avais ta place dans l’équipe ?

Quand je suis entré en jeu, il restait 20 ou 25 minutes à jouer. Je savais qu’on allait perdre, et si je me souviens bien, nous étions déjà relégués. Kevin Ball m’a dit : « Tu es jeune, vas-y, donne tout ce que tu as. » Tu as 18 ans, tu joues devant 30 ou 40 000 personnes, tu es forcément hyper motivé. Je voulais l’impressionner, en me donnant à 100 %. Je voulais que les fans voient que j’étais prêt à défendre nos couleurs, même si nous allions perdre. C’était vraiment pas de chance. Je voulais juste donner le meilleur de moi-même. C’est un géant d’1 mètre 90, alors que je mesure 1 mètre 75. Ses jambes sont deux fois plus grandes que les miennes. Donc il a touché la balle alors que j’avais déjà lancé mon corps pour tacler.

Que répondrais-tu à Wenger ?

Arsène Wenger est un des plus grand managers dans le monde. Vous devez respectez ce qu’il dit, et je respecte le fait qu’il défende ses joueurs, ce que n’importe quel grand manager ferait. Mais en même temps, je trouve cela un peu dur de sa part de m’accuser d’être la cause de toutes les difficultés d’un joueur qui a eu 10 ans de carrière. Je crois qu’il a dit que « chaque footballeur avait besoin de sa cheville. » Mais tout le monde a aussi besoin de son genou, ou de sa tête. Tout le monde subit des blessures. Certains parviennent à revenir, et d’autres, malheureusement, n’y arrivent pas. C’est le football. Si je pouvais retirer le mal que j’ai commis, je le ferais. Malheureusement, je ne le peux pas.

Enfin, si tu pouvais parler à Diaby aujourd’hui, c’est la principale chose que tu dirais ?

Oui. J’ai joué contre lui en League Cup aussi, quelques mois avant. Arsenal était une équipe de stars, et à mes yeux, Diaby en faisait partie, même si nous avions le même âge. Je le regardais comme un modèle, et je n’aurais jamais souhaité lui faire mal. Un joueur qui est sur le terrain pour faire mal consciemment n’a rien à y faire. Si j’avais un message à lui délivrer, c’est que si j’avais le pouvoir de remonter le temps, je ne ferais pas ce tacle, évidemment. Ou je souhaiterais qu’il ne se blesse pas. Mais c’est la vie, et malheureusement, je n’ai pas ce pouvoir, malgré le fait que je serais toujours désolé pour ce fait de jeu.
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