Une faute de goût
Le désir absolu et obstiné de la Ligue d'imposer ce « truc » à la face de la patrie de Kopa et De Gaulle, et de sa grande famille du ballon rond, y compris en demandant presque de lui sacrifier la Coupe de France, constituait le running gag le plus affligeant et parfois angoissant, chaque saison. Tout s'avéra une faute de goût dans les choix qui se succédèrent. Au-delà de ses relations détestables avec les supporters, cela démontrait juste à quel point ce petit gouvernement du foot pro avait décidé d'ignorer toute dimension culturelle de ce qui cristallisait pourtant son fond de commerce, quitte à imaginer possible de le vendre, de bazarder le foot, à l'instar de n'importe quel « produit » de consommation. Les dernières moutures proposées pour réanimer la bête, puisque personne n'avait daigné en acquérir les droits télé pour 2020-2024 (ce que le naming BKT ne pouvait compenser), soulignent cette stratégie suicidaire. Il fut même suggéré de la transformer en une sorte de « Boxing Day » , toujours pour copier la perfide Albion. Voila qui démontre cruellement une parfaite incapacité à saisir le poids d'une tradition et le rôle d'une passion dans la dimension bankable du moindre match de milieu de semaine.
Comment arriver à comprendre cette volonté d'imiter à tout prix le modèle britannique ? En feignant surtout d'en ignorer l'histoire, l'ancienneté enracinée au cœur de la société de ces nombreux clubs, quel qu'en soit la dimension ou le prestige, leur rôle structurant dans les sociabilités populaires et enfin leur répartition géographique infiniment plus significative. La League Cup fut bien créée tardivement, elle n'avait rien d'artificiel. En France, le lent accouchement du professionnalisme au sein de cette nation où l'on joue plus au foot - amateur - qu'on ne remplit les gradins des stades de D1, ont modelé un autre rapport à cette sérieuse affaire qu'est le foot. Dans ce cadre, l'imbécile rivalité que la LFP instaura parfois avec la Coupe de France, héritage de la Grande Guerre et de notre amour républicain pour l'égalité, ne pouvait jamais tourner à son avantage. Certes, les joueurs des « grands » clubs pouvaient parfois râler quand il fallait arracher à la dure une qualification à Petit-Quevilly, voire connaître une humiliation face à une formation de PH. Il n'empêche. Aucune des multiples Coupe de la Ligue remportées par le PSG n'égalera jamais le trophée de 1982 contre Saint-Étienne.
Une victoire de la culture foot ?
Enfin, phénomène récent et déterminant dans la vie sociale et culturelle du foot, les supporters et les ultras n'ont jamais adhéré, sinon occasionnellement ou par opportunisme (cela reste un titre) à cette épreuve, ses horaires, ses rivalités. Et étrangement, alors qu'elle avait trouvé un semblant d'importance l'an dernier avec la victoire de Strasbourg et l'ambiance magnifique offerte par les fans alsaciens et bretons, justement ce paradoxe prenait tout son sens. Ajoutez-y que l'absence de débouché certain en Ligue Europa la prive aussi désormais d'un réel enjeu pour les prétendants.
Nous ne sommes pas à l'abri d'un énième rebondissement bien sûr. Et le pire se situe là. La Coupe de Ligue incarnait un foot business qui ne voulait pas s’embarrasser de respecter la culture foot, quand il était pourtant si simple de s'enrichir avec. Sa disparition témoigne que désormais, une seule sentence en une petite journée, après des années d’entêtement, peut suffire à tout arrêter, pour de simples calculs alarmants. De cela aussi, il faut s'inquiéter.
Par Nicolas Kssis-Martov
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