De Charles Simon à El Biar
Finalement, le plus grave ne fut pas certainement pas l'indigente et irrespectueuse prestation d'un PSG qui, pourtant, doit tout à cette compétition. Ici, encore, la mémoire a cédé la place à l'actualité d'Emery, l'équipe a pris le pas sur le club, avec un simulacre de bonheur pour les caméras. Comment imaginer que la plus populaire des compétitions, à tous les sens du terme (rappelons que tous les AS ou FC, outre-mer compris, peuvent s'y inscrire, quel que soit leur niveau), puisse être vidée à ce point de sa substance, de son âme, de sa place dans notre passé ? Le premier geste qui aurait pu embrasser dignement l'évènement aurait consisté à ne pas attribuer le trophée cette année au vainqueur sur la pelouse – surtout vu de quelle manière elle a été obtenue, seul le SCO sembla prendre conscience qu'il disputait une rencontre importante –, mais remis de manière symbolique à l'ensemble du foot français, c’est-à-dire ses associations locales ou corpos, ses centaines de milliers de bénévoles, ses passionnés, ses narrateurs, ses amoureux... S'il avait fallu convaincre quelqu'un à la Ligue ou à la Fédération, il aurait suffi de souligner que, sans ces derniers, les droits télé si chèrement négociés ne vaudraient sûrement pas grand-chose et que le multiplex finirait sur Eurosport.
Au lieu de cela, à quel moment avons-nous pu, en amont ou durant la rencontre, nous souvenir que la compétition est née lors de la Première Guerre mondiale, en honneur d'un certain Charles Simon mort au front, catholique converti à la cause du « football seul » , tout comme l'église se rallia finalement à la République ? A-t-on pris la peine de se remémorer les drames, de Furiani aux heures sombres de l'occupation (par exemple le cas Marcel Muller du FC Metz, finaliste malheureux contre Marseille en 1938, déporté à Dachau), les joies, les fêtes, les exploits, les héros (Raoul Diagne, premier international noir de l'EDF, triple vainqueur avec les pingouins du Racing de Paris avant guerre), les petits poucets (d'El Biar, avec la guerre d'Algérie en toile de fond, à Quevilly, éternel représentant des clubs de coupe), ses grands (l'Olympique de Pantin, premier à soulever le trophée à Sochaux) et ses rivalités (entre l'OM et le PSG quand ce dernier savait encore charmer cette vieille dame comme elle le mérite)... Sans oublier les lieux de cette belle comédie humaine, de Colombes au Parc des Princes...
Une autre profondeur de champ
Car non, le foot n'est pas une école d'humanisme, quoi qu'en supposent les prospectus des think thank citoyens. Il est bien plus que cela. Tout comme la Coupe de France est bien plus que du football. Le destin s’y lit en compagnie de Giacomo Leopardi ou Witold Gombrowicz. On y entend le blues de Skip James, les plaintes du Chaabi ou les larmes du fado, avec des relents punk ou hip-hop. Le substrat narratif du foot réside aussi dans la demi-finale perdue, le rêve brisé du talent prometteur, le but de la main, les tribunes en deuil... et les traditions orales qui viennent exalter les victoires inattendues, le but miraculeux qui fait oublier une saison ratée...
Au moment où nous traversons une période où la France serait plus divisée et clivée que jamais, il y avait peut-être, samedi soir, matière à mettre en lumière une autre profondeur de champ, qui du souvenir d'Emile Fievet, premier buteur en 1918, à Karim Benzema en 2008, pouvait nous rappeler qu'il est possible de se confronter afin de construire collectivement cette fameuse exception française. Cependant, ce nouveau président de la République, Uber compatible, et cette #L1 Conforama, en avaient-ils simplement l'envie ? Ou possédaient-ils les codes pour s'emparer de cette belle ambition ?
Apparemment non... Ne nous inquiétons pas, le peuple gardera la juste cause.
Par Nicolas Kssis-Martov
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