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Comment la formation française est-elle devenue si performante, par Erick Mombaerts

Propos recueillis par Andrea Chazy
Comment la formation française est-elle devenue si performante, par Erick Mombaerts

Formateur reconnu depuis plus de trente ans et ancien sélectionneur des Espoirs de 2008 à 2012, Erick Mombaerts a vu passer de nombreuses générations de jeunes joueurs français. Une longue expérience qui lui permet de revenir aujourd'hui, à l'occasion de la sortie du numéro 48 de So Foot Club, sur une formation à la française qu'il connaît sur le bout des doigts.

On présente souvent la formation française comme étant l’une des meilleures, voire parfois même la meilleure dans le monde du football. Qu’est-ce qui nous donne cette spécificité ?Je pense qu’aujourd’hui, et les stats le montrent, nous sommes les meilleurs pour ce qui concerne la formation. L’Observatoire du football CIES a montré que la France est l’un des pays les plus représentés sur les cinq grands championnats, plusieurs de ses clubs sont classés parmi les meilleurs d’Europe.

Qu’est-ce qu’on fait différemment ou de mieux que les autres pour en arriver là ?C’est un ensemble de facteurs, tout un système qui est favorable et qui permet ça. Parmi ces facteurs, il y a le particularisme de notre population française et notamment de Paris. C’est Paris qui est le premier bassin de recrutement de toute la France en matière de quantité et de qualité de joueurs (Paris serait même devant Rio !). Paris, c’est la mixité et aussi l’éclosion de nombreux jeunes qui ont des origines diverses et qui bénéficient d’un système de formation unique. C’est important, car d’autres pays ont le même système, mais pas le même vivier que nous. Ensuite, la différence se fait aussi au niveau de l’ancienneté de notre système.

Le fait d’être obligé de consacrer du budget pour la formation, et de croire en nos jeunes est finalement une chance.

Est-ce qu’on a toujours bien formé en France, aussi parce que notre championnat n’est peut-être pas aussi puissant que ceux de nos voisins… Exactement. Comme nos championnats sont pillés et que nos talents partent à l’étranger, nos clubs font appel massivement à la formation. Nos jeunes ont une exposition et une possibilité d’expression très tôt dans leur carrière. Ce qui n’est pas le cas partout, et notamment en Angleterre où ils n’ont pas de championnat pour eux. Nous, on a aussi un appel d’air, un appel permanent des clubs car on ne peut pas faire autrement économiquement parlant. La plupart des clubs français sont obligés de fonctionner comme ça. Le fait d’être placé devant cette obligation renforce encore un peu plus cela. Le fait d’être obligé de consacrer du budget pour la formation, et de croire en eux est finalement une chance.

Vous avez fait un bout de votre carrière au sein de la première promotion l’INF Vichy (1972-1974). Quelles différences majeures y avait-il avec la formation que reçoivent les jeunes actuellement ?Elles sont énormes. Il faut se remémorer le contexte de l’époque : on prenait des raclées face aux Allemands, on se cherchait un petit peu et il fallait trouver des solutions. L’INF Vichy, ça a été une forme de laboratoire. Sous l’impulsion de Gérard Banide et Pierre Pibarot, il y avait deux axes très forts : la formation au jeu où tout était fait sous forme de jeux avec M. Banide, couplée à une grosse formation athlétique. Il fallait compenser un retard sur l’aspect méthodique de la formation athlétique, et comme l’INF était un laboratoire, on a servi un peu de cobayes. (Rires.) On travaillait beaucoup plus qu’aujourd’hui. On s’entraînait deux fois par jour, et avec des séances spécifiques à thèmes pour travailler la vivacité, l’endurance. Les gardiens de but par exemple sortaient tous de l’INF (Ettori, Dobraje, Desrousseaux, etc.), car ils faisaient beaucoup de jeu, d’une part, mais aussi parce qu’ils avaient un plus gros bagage athlétique que ceux qui sortaient d’autres centres de formation. Et ça faisait la différence.

Ce que vous dites donne l’impression que l’aspect athlétique, qui a perduré pendant presque 40 ans de façon prioritaire quand on parle de formation, part de là.Je ne pourrais pas être aussi catégorique, car Gérard Banide était un chantre du beau jeu. Mais c’est vrai quand même, car si on prend l’exemple du diplôme d’entraîneur, le cursus pour le devenir était surtout un cursus athlétique. La mère des sciences, c’était la physiologie. Les stages d’éducateurs et d’entraîneurs étaient basés sur le travail athlétique. On construisait le footballeur à partir du travail athlétique. Au fur et à mesure du temps, on a changé, mais à la base c’était : on fabrique un athlète, et on en fera un footballeur.

Vous avez rapidement embrassé la carrière de formateur. Vous étiez alors plus un mélange entre un entraîneur et un préparateur physique finalement ?Tout à fait, et ça a conduit à des progrès, mais aussi à des plafonds qu’il a fallu faire sauter parce qu’on est sorti petit à petit de la trajectoire qui fait la force du footballeur : son intelligence de jeu.

Qu’est-ce qui a fait que l’on perde de vue cet aspect si important qu’est l’intelligence de jeu ?

Mbappé est le prototype du joueur parfait, même si on peut encore lui trouver des petites failles sur le plan mental, sur le fait qu’il ne se replace pas.

Je pense que tout ce qui est du domaine des sciences humaines est fait de moments de rupture. Il est très difficile de trouver un juste milieu. J’ai lu récemment un papier sur Ronald Koeman qui disait qu’ils avaient, eux pays formateur reconnu, énormément travaillé la technique, mais en oubliant le travail athlétique et mental. C’est même arrivé aux Pays-Bas ! Aujourd’hui, il est difficile de trouver un équilibre. On l’a presque en France avec des joueurs très intelligents dans le jeu, très bon techniquement, mais aussi qui peuvent faire la différence athlétiquement avec par exemple Mbappé et sa vitesse. Le nec plus ultra, ce serait de n’avoir que des joueurs de ce type-là. C’est le prototype du joueur parfait, même si on peut encore lui trouver des petites failles sur le plan mental, sur le fait qu’il ne se replace pas.

Vous travaillez avec Manchester City au niveau de la formation. C’est un élément central que vous prenez en compte ?Aujourd’hui, avec Manchester City, ce qu’on se dit, c’est que le palier suivant à franchir se situe au niveau émotionnel. La capacité à être calme et à prendre les bonnes décisions sous pression et résister au stress en formant encore plus sur le contrôle émotionnel et sur le plan mental. Même les plus grands joueurs peuvent témoigner qu’on ne les a pas trop formés à ça, ou sur le contrôle émotionnel. Verratti par exemple serait encore plus performant s’il avait un peu plus de contrôle. Ça vaut aussi au niveau de la finition, vu qu’on a environ seulement 1 à 1,5% des actions qui se transforment en but, ce qui est très, très faible. Et la plupart de ces occasions manquées sont dû à un manque au niveau mental, au niveau émotionnel. Quand on voit Messi et les autres joueurs devant le but, on a vu où était la différence. (Rires.)

Et dans les centres de formation en France ?Le « problème » a déjà été abordé puisqu’on avait consacré une semaine « au mental au service du jeu » , où on faisait intervenir de grands spécialistes, mais ce sera long. Les éducateurs ont besoin de temps pour être convaincu, car c’est quelque chose très abstrait de savoir ce qui se passe dans la tête des joueurs, mais l’avenir est là. Il y a plusieurs types de pressions : pression inhérente à la compétition, au résultat.

À City, si on convertissait 50% des occasions créées, on serait imbattable. Mais ce n’est pas encore le cas, il n’y a qu’un Messi…

Puis aujourd’hui, il y a la pression inhérente à l’espace-temps puisque les joueurs ont de moins en moins de temps pour prendre la bonne décision à cause du pressing. La problématique, c’est de savoir comment construire du jeu si on est pressés en permanence ? Avec City, on réfléchit sur comment former des joueurs prêts à jouer sous pression où les différences se feront dans ces moments-là. Être calme dans les phases décisives, devant les buts adverses ou les siens. Pour City, tous les joueurs du gardien au 17e homme doivent jouer comme ça. Mais malgré ça, il y a toujours un axe de progression dans le domaine de la finition. À City, si on convertissait 50% des occasions créées, on serait imbattable. Mais ce n’est pas encore le cas, il n’y a qu’un Messi…

De façon chronologique, quels ont été les moments-clés pour la formation française ? D’abord, il y a eu des DTN qui ont été plus sensibles que d’autres et je pense en premier lieu à Gérard Houllier. Gérard a énormément resensibilisé sur le jeu, notamment lors de la création des centres de pré-formation. Les Coupe du monde et les Ligue des champions sont des révélateurs pour les fédérations. À chaque fin de Coupe du monde et de Ligue des champions, un travail est fait au niveau de la DTN. Quand les Espagnols ont dominé le monde de 2008 à 2012, en même temps que le Barça de Guardiola qui était invincible – la poursuite du football total de Cruyff finalement –, on s’est rendu compte qu’on avait du mal, nous, à le faire. Temporellement, après l’avènement de l’Espagne, il y a eu Knysna. Il y a donc encore plus eu en France la volonté de développer l’aspect collectif. Parce que qui dit athlétique, dit part trop importante laissée à l’individualisme. Remettre le jeu collectif au centre de tout.

Gilles Thiéblemont, le patron du pôle régional Espoirs de Reims, nous a par exemple expliqué qu’il y avait eu « un basculement » après Knysna, que le discours a changé après cet épisode. Vous qui étiez sélectionneur des Espoirs avant, pendant et après, est-ce que vous avez ressenti ce changement ? Knysna, je peux très bien en parler parce que j’étais en Afrique du Sud en 2010. Je suivais l’Espagne, et je faisais des rapports sur la Roja, comme en 2008 et 2012. Inutile de dire que le football de possession, j’avais compris ce que c’était ! (Rires.) Et donc, toute la Coupe du monde, on était mal à l’aise dans nos baskets parce qu’on avait une mauvaise image. Ça nous a fait énormément de tort, on l’a tous très mal vécu. Lorsqu’on est rentrés, ce n’est pas tant sur le jeu que les réflexions se sont portées, car on avait des joueurs de qualité dans cette équipe. En revanche, ce qui est ressorti tout de suite, c’est qu’il fallait revenir à des valeurs comme l’état d’esprit, l’amour du maillot, le respect du club et de la sélection… Il fallait réinstaurer tout ça, car il ne pourrait pas y avoir de jeu collectif sans que les joueurs n’aient ces fondamentaux du sport collectif. À tous les niveaux, du gamin qui vient à l’école de foot au joueur de l’équipe de France. Ensuite, au niveau du jeu, c’était une confirmation qu’il fallait continuer à laisser tous les types de joueurs s’exprimer et entrer dans les centres de formation…

Ça ne se faisait pas avant ?Si, si, mais on y prêtait un peu moins d’attention. On était moins attentifs aux joueurs à maturité tardive, par exemple. Ceux-là, ils sont moins performants à 14 ans, mais ils le sont tout autant à 18-19 ans parce qu’ils jouent moins sur leurs qualités athlétiques au départ. Des mesures avaient été prises pour que l’on prenne des joueurs de fin d’année aussi, et pas seulement de début d’année car ils avaient presque un an de plus qui fait la différence à cet âge-là. Il fallait aussi que nos conseillers techniques soient capables de déceler d’autres qualités que celles « qui se voient » . Pas seulement de repérer les gamins qui couraient vite ou qui gagnaient des duels.

Lorsqu’il y a eu Knysna, on ne pouvait plus cacher nos failles et ça devenait aussi vital pour nous parce qu’on était un peu la risée du monde.

Pourquoi Knysna, qui aurait pu juste être l’échec d’une génération, a tout remis en cause à ce point ? C’est la dimension de l’échec qui a poussé à cette réflexion ?Knysna, ça a été considéré comme un symbole, mais il y avait déjà des alertes dans les centres de formation, dans les sélections de jeunes sur le fait qu’il y avait une forme de laisser-aller par rapport à ces valeurs. Lorsqu’il y a eu Knysna, on ne pouvait plus cacher nos failles et ça devenait aussi vital pour nous parce qu’on était un peu la risée du monde. Il fallait prendre des mesures, même si elles auraient pu être prises avant. Mais c’est toujours comme ça : il faut un fiasco pour que les choses bougent, sinon comme les Hollandais l’ont dit : « On ne s’en rend pas compte. » Comme en Italie aussi après leur non-qualification pour la Coupe du monde, j’imagine. Il faut arriver à un événement comme celui-ci pour que les choses changent.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Andrea Chazy

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