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Christophe Pélissier : « Sur le deuxième but, l’appel de Benzema est extraordinaire »
Sans être impériale, la France a assuré sa première place du groupe F face au Portugal. Christophe Pélissier, notre consultant pendant l'Euro, nous livre son analyse sur le double visage des Bleus, les appels de balle de KB19, le nouveau poste de latéral gauche de Rabiot et la possibilité d'une défense à trois pour la suite de la compétition.
On a démarré avec un match maîtrisé contre l’Allemagne, un second proche de la catastrophe contre la Hongrie, et ce soir contre le Portugal, encore un troisième scénario différent avec une équipe à deux visages entre les deux mi-temps. Sur l’ensemble de cette phase de groupes, où peut-on situer le vrai niveau de l’équipe de France ?Difficile à dire, car il y a le contexte de chaque match, le profil de l’adversaire. Ce soir, on fait une mauvaise première période à cause d’un manque d’intensité qui peut s’expliquer à nouveau par les conditions climatiques à Budapest, où il faisait encore très chaud. Et puis un nul nous satisfaisait, donc il était logique de ne pas se découvrir. Le premier penalty contre nous est peut-être un mal pour un bien : on a du mal à rebondir derrière, mais on ne lâche pas, puis on égalise. Le penalty que l’on obtient est un peu sévère pour le Portugal, mais la France rentre au vestiaire à égalité et en remet un dès le retour des vestiaires, ce n’est pas anodin. Ce second but nous a donné des ailes, libéré psychologiquement, et on a vu une vraie belle seconde période. Cela rend la lecture du niveau de cette équipe difficile, même si je crois qu’athlétiquement, on était supérieurs sur ce match, on a été au-dessus sur la fin. Mais le vrai niveau de cette équipe, on va le voir maintenant sur les matchs à élimination directe, où il n’y a plus de gestion. Les affaires sérieuses commencent.
Vous avez mentionné la chaleur. En tant qu’entraîneur, d’expérience, dans quelle mesure cela peut changer le visage d’une équipe, voire perturber une expression collective ?Cela change beaucoup par rapport à l’intensité que les joueurs peuvent mettre. Contre la Hongrie, ces conditions à 15h étaient encore plus influentes, cela réduit la capacité à faire des efforts. Mais face au Portugal, je pense que le contexte du groupe a encore plus d’influence, aucune des deux équipes n’a eu intérêt à se découvrir, et nos latéraux n’ont fait aucun centre de toute la première période, sauf peut-être Koundé à la fin… On n’est pas sortis, eux non plus, alors que Guerreiro en a l’habitude. Les deux équipes étaient dans une logique d’annihilation des forces adverses. Si on ajoute les conditions climatiques, c’est difficile pour les joueurs d’enchaîner les efforts.
Si vous deviez résumer le changement de visage de la France entre les deux périodes, qu’est-ce qu’elle a mal fait en première et mieux fait en seconde ?En première mi-temps, on ne défendait pas assez en avançant et on était souvent battus dans les duels. On défendait souvent en 4-4-2 parce que Griezmann se positionnait au niveau de Benzema pour défendre, ce qui laissait les deux du milieu seuls très souvent contre trois Portugais, ce qui permettait à ces derniers d’avoir souvent le dessus. Cela nous faisait une ligne de quatre avec Tolisso à droite et Mbappé à gauche et je trouve que nous n’étions pas assez compacts. On se faisait facilement transpercer au milieu parce que l’on ne défendait pas assez ensemble. À chaque fois qu’on a récupéré des ballons intéressants au milieu, c’est quand on a lancé des pressings ensemble. On n’était pas bien en place collectivement sur le plan défensif, et quand on ne défend pas bien, c’est difficile aussi d’attaquer correctement. On l’a mieux fait en seconde période. On a vu une équipe plus entreprenante, des joueurs plus proches les uns des autres, ce qui est utile pour défendre, mais aussi pour attaquer car on trouve plus de solutions de passes.
En première période, il y a eu peu de fixations suivies de renversements sur les ailes, alors que les Bleus semblaient équipés pour faire mal aux latéraux portugais…Oui, on sentait qu’on avait notamment un rapport de force favorable sur le côté de Mbappé face à Semedo, et on l’a assez peu fixé pour ensuite renverser le jeu, ou faire la même chose depuis le côté droit. C’est ce que les Allemands ont réussi à faire pour martyriser la défense portugaise. Je pensais d’ailleurs que Koundé allait plus souvent user de son jeu long pour renverser le jeu. À Séville, je l’ai plusieurs fois vu évoluer avec beaucoup de réussite dans le jeu long, on aurait dit un quarterback avec de longues transversales pour le côté opposé. Il aurait pu en faire quelques-unes pour Mbappé ou Hernandez, cela aurait mis en difficulté Semedo qui était souvent obligé de rentrer dans l’axe pour défendre. En revanche, on a très bien utilisé la profondeur : les deux buts viennent de passes en profondeur qui ont déséquilibré la défense portugaise.
Comment expliquer cette fragilité du Portugal dans la profondeur, au-delà de la qualité de passes de Griezmann ou de Pogba ?Il ne faut pas minimiser la qualité des déplacements de nos attaquants, que ce soit Mbappé ou Benzema. Sur le deuxième but, son appel est extraordinaire. Je crois aussi que Pepe n’est plus le joueur d’il y a cinq ou six ans, il est régulièrement pris dans le dos, cela s’était déjà vu contre l’Allemagne. Ce qui est surprenant, c’est que Rubien Dias est impérial à Manchester City dans ces situations. Mais après, quand il y a autant de qualité dans la passe et dans les déplacements des attaquants, il y a peu de solutions pour la défense.
Hernandez puis Digne sont sortis sur blessure, ce qui a conduit Didier Deschamps à confier le couloir gauche de la défense à Adrien Rabiot. Comment l’avez-vous trouvé ?Je l’ai trouvé très bon, très concentré sur l’acte défensif, ce qui me faisait peur au début. Après, j’ai des doutes sur la durée. J’espère que Hernandez pourra reprendre son poste, parce qu’au très haut niveau, on peut compenser comme l’a fait Rabiot, mais seulement sur un bout de match. Sur la durée en revanche, j’ai du mal à y croire, il faut un spécialiste du poste. Quelles solutions si on perd durablement nos latéraux gauches ? Peut-être passer à une défense à trois, mais c’est un risque car un système, cela se travaille. Surtout un tel système qui demanderait beaucoup d’ajustements sur le plan défensif. On a cinq jours jusqu’à lundi pour espérer que Hernandez soit rétabli.
Sur le papier, quels sont les avantages et inconvénients d’un passage à trois derrière ?Déjà, on peut garder notre système offensif en l’état, Griezmann en dix, Mbappé encore un peu plus libre pour tourner autour de Benzema. C’est une bonne chose. Cela permet aussi de mettre Lemar sur le côté gauche, un excellent joueur sur le plan offensif, mais aussi un bon milieu de terrain, capable d’apporter un beau volume de courses. Surtout, on a assez de solutions derrière pour aligner trois centraux de qualité, surtout que Koundé, qui a joué latéral droit contre le Portugal, est un défenseur central de métier.
Comment voyez-vous la suite de la compétition pour la France ? L’aspect psychologique va prendre de plus en plus d’importance au fil des matchs…Oui, et je pense que là-dessus, on est bons, car on est habitués à gagner, on a cette expérience. On l’a vu sur les deux derniers matchs, quand on a été menés, même si on a souffert, on a eu la capacité à revenir. Cela montre la force mentale de cette équipe. Je crois que cette équipe s’était mis un premier objectif avec l’Allemagne, bien rempli. Ensuite, on a un peu déroulé, géré, mais là on va revenir sur une logique de montée en puissance physique et mentale. Ce sont des matchs couperets, il n’y a plus à gérer, alors que la victoire contre les Allemands, inconsciemment, a amené les Bleus à activer un mode gestion. On va voir le vrai visage des Bleus à partir de maintenant. Il faut espérer qu’il ressemble plus à celui qu’on a vu contre l’Allemagne.
Propos recueillis par Nicolas Jucha