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Chiellini, l’abominable homme du Piémont

Par Théo Denmat
5 minutes
Chiellini, l’abominable homme du Piémont

Une nouvelle fois dantesque face à l'Inter vendredi dernier (victoire 1-0 des Turinois), Giorgio Chiellini continue d'effrayer à 34 ans. Tout en étant l'un des hommes les plus intelligents du football, dedans comme en dehors. Un gage de longévité.

Depuis quelques années, la marque Pitch s’est spécialisée dans la commercialisation de ce que l’on appelle dans le métier des « cadeaux produits » . Sa poule aux œufs d’or ? Les aimants frigo. Pas chers à produire, simples à imaginer, reproductibles, assemblables à l’infini, et permettant surtout de créer de véritables fresques frigorifiques devant lesquelles parents et enfants passeront une bonne dizaine de fois par jour. Il y a une dizaine d’années, c’était de petits aimants en forme de régions de France à imbriquer façon Tetris. Plus récemment, pendant le Mondial, des cartes représentants les joueurs de foot de l’équipe de France. L’avantage, c’est que ça égaye le frigo. L’inconvénient, c’est que c’est moche et rarement terminé. On attrape le Poitou-Charentes, la Corse, on les colle tant bien que mal pour donner un semblant d’unité… Et puis, au fur et à mesure que l’on passe des brioches aux céréales, on les oublie.

Giorgio Chiellini, à bien des égards, tient un peu de l’aimant de frigo : il colle aux basques, ne tombe jamais, est vieux, un peu moche, attire plein de choses à lui… Et surtout, il est là depuis tellement longtemps qu’on a tendance à l’oublier. Et puis un jour, au détour d’une modernisation de la cuisine ou d’un match face à l’Inter, il vous saute aux yeux. Ce vestige du passé qui tient toujours, criarde touche de vintage sur un meuble moderne. Nouveau bac à légumes, nouveau logo, même combat. La seule différence ? Le niveau de jeu monstrueux de Chiellini est l’une des seules choses sur terre dont la durée de vie est supérieure à un aimant Pitch.

« Meilleur défenseur du monde à l’heure actuelle »

À l’entrée de la salle de presse de l’Allianz Stadium vendredi dernier, Massimiliano Allegri s’était vu tendre sous son sourire carnassier un micro gravé du sigle « JTV » . Comprendre la chaîne de télévision interne de la Juve, diffusion en direct, elle aussi banane aux lèvres après la courte victoire face à l’Inter (1-0). Alors Allegri, prendre quatorze points d’avance sur son adversaire du soir, c’est trois points importants, non ? Pourquoi avoir inversé les postes de Cancelo et De Sciglio ? Et puis, troisième question, la seule qui n’en était d’ailleurs pas une : « Chiellini était partout, en attaque, en défense, au milieu de terrain… »

Réponse qui tient en deux lignes : « Giorgio est le meilleur défenseur du monde à l’heure actuelle. » Quelques minutes plus tôt, c’était Bobo Vieri, pourtant pas vraiment objectif dans l’affiche du soir, qui avait donné pour un autre média son trophée de MVP au défenseur italien : « Il a été énorme. » Même modus operandi, une simple et courte phrase, comme si l’explication ne servait plus à grand-chose, comme si tout avait déjà été dit. Et c’est vrai : que dire de nouveau ? Voilà plus de dix ans que Chiellini est une référence à son poste, le drame résidant désormais dans le fait que son stakhanovisme est devenu banalité. Une fois de temps en temps, pourtant, il est bon de le répéter, même si ça n’a rien d’original : avoir Giorgio Chiellini dans son équipe, bordel, quel panard.

Joueur de foot sans la gueule

Il est plus lent qu’avant, forcément, parce qu’on ne court pas après Icardi à 34 ans comme à 27. Mais qui a réellement besoin de vitesse pour prendre tout le monde de court ? Face au trio milanais Perišić-Icardi-Politano, il s’est encore appuyé sur son point fort, l’anticipation. Coupant là un centre du premier vers le second (17e), écartant ici un centre en retrait poison de Gagliardini (32e), plaçant une tête dangereuse sur corner (36e), contrant une frappe de Politano sur une perte de balle de Matuidi (48e), ou interceptant en fin de match une ouverture fine pour Perišić (82e).

Et cette madeleine de Proust, de voir un bonhomme à calvitie célébrer les six mètres comme si sa vie en dépendait… Il faut aussi le dire : ils sont rares, aujourd’hui, les joueurs de foot qui n’en ont pas la gueule. Et c’est précisément parce qu’il pourrait être plombier dans une autre vie que Chiellini passe son existence à combler les trous et réparer les fuites. En Italie, sa centième et dernière sélection en équipe nationale face au Portugal, le 17 novembre dernier, a été célébrée comme la première, quatorze ans plus tôt (au jour près), face à la Finlande, sans prendre de but. Mais avec le brassard de capitaine autour du bras, tissu qu’il trimbale aussi à la Juve et probablement dans son lit : au bout d’un moment, ça prend moins de temps que de l’enfiler à chaque fois.

Georges Tronc

Il rejoint ainsi un club des six qui a une belle trogne de Cercle des poètes disparus, avec Buffon, Cannavaro, Maldini, De Rossi, Pirlo et Zoff. Mieux, dans la même semaine, il est devenu le cinquième joueur le plus utilisé de l’histoire de la Vieille Dame pour son match contre la SPAL, devançant Roberto Bettega et ses 482 apparitions. Comme eux tous, sa présence a désormais la capacité de rendre ses coéquipiers meilleurs, qu’il s’agisse de Bonucci ou des autres, Cancelo ayant rendu face à l’Inter une prestation d’homme du match corroborée par sa passe décisive pour Mandžukić. Et lorsque Mourinho déclarait récemment que lui et Bonucci « pourraient aller à Harvard donner des cours sur le rôle de défenseur central » , c’était en l’appelant « Monsieur » .

Contre l’Inter, c’était la Juventus dans sa plus pure expression. Zéro moment de panique, un but de la tête de sa tour de Slavonski Brod, et on ferme boutique. On malaxe. On essore. On bosse. « J’ai quelques qualités naturelles, mais il y a surtout beaucoup de travail derrière » , avait un jour déclaré Chiellini. Parce que non, Giorgio n’est pas doux, Giorgio n’est pas frais, mais Giorgio est vraiment très pratique pour gagner des secondes, des duels, des matchs, des titres. Et ici, le seul Tic Tac qui compte, c’est celui de l’horloge qui le rapproche de la retraite. En 2020, pour la fin de son contrat avec la Juve ? On doute que ça fasse partie du « Pitch » .

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