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Chelito, le jeu à hauteur d’âme

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Chelito, le jeu à hauteur d’âme

Dans une étrange indifférence, Cesar Delgado, l'ailier de Lyon, est reparti au Mexique. Là où on sait l'apprécier à sa juste valeur.

Gros coup de blues sur Lyon. On a pris l’habitude de dire que le public lyonnais n’était plus qu’un ramassis de gamins pourris gâtés par une presque décennie de froide domination, menée la morgue aux lèvres. Les dernières manifestations de fin de saison visant à faire déguerpir au plus vite Puel n’ont rien arrangé à l’affaire. Car, en vrai, le public lyonnais a toujours été l’un des plus durs. Ceux qui ont connu les années d’ennui en D2 et les suivantes, celles de la lente sortie des eaux, vous le diront : on ne vient pas seulement à Gerland pour soutenir à la vie, à la mort son équipe. Non, on vient là pour traquer le beau geste et le joueur qui saura se hisser à hauteur d’âme de toute une ville. Si les tribunes ne comptent pas ces quelques durs à cuir à même de vous soulever les foules, elles n’en tiennent pas moins une poignée de leaders d’opinion qui se dressent aussi bien pour une partie indigne que pour un mouvement bien senti. Des gars qui pourraient passer pour des jansénistes s’ils ne savaient aussi manier cet humour vachard sorti tout droit du comptoir où se passe le reste de la semaine.

On pourra toujours dire que ce genre de public n’est sans doute pas taillé pour les miracles qui ont toujours manqué au palmarès de l’OL lorsqu’il a fallu relever sa cote d’amour. Pas grave. Ce qu’on vient chercher à Gerland, c’est une bande de types dans lesquels on se reconnaît. Des mecs qui ne jouent pas forcément la tête dans les étoiles, encore moins la tête dans les épaules – pantomime de ceux à qui l’on demande de mouiller le maillot. Non, ce qu’on préfère, ce sont ces joueurs qui savent jouer avec la tête. Voyez les deux carrières lyonnaises menées par Govou. La première, une jeunesse aussi insolente que brillante qui sort défoncée au petit matin des boîtes à étuve des quais de Saône. Une entrée dans le métier sans grand intérêt pour le commun des Lyonnais. Puis vint la seconde, celle où la facilité a fini par se dissoudre, laissant place à cette drôle de caisse et cette caboche bien foutue qui consacre Sid comme le roi du replacement et du piston côté droit. De quoi se faire pardonner toutes ces occasions manquées devant le but ou ces dérapages incontrôlés par un public dès lors acquis à sa cause. S’il a fallu un peu de temps à quelques-uns pour se faire une place parmi les chœurs de Gerland, il en est d’autres qui ont tiré des râles de plaisir à la seconde même où ils ont foulé la pelouse. On pense bien entendu à Tiago et à sa magie dark des années Houllier. Pas gagné quand on se souvient qu’il fallait remplacer ce rêve de footballeur post-moderne des années 00 incarné par le Bison Essien. Le Portugais a toujours su s’y prendre pour laisser entrevoir ce qu’il faut de délicatesse tant dans ses gestes en rupture que dans sa science du jeu. Et faire ainsi résonner à l’envi de longs et profonds « Ti-aaaaa-go ! » à chacune de ses apparitions.

Joueur à l’ancienne

Avec ses airs d’enfant chétif et ses jambes arquées, taillées en allumettes, Chelito Delgado n’avait rien pour plaire. Pourtant, en dépit d’une première titularisation dans une rencontre de reprise qui vire au fiasco à Bollaert, le public lyonnais a tout de suite aimé ce petit joueur ramené un soir de janvier 2008 depuis Cruz Azul, autrement dit de nulle part. Drôle de reconnaissance quand on sait que ses premiers mois à Lyon ont surtout été passés à prendre la mesure d’une Ligue 1 qui promettait de le laisser sur le carreau. Ce qui s’est en partie produit au vu de tous les ennuis physiques venus ponctuer chacune de ses plus belles prestations. « Pas grave » vous répondrait un habitué de Gerland qui n’a jamais eu besoin de se dresser pour réclamer une jolie passe ou un passage en revue modèle d’une défense adverse pour que Delgado s’exécute. Les gars avaient tout de suite compris à qui ils avaient à faire lorsque Lacombe était venu leur souffler à l’arrivée du petit milieu mordu de Rosario Central : « Chelito est un joueur à l’ancienne » . Ne manquait plus à César de réaliser la promesse de Dirty Bernie pour que le public lui envoie des besos à la volée et le remercie d’avoir su ramener quelque chose des belles parties d’un autre type à l’ancienne, Franck Gava. Le même manque d’allure loin du terrain, la même carrière pourrie par des blessures à la chaîne, mais ce même talent pour sortir deux-trois dribbles élégants, une passe bien cadencée et cet intervalle qui manquait. Le genre à siffler à ses coéquipiers dans les couloirs d’avant-match : « Si tu ne sais pas quoi faire de la balle, donne-la moi… » .

On aurait pu croire qu’à force de ne voir ces belles manières que par intermittences, le public lyonnais finirait par s’agacer. Il s’est montré sur ce coup bien plus patient et bien plus indulgent que la direction du club. Il savait qu’un jour ou l’autre, après une disparition de plusieurs semaines, Chelito reviendrait sur le terrain pour envoyer ce genre de récital qui fait la différence entre les joueurs que Lyon adore et les autres. On repense à trois grands moments. Les deux premiers, face au Real, ont manqué de faire basculer la carrière de l’Argentin du côté de la hype. Une première fois, la saison dernière, lorsqu’une volée d’une pureté incroyable sortie des 16 mètres vient finir sur le poteau de San Iker. La deuxième, avec ce défilé au milieu de la défense merengue, petit monument portant le sceau des tripoteurs élevés dans les arrière-cours d’Argentine et qui se termine par un séchage limite dans la surface madrilène. Le dernier grand souvenir tient en deux crochets lents mais suffisamment amples pour faire valser Diawara, Mandanda et les dernières illusions de titre pour les Marseillais.

Semi-indifférence

Il y a quelques années, ce genre de performance suffisait à décider Aulas au moment de prolonger le contrat d’un joueur. Pour tout contrat, Chelito n’a eu droit qu’à une revue à la baisse de son cachet, avec prime à la régularité des performances. Façon d’ouvrir la porte à un départ qu’on devinait tout proche depuis quelques semaines. Ce qu’on ne savait pas, c’est à quel point Delgado resterait un joueur à l’ancienne jusqu’au bout, préférant repartir avec les siens à l’ombre des arènes mexicaines plutôt que de poursuivre un joli brin de carrière à l’européenne. Cette vie qui ne lui allait plus a été plus forte que tout le reste et a fini de le convaincre d’un retour au bercail. Chelito est parti comme il était arrivé, dans une semi-indifférence, privant le public lyonnais de l’hommage qu’il a pris l’habitude de réserver à ces rares joueurs qui manient ce qu’il faut de talent, de neurones et de discrétion pour que la reconnaissance mutuelle opère. Pour peu que Toulalan se barre à son tour, emportant avec lui les derniers restes de la classe moyenne à la lyonnaise, on imagine déjà la peine des Savonarole de Jean-Bouin lorsqu’ils voudront acclamer le seul genre de joueurs qu’ils s’autorisent à aimer, loin devant le club : ces joueurs qui leur ressemblent. Depuis samedi, il pleut un peu plus de coups sur Lyon. Gros coups de blues.

A lire : Ol’Dirty Bastards, le meilleur blog sur l’OL

Serge Rezza

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