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Ce qu’il faut retenir de l’Euro à Saint-Étienne

Par Joachim Barbier
9 minutes
Ce qu’il faut retenir de l’Euro à Saint-Étienne

Ça y est, Sainté peut dire au revoir à l'Euro, avec regrets. C'était parti fort avec ce Portugal-Islande surprenant ou encore le Tchéquie-Croatie pour arriver jusqu'au ciseau de Shaqiri.

Le match qu’il ne fallait pas manquer

Croatie 2-2 Tchéquie

Des Croates qui se promènent pendant une heure et justifient leur statut de presque favoris dans le sillage d’un Luka Modrić toujours aussi juste et élégant. Alors qu’ils mènent 2-0 face à des Tchèques qui tentent de colmater les brèches et se font bouger sur tous les fronts, les Croates perdent le fil par, selon le diagnostic, suffisance ou fragilité mentale. Un syndrome qui a rappelé les plus belles heures de la Yougoslavie et le sentiment de gâchis laissé quelques fois par les générations dorées précédentes. Sur le terrain, c’est d’abord Luka Modrić, blessé, qui sort du terrain à la 62e minute et laisse ses coéquipiers orphelins de son talent d’organisateur. Sur une tête de Škoda, les Tchèques réduisent le score pour ce qui ressemble alors à un lot de consolation. Puis quelques ultrad du Hajduk Split décident de régler leurs comptes avec leurs dirigeants en balançant des fumigènes sur le terrain. 100 000 euros d’amende et quelques gifles échangées dans la tribune réservée aux supporters à damier. La sélection prend la sienne en concédant un penalty dans les arrêts de jeu.


Le match qui a déçu

Angleterre 0-0 Slovaquie

Merci Michel d’avoir étendu cet Euro à 24 équipes, mais le compte n’y est pas avec cette règle des meilleurs troisièmes qui oblige à taper sur la calculette et autorise tous les calculs. Sur le papier, elle offre à toutes les équipes une possibilité de se qualifier jusqu’au dernier match. En pratique, elle donne aussi la possibilité de ne pas jouer pour garantir cette même qualification à celles qui ont déjà trois points en poche. Face aux Anglais, les Slovaques avaient besoin d’un nul pour s’assurer une place en huitièmes. Ils l’ont fait en passant 5 fois le milieu de terrain en 90 minutes et en s’interdisant d’attaquer avec plus de trois joueurs. En face, les Anglais qui n’avaient pas l’air de s’inquiéter de finir deuxièmes de leur groupe ont bien tenté d’apporter un peu de dignité en pensant à leurs 30 000 supporters présents à Geoffroy-Guichard. On n’est pas des Three Lions pour rien. Sauf que ce soir-là, ni Vardy, ni Sterling, ni Kane n’avaient les crocs, et le match se termine dans l’entente cordiale d’un 0-0 qui a montré les limites prémonitoires de l’Angleterre quand elle se doit de faire le jeu. La Slovaquie, elle, a gagné le droit de prolonger son séjour d’une semaine avant une grosse punition allemande.


Le fait marquant

Dans le train qui amenait les supporters chaque jour de match, beaucoup se demandaient pourquoi la France avait choisi cette petite ville en légère souffrance post-industrielle pour accueillir quatre rencontres de cet Euro. A priori peu au fait des exploits passés du club de la ville, ils se précipitaient pour rejoindre la gare de Châteaucreux après le coup de sifflet final. Dommage que Sainté ait été traitée comme une escale Costa Croisières.


Le top 5 des joueurs

Ivan Perišić

L’ailier gauche croate a incarné les performances du premier tour de son équipe, à un moment, où comme souvent dans les tournois majeurs, on met en orbite une liste de favoris qui finalement se crashent quelques jours plus tard. Pour la prestance ballon au pied et la froideur devant le but. Et puis, il n’avait pas encore décidé de faire n’importe quoi de ses cheveux.

Luka Modrić

Toujours aussi précieux et pertinent pendant soixante minutes face à la Tchéquie avant que la pyrotechnie ne rappelle que les coulisses du football croate étaient un poil plus tordus que les trajectoires de leur danseur étoile.

Nathaniel Clyne

Pour son unique titularisation, le latéral de Liverpool n’a pas réussi à faire basculer l’issue du troisième match des Three lions face à une Slovaquie en mode guerre de tranchée. Rapide, disponible, inspiré, ses appels et ses centres sur le côté droit ont entretenu l’illusion d’une Angleterre taillée pour le combat final. En vain.

Xherdan Shaqiri

Face à la Pologne, le Shaq a passé une première mi-temps perdu sur l’aile droite comme un enfant renvoyé au fond de la classe en punition. 45 minutes de bavardages inutiles avant de se repositionner au centre en deuxième mi-temps pour prendre en main le destin de la Nati. Et le miracle des branleurs qui se mettent à bosser au troisième trimestre. Petit chappy se met au taf et se paye une bicyclette à deux millions de vues sur Youtube.

Danijo Srna

Quand on a passé treize années de sa vie à Donetsk, on ne peut qu’être un homme de cœur et de fidélité. Après un aller-retour dans sa ville natale pour enterrer son père décédé pendant Croatie-Turquie, le capitaine craque après le deuxième but de Rakitić et fond en larmes devant la tribune réservée à ses supporters. On ne se remet jamais de la mort de ses parents. Dix jours plus tard, le grand Danijo a pris la douloureuse décision d’arrêter d’envoyer des centres. Pour la vie.


Le bilan des équipes qui sont passées par Geoffroy-Guichard

Premier match entre le Portugal du Ronaldo « toujours moins fort que Messi » et « la petite mentalité » de l’Islande qui donne le ton du premier tour. Ils sont toujours en course en espérant que les deux se retrouvent en finale pour régler leur compte à Saint-Denis ou au harpon en mer du Nord. La Suisse s’est manquée une nouvelle fois en huitièmes face à la Pologne, après avoir oublié de jouer en première mi-temps et tué le match en seconde. Après des années de progression, la Nati des segundos galère à passer le cap de la solide équipe chiante à jouer. Une réplique de la Norvège des années 90. Qui se souvient de la Norvège aujourd’hui ? Après un match de ouf face à la Russie, une purge face à l’Angleterre, la Slovaquie, pas bête, avait décidé de prendre sa revanche sur le communisme plutôt que sur les subventions européennes. Depuis, le Brexit est passé par là. À Geoffroy-Guichard, les Anglais avaient décidé de ne pas choisir. 50% j’en mettrai bien un sans trop me découvrir, 50% en même temps on joue avec Harry Kane. À Saint-Étienne, seuls leurs supporters ont été à la hauteur. Comme ceux de la Pologne qui, pour une bonne partie, avaient tracé la route en bagnole ou en camping car pour assister au huitième de finale. Bien plus sexy et moins sensible aux pollutions politiques que lors de son dernier Euro à la maison, les Polonais, sur et autour du terrain, semblent avoir laissé de côté leur besoin de revanche sur l’histoire pour se concentrer sur le jeu. En même temps, la Suisse n’a jamais envahi la Pologne. La Tchéquie a eu du bol en offrant à Jaroslav Plašil la tâche désespérée de contenir le milieu de terrain croate armé de ses jambes de 34 ans et de son sens du placement. Forcément, l’immense milieu de terrain bordelais a pris sa retraite à l’issue du tournoi.


La plus belle ambiance

Portugal 1-1 Islande

Les Islandais sont connus – entre autres – pour avoir écrit, il y a bien longtemps, des poèmes épiques, et aujourd’hui des polars bien troussés sous influence boréale. Pour leur premier match de phase finale, les Islandais ont été héroïques, braves et maîtres du suspense. Pour assister à ce premier exploit, il n’y avait pas 10% de la population de l’île, comme annoncée, dans les tribunes de Geoffroy-Guichard, mais suffisamment pour faire gronder un stade qui a pourtant l’habitude du souffle des spectateurs sur la nuque des joueurs. Difficile de savoir ce qu’isl racontent dans leurs chansons, mais l’attitude des fans islandais, avant, pendant et après le match a été à l’image du pays et de la sélection. On ne se la raconte pas et on est contents d’être là. Bref humbles, joyeux et conscients de leurs limites. Pour l’instant, ça suffit.


Le mot du maire

Gaël Pedriau (maire LR de Saint-Étienne) : « Quand le dernier match s’est terminé, j’ai versé une larme. On s’est senti un peu nostalgique. Parce que c’est passé vite et on aurait bien continué. J’ai ressenti une ambiance très festive dans le respect et le partage. Je crois que les commerçants ont bien travaillé, d’après les informations qui nous remontent. Je suis allé aux quatre matchs et j’ai eu du mal à reconnaître Geoffroy-Guichard. On est connus pour mettre une ambiance chaude ici, la différence, c’est que d’habitude, c’est un monochrome vert, là c’était bi-colore. On en aussi profité pour faire la promotion de la ville, essayer de sortir des clichés du passé qui collent à notre réputation. »


Le point France Boisson

Laurent du Zoobar, bar à tapas : « On a eu une qualité de clientèle extraordinaire pendant l’Euro. Après, cela dépend aussi des matchs et des pays. C’est sûr que les Anglais ou les Polonais sont plus fêtards que les Suisses, qui n’ont pas retourné la ville. On n’avait rien prévu de particulier si ce n’est d’ouvrir toute la journée. Je crois que tous les bars et les places situés entre la gare et le stade ont cartonné. En tout cas, rien à voir avec un match de l’ASSE en volume de bière vendus. Seul regret : que les supporters ne restent qu’une journée ou deux, contrairement à Lyon ou Paris. Je crois qu’on est un peu limité en chambres d’hôtel pour ce genre d’événements. »


Le point police

Mahamadou Diarra (directeur de cabinet du préfet de la Loire) : « Ça s’est globalement bien passé. L’introduction de fumigènes dans le stade pour Croatie-Tchéquie était une défaillance des sociétés privées qui n’ont pas fourni autant d’agents que prévu. On a rectifié le tir en interpellant des personnes qui avaient l’intention d’en introduire pour le match Suisse-Pologne. Et on a su empêcher la tentative d’envahissement du terrain des ultras croates. C’est un problème un peu en marge du football. Après les incidents de Marseille, on a été vigilant avec la présence de 30 000 Anglais. Ce n’est pas qu’ils causent plus de problème, juste qu’ils sont plus nombreux. On a travaillé avec desspottersde la police anglaise qui nous ont dit qu’ils étaient satisfaits de la façon dont la police française a géré l’environnement du match. Elle a fait pas mal d’interpellation pour vente illégale à la sauvette ou vol à la roulotte, des gens qui profitent de la présence de supporters étrangers pour ouvrir leurs voitures. »


Une chanson pour résumer le passage de l’Euro dans cette ville

« Football’s coming home. » Les Anglais qui ont peut-être eu l’impression d’avoir beaucoup voyagé pour finalement se retrouver à Sheffield ou à Bradford, ont fait vibrer l’hymne de l’Euro 96 dans les travées de Geoffroy-Guichard, comme un petit hommage accidentel au premier club à avoir converti la France au football dans les années 70. Le football revient à la maison, même si on n’est pas sûr que Lyon soit toujours la banlieue de Saint-Étienne.

Dans cet article :
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