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Casa Pia, épouvantail des ogres portugais

Par Amaury Gonçalves, à Lisbonne
11 minutes
Casa Pia, épouvantail des ogres portugais

Pendant 83 ans, Casa Pia s’était égarée dans les divisions inférieures du football portugais, le plus souvent en tant que club amateur. Depuis quelques mois pourtant, ce club historique a retrouvé l’élite. Mieux, il titille les plus grands clubs du pays en championnat. Reportage au cœur d’un club mêlant histoire, solidarité et ambition, avant la réception du FC Porto.

Arriver dans l’enceinte des installations de Casa Pia, c’est un peu comme sentir le parfum d’un club départemental, voire municipal. Un club où tout le monde se connaît, où l’on se tutoie, où l’on est juste fier de pouvoir jouer au football, presque entre copains. Pas de grandes installations dernier cri ni de files de touristes venus visiter le stade. Seulement une modeste enceinte, enclavée entre un parc forestier et une autoroute qui la sépare de la banlieue lisboète. Ce qui différencie le Casa Pia Atlético Clube de petits clubs dans ce cas, c’est son actuelle présence parmi les cinq meilleures équipes du Portugal, après une année 2022 riche en émotions. Dans le restaurant Dom Leitão bordant le parking du stade Pina-Manique où le club réside, on peut notamment apercevoir de nombreuses affiches et écharpes célébrant la promotion historique des Casapianos en Liga Bwin. Obtenu le 15 mai dernier par une victoire face à Leixões, ce succès retentissant permettait au club lisboète de retrouver la première division, 83 ans après l’avoir quittée. Cet accomplissement résulte néanmoins du projet d’une direction ambitieuse de voir son club historique retrouver les sommets, après les avoir manqués pendant trop longtemps.

Un club marqué par son histoire associative

À l’aube de l’année 2023, la cinquième position en Liga Bwin du Casa Pia AC ne la tient qu’à deux petits points du Sporting. Mieux, les Gansos – littéralement les « oies » – sont pour le moment en lice pour une qualification européenne. Celle-ci serait un exploit dans leur histoire, trop ancienne pour avoir connu les joutes internationales. Si au niveau sportif, ce club reste un petit Poucet national – évoluant de nouveau en professionnel depuis 2019 seulement –, son histoire est l’une des plus riches du pays. Elle est d’abord celle d’une association : la Casa Pia. Fondée en 1780 par la reine Marie Ire, cette institution religieuse venait en aide aux mineurs et orphelins, dans un contexte où le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 avait détruit de nombreuses familles. Ses objectifs éducatifs l’amènent ensuite à ouvrir des établissements scolaires à Lisbonne. Établissements dont les élèves commencent, dès 1898, à prendre part à d’endiablées parties de football dans la ville. Plusieurs de ces élèves se démarquent alors en tant que joueurs. Parmi eux, Cosme Damião, principal fondateur du futur club de Benfica. Ancien élève de la Casa Pia, Cândido Oliveira jouera lui aussi de nombreuses années à Benfica au début du XXe siècle. Ce dernier reviendra néanmoins là où tout a commencé pour y bâtir un club en 1920 : le Casa Pia Atlético Clube.

On doit être des exemples, transmettre des valeurs comme le fait la Casa Pia depuis plus de 100 ans. On a une responsabilité sociale et civile différente par rapport à un club normal.

Dès lors, les trajectoires du Casa Pia AC et de la Casa Pia de Lisbonne restent étroitement liées. Le tout nouveau club lisboète est régi par les valeurs d’une institution historique de la ville. Cent deux ans plus tard, rien n’a changé : « On est dans une institution, résume le capitaine Vasco Fernandes. On doit être des exemples, transmettre des valeurs comme le fait la Casa Pia depuis plus de 100 ans. On a une responsabilité sociale et civile différente par rapport à un club normal. Ici, la solidarité est gravée dans la pierre », image le défenseur central de 36 ans. Inséré au sein d’un quartier populaire de la proche banlieue de Lisbonne, le club se montre engagé au niveau local. Ces dernières années, plusieurs dons d’anciens maillots ou de matériel ont ainsi bénéficié aux enfants du quartier. Le Casa Pia AC, comme la plupart des autres clubs portugais, ce sont aussi d’autres activités sportives. On y pratique la lutte olympique ou le hockey sur gazon, disciplines dans lesquelles le club a été titré aux niveaux national et olympique ces dernières années. « Toutes ces activités bénéficient d’un protocole de collaboration avec la Casa Pia de Lisbonne », ajoute Victor Seabra Franco, président du club depuis seize ans. Cet esprit associatif a aussi une influence sur le terrain, comme le souligne Vasco Fernandes : « On doit être solidaire avec nos coéquipiers comme l’a été la Casa Pia depuis sa fondation. »

Filipe Martins, pour l’amour du jeu

Le capitaine, qui parle du Casa Pia AC comme d’une « maison » plus que d’un club, est dirigé dans cette mission solidaire et sportive par Filipe Martins, l’entraîneur qui incarne le projet casapiano. À l’été 2020, Casa Pia est une équipe miraculeusement maintenue en D2 grâce à l’interruption du championnat quelques mois plus tôt, au cœur de la crise sanitaire. Après de nombreuses années de végétation dans les championnats amateurs, c’est donc de justesse que le club se maintient professionnel moins d’un an après avoir retrouvé ce statut. C’est dans ce contexte que le PDG du club Tiago Lopes, réel gestionnaire de la section football, redémarre un nouveau projet en recrutant Filipe Martins, entraîneur séduisant, mais encore assez peu expérimenté au haut niveau. « Le scénario de base n’était pas favorable, juge aujourd’hui le coach du club. C’était un défi, mais la confiance donnée par Tiago Lopes m’a convaincu de m’engager. » Le défi est en effet colossal. Dans ce projet qui vise la montée en trois ans, il faut tout reconstruire. « On devait créer une équipe à partir de presque rien. On n’avait que trois joueurs issus de la saison précédente, se remémore Martins. L’avantage, c’est qu’on pouvait tout remodeler, être certain de la mentalité et du caractère de chaque joueur qu’on voulait ajouter à l’équipe. C’était comme faire naître un bébé. Et depuis, on le regarde grandir ! » Et quelle croissance. L’objectif de la montée dans l’élite est atteint en deux saisons plutôt que trois, après une première saison où l’équipe assure rapidement son maintien. Pour Vasco Fernandes, ce succès réside dans la rigueur imposée par tout un club, « des cuisiniers aux joueurs ». Il réside aussi dans les idées et le style imposés par Filipe Martins, aujourd’hui salués dans tout le pays.

Dans le réfectoire du club, où les joueurs prennent aussi bien leur petit-déjeuner que quelques leçons tactiques de la part de Filipe Martins, ce dernier expose sa vision du football : « J’essaye d’avoir une vision « propre » du football. Je n’aime pas les polémiques. J’essaye d’avoir une gestion tranquille, de résoudre les problèmes quand il y en a sans me cacher. Je suis adepte d’un football collectif. Je ne me considère comme un entraîneur ni offensif ni défensif. J’essaye de trouver le meilleur équilibre possible. » Cet équilibre, il le trouve grâce à un 3-4-3 faisant figure de référence en championnat. Un schéma qui lui permet de mettre en valeur certains joueurs tels que Nermin Zolotić, défenseur central bosniaque pouvant aussi jouer au milieu de terrain, Leonardo Lelo, piston gauche portugais très en vue, ou Saviour Godwin, ailier gauche nigérian et meilleur buteur du club cette saison avec trois réalisations. Malgré ces individualités qui font parler d’elles au Portugal, Filipe Martins met le collectif en avant, comme tout bon casapiano: « Le point fort de cette équipe, c’est la force de son groupe. On est allé affronter une équipe très solide, 7e du championnat(Portimonense, le 28 décembre dernier), sans nos deux joueurs les plus en vue cette saison(Leonardo Lelo et Godwin Saviour). Et on a gagné. En jouant bien. Et ça, c’est grâce au groupe. Personne ne triche, chacun joue pour faire gagner ses coéquipiers », dresse-t-il fièrement.

On devait créer une équipe à partir de presque rien. L’avantage, c’est qu’on pouvait tout remodeler, être certain de la mentalité et du caractère de chaque joueur qu’on voulait ajouter à l’équipe. C’était comme faire naître un bébé.

Là où Filipe Martins fait figure d’entraîneur-modèle, c’est aussi par le beau jeu qu’il impose, malgré le statut fragile de son équipe en début de saison au milieu des ogres portugais. « Cette année, on doit forcément plus défendre que l’année dernière, car nos adversaires sont plus compétitifs, concède l’entraîneur de 44 ans. Mais même contre les grands, on ne veut pas passer notre temps à défendre sans regarder le but adverse. On veut jouer notre jeu peu importe le contexte. Je crois en l’idée que pour atteindre nos objectifs, nous devons être protagonistes dans le jeu. » En atteste le classement du temps de jeu effectif en Liga Bwin, où Casa Pia est encore en 5e position. Cet amour du jeu, Filipe Martins peut le transmettre grâce à la confiance qui est donnée à son staff. « On sait que ce n’est pas parce qu’on enchaîne trois ou quatre défaites que notre place sera en danger. La pression, on se la met individuellement, précise l’entraîneur. Demain, on doit être meilleurs qu’aujourd’hui et ainsi de suite. Notre pression quotidienne est dans cette ambition. Il faut arrêter avec les discours qui te disent que tu dois absolument gagner. Si tu travailles tous les jours pour être meilleur que la veille, tu es déjà plus proche de la victoire. »

Va piano, casapiano

Malgré son ascension éclair ponctuée par des moments marquants tels que la victoire à Braga début novembre (0-1), Casa Pia est encore un club en pleine transition. Le stade Pina-Manique représente à lui seul un paradoxe pour une équipe prétendant par ses résultats à une qualification européenne. La pelouse, vieille de 70 ans, doit être changée. Une partie des vestiaires, notamment arbitraux, est dans le même cas. N’ayant une capacité d’accueil que de 1400 spectateurs, l’enceinte ne peut par ailleurs pas recevoir de rencontres de Liga Bwin, le seuil minimal étant de 5000 spectateurs. Bien que les gradins actuels soient en bon état après une rénovation récente, leur capacité réduite témoigne d’une ascension fulgurante, inattendue. Les Gansos se retrouvent donc à jouer leurs matchs à domicile au stade national du Jamor, à quelques dizaines de kilomètres. Le coût de la logistique de déplacement et de la location, ainsi que la frustration de ne pas pouvoir jouer « chez soi », ont amené les Casapianos à projeter la construction d’un nouveau stade. Ce projet, assorti d’une extension de la principale tribune et de la construction d’une nouvelle en face, devrait débuter au mois de janvier pour s’achever l’été prochain. Preuve de l’ambition des locaux, ce stade respectera également les normes d’accueil des compétitions européennes.

Le club était comme figé vingt ans en arrière. Avec les résultats actuels, on peut enfin aller de l’avant et rattraper notre retard sur tous les aspects.

Le problème pour un club aussi modeste réside dans le financement de telles infrastructures. Quand Victor Seabra Franco devient président du club et durant les années qui suivent, « les principaux objectifs étaient de payer les dettes ». C’est dans cette perspective que dès l’été 2020, Tiago Lopes présente son projet à l’homme d’affaires américain Robert Platek, lequel devient dès lors l’un des principaux investisseurs du club. À ce moment-là, son investissement est surtout essentiel pour maintenir le club en deuxième division. Aujourd’hui, le club travaille aussi sur la création d’une SAD (société anonyme sportive) qui faciliterait de nouveaux moyens de financement par l’ouverture du capital du club à des actionnaires. D’autres stratégies financières sont déployées : la création d’une galerie commerciale dans le nouveau stade, la digitalisation de la billetterie, et dans les prochains jours, l’ouverture d’une boutique en ligne. « Le club était comme figé vingt ans en arrière. Avec les résultats actuels, on peut enfin aller de l’avant et rattraper notre retard sur tous les aspects », explique António Nobre, le directeur marketing.

Côté terrain, le mot d’ordre est à l’ambition, mais pas à la précipitation. « Aujourd’hui, on doit penser dans le temps court. Penser au prochain match, pas plus loin, tempère Vasco Fernandes. Penser autrement, c’est commettre une erreur ». Le Mister Martins prolonge cette pensée : « On sait que ce qu’on a fait jusqu’ici est très difficile à faire perdurer. Mais on a les pieds sur terre. On est préparé pour tous les scénarios, mais il faut être sûr qu’on continuera à tenter d’être le mieux classé que l’on peut l’être. » Malgré tous les beaux moments déjà vécus, Vasco Fernandes n’en souligne aucun. « Le meilleur n’est pas encore arrivé. En tout cas, on espère qu’il arrivera », rêve-t-il. Assurance du maintien, rêve européen ou ambition de grandir en tant que club, les objectifs restent nombreux dans cette enceinte enclavée dans le parc forestier de Monsanto. Ce samedi, les Gansos accueilleront au Jamor le FC Porto, pour tenter d’écrire une nouvelle belle page dans cette saison historique.

Edoardo Bove : et maintenant ?

Par Amaury Gonçalves, à Lisbonne

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