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Carton rouge à l’Europe qui n’aime pas la CAN !

Par Chérif Ghemmour
6 minutes
Carton rouge à l’Europe qui n’aime pas la CAN !

Tous les deux ans, le football européen en général et le foot français en particulier jouent les pleureuses en maudissant la Coupe d'Afrique des nations. Pauvres chouineurs…

Parmi les nombreux griefs adressés à la CAN figure le problème des nombreux départs en plein milieu de la saison. En France, ils seront ainsi 52 joueurs de L1 à se rendre en Guinée équatoriale. C’est beaucoup ? Pour Bordeaux et l’OL qui « perdront » cinq éléments, on peut le penser, oui. D’autant plus que Lyon est en course au titre (Zeffane, Yattara, Koné, Bedimo, N’Jie). L’OM ne lâchera « que » André Ayew et Nkoulou. Pour les autres clubs, les « pertes » oscillent entre deux à trois joueurs. Du coup, ça coince en L1. Et pourtant…

Y a pas bon !

Depuis le temps que la CAN existe, les clubs français ont eu le temps d’anticiper et faire avec. À Auxerre, Guy Roux limitait son contingent africain pour ne pas trop se voir pénalisé par les départs. Plus généralement, c’est au foot français de diversifier son recrutement et aller explorer d’autres pays, d’autres continents. Un Dušan Tadić au talent évident était encore abordable il y a dix-huit mois, au FC Twente, avant qu’il n’aille briller à Southampton. La Bundesliga a souvent la main heureuse en recrutant en Asie (Japon, Corée du Sud, voire Iran). Et puis comme le rappelait toujours Johan Cruijff, en tant qu’entraîneur : « Des joueurs blessés ou absents sont une opportunité qui te forcent à faire jouer un autre joueur et, surtout au Barça, une obligation de faire débuter un jeune. » En janvier 2012, Montpellier a compensé les départs à la CAN de Saihi, Belhanda, El Kaoutari et Souleymane Camara par les jeunots Stambouli et Cabella. Et Montpellier a été quand même champion ! CQFD. Aux clubs de L1 de préparer lors des années impaires l’incorporation des jeunes issus de leur formation. Rappelons enfin qu’à la CAN pas mal de sélections giclent au premier tour et que leurs joueurs reviennent plus tôt en Europe. Certains y trouvent même le temps de jeu qui leur manque en club…
Concernant le recrutement proprement dit des clubs européens chouineurs, ils oublient trop souvent que c’est à l’occasion de la CAN qu’ils font leur marché, envoyant de nombreux émissaires afin d’y dénicher des jeunes pépites et des joueurs confirmés. La CAN est devenue un marché porteur, disputé en condition réelle et durant lequel ces scouts peuvent largement évaluer le potentiel de leurs cibles. C’est souvent l’exposition des footballeurs du Ghana (puissance forte du continent) à la CAN qui les ont rendus si attractifs… L’Europe oublie aussi que les relations avec l’Afrique s’opèrent dans les deux sens, notamment au niveau des entraîneurs. Ils seront encore six techniciens français sur les 16 nations du tournoi (Gourcuff, Dussuyer, Renard, Kasperczak, Giresse et Le Roy). Ils ont tous globalement la légitimité et la compétence professionnelles pour diriger ces sélections. Pour certains d’entre eux et pour de nombreux autres, l’Afrique offre très souvent des opportunités de carrière qui se sont taries pour eux en France. Mais qui s’interroge sur le sort des nombreux techniciens africains très capables qui se voient squeezés par les « Sorciers blancs » ? L’Égyptien Shehata, le Ghanéen James Kwesi Appiah ou les Nigérians Stephen Keshi et Shaibu Amodu ont prouvé leur valeur sur les bancs. Ces même bancs préemptés par des Français, Scandinaves ou Allemands qui souvent ne connaissent rien ou pas grand-chose du foot africain…

Y a pas bon, encore !

Viennent enfin les deux gros griefs faits à la CAN : le calendrier et la périodicité. Ces deux questions importantes et légitimes (ce sont les clubs européens qui payent les joueurs africains) appellent des réponses à la fois factuelles et à la fois circonstancielles. On joue la CAN en hiver, car au printemps-été, il fait très chaud ou bien c’est la saison des pluies. Basique. La solution serait alors de faire jouer les matchs tard le soir ? Pourquoi pas. Mais les conditions d’entraînement quotidien dans la journée seraient souvent insupportables. C’est pourquoi le Mondial 2022 au Qatar, s’il a lieu, ne pourrait se jouer qu’en hiver. Et le problème de la périodicité bisannuelle ? Il est réel, bien sûr. Et pourtant… Même disputée en été, personne ne critique la périodicité anarchique de la Copa América : bisannuelle de 1987 à 2001, puis 2004, 2007, 2011, 2015, 2016, 2019, 2023. Cette compète tout aussi énergivore et génératrice de blessures que la CAN flingue aussi en partie la préparation estivale d’avant-saison de pas mal de footballeurs jouant en Europe. Mais qui s’en plaint ? Quand la FIFA surcharge son calendrier avec la Coupe du monde des clubs (autrefois Coupe intercontinentale en un match unique) ou avec une Coupe des confédérations de plus en plus lourde (8 équipes), personne ne proteste non plus. Mais c’est sur la CAN qu’on tire à boulets rouges ! Avec ces clubs anglais qui usent d’intimidations et de menaces de punition prolongée sur le banc à l’égard des joueurs africains en partance pour la CAN. L’arrogance et le mépris du foot anglais sont sans limite, poussant jusqu’au bout l’avantage de son pouvoir financier exorbitant. Les clubs anglais n’en ont jamais assez. Comme si le fric pouvait tout acheter, à commencer par la fierté de jouer pour son pays. Il faut rendre hommage à Drogba, Eto’o ou Yaya Touré qui ont su résister aux pressions de leur clubs respectifs, peu enclins à les laisser partir à la CAN.

Dans son ignorance très ethnocentrée, l’Europe du foot oublie que le foot et la CAN sont les éléments constitutifs de l’Unité africaine. D’où sa périodicité bisannuelle : tous les deux ans, l’Afrique se retrouve autour d’un événement festif et sportif. Même si les stades sont souvent vides, tout un continent vibre devant la télé. L’Afrique est un continent jeune, sorti du colonialisme depuis juste un peu plus de 50 ans. L’Afrique s’est aussi construite à travers la CAN. Chaque sélection fédère la population du pays qu’elle représente, assurant par là même une certaine cohésion nationale. En Europe, on glose sur les surnoms « animaliers » des équipes (les Lions, les Éperviers, les Aigles) alors qu’en Afrique cette symbolique s’impose dans le plus grand respect. Du haut de son imperium, l’Europe somme l’Afrique d’espacer la périodicité de la CAN en la faisant disputer tous les quatre ans. Et après ? L’Europe exigera sa suppression pure et simple ? Soyons sérieux : concernant la CAN, tout est négociable (des joueurs africains questionnent la périodicité trop rapprochée). Tout est négociable, mais à condition de respecter l’Afrique et le foot africain. Les injonctions européennes insupportables et répétées ne feront que renforcer les fins de non recevoir légitimes de la CAF. L’Afrique n’a pas oublié qu’elle a dû attendre 1982 pour avoir deux représentants en Coupe du monde. Avant c’était un seul, et encore avant c’était zéro, ou presque… Comme le rappelait Willy Sagnol, « le joueur africain est pas cher » et l’Europe en a longtemps profité. L’Europe doit savoir aussi rendre à l’Afrique qui lui a beaucoup apporté. À commencer par la France (pas besoin de faire des listes des cracks innombrables). Même les meilleurs binationaux franco-africains choisissent les Bleus… Européens, kiffez la CAN au lieu de chouiner !

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