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Cameroun, la guerre des langues n’en finit plus

Par Adrien Candau
Cameroun, la guerre des langues n’en finit plus

Fin octobre, Kylian Mbappé, André Onana et Stéphane Mbia se sont fait le relais sur Twitter des hashtag #endanglophonecrisis ou #camerounisbleeding. Autant de messages qui visent à mettre un coup de projecteur sur la guerre des langues qui paralyse le Cameroun, depuis plus de trois ans. Un conflit qui voit s'opposer le gouvernement à des rebelles qui demandent l'indépendance des deux régions anglophones du pays.

Ce samedi 24 octobre, l’horreur a franchi un palier. Ce jour là, un groupe d’hommes armés prend d’assaut la classe de 6e de la Mother Francisca International Bilingual School, une école privée située dans la ville de Kumba, dans le sud-ouest, l’une des deux régions anglophones du Cameroun. Sept élèves âgés de 9 à 12 ans sont tués. Les assassins ont fait irruption dans une salle de classe, avant de tirer sur les écoliers. Un drame qui bouleverse le Cameroun, notamment ses sportifs, accusés jusqu’ici de se réfugier dans un bien confortable silence. Stéphane Mbia réagissait le lendemain du drame en signant ce message : « Le Cameroun saigne… Je pense aux familles brisées, hier à Kumba, par ces actes odieux et lâches ! Aller à l’école n’est pas un crime… C’est la jeunesse et l’avenir de notre pays qui ont été touchées ! »

André Zambo Anguissa et André Onana relayaient eux sur leurs réseaux sociaux le hashtag #endanglophonecrisis, tout comme Kylian Mbappé, dont le père est camerounais. Symboliquement, l’intention est là, mais le message mérite encore d’être décrypté : de quelle crise parle-t-on donc précisément ici ?

Franglais sauce camerounaise

Quelques chiffres pour débuter : enlisé depuis 2017, le conflit aurait déjà fait plus de 1800 victimes et plus de 500 000 déplacés. Il oppose les forces gouvernementales à des rebelles armés, qui demandent l’indépendance des deux régions anglophones du Cameroun, à l’extrême ouest du pays. C’est une frange de ces mêmes rebelles qui seraient responsables du massacre de l’école de Kumba. Pour comprendre ce qui pousse ces derniers à vouloir faire sécession, il faut encore potasser ses livres d’histoire : colonie allemande jusqu’en 1916, le Cameroun passe après la Première Guerre mondiale sous le contrôle de la France et de la Grande-Bretagne, et est divisé en deux. Au Cameroun oriental, sous contrôle de Paris, on parle français, quand, au Cameroun occidental, affilié à Londres, c’est l’anglais qui est requis. Après avoir acquis leur indépendance au début des années 1960, les deux Cameroun s’unifient pour créer un état fédéral en 1961. Avant d’opter pour un modèle plus centralisé, en 1972.

À cette occasion, le pays est rebaptisé République unie du Cameroun. Sa constitution stipule alors que les deux langues officielles du pays sont le français et l’anglais. Sur le papier, l’équité existe, mais la mise en pratique est plus délicate. Malgré l’affichage officiel du bilinguisme, l’usage du français, favorisé par une majorité de la population, se généralise sur l’ensemble du territoire, à l’exception des deux régions anglophones d’origine, au nord-ouest et au sud-ouest du pays. Les textes législatifs ou réglementaires sont de plus en plus souvent publiés en français, sans traduction en anglais. À Douala, dans la capitale économique, on s’exprime presque exclusivement en français, et de nombreux jeunes ne savent pas parler anglais, qui ne leur est plus enseigné. Un sentiment d’injustice émerge alors dans les deux régions anglophones du pays, dont les populations se sentent marginalisées, dépossédées linguistiquement et discriminées vis-à-vis des francophones.

Une histoire de violences

En octobre 2016, des avocats anglophones manifestent à Bamenda pour réclamer la traduction des lois et des textes juridiques en anglais. Peu après, des enseignants engagent une grève pour dénoncer la francisation du système éducatif anglophone. « Le problème, c’est que certaines de ces revendications pacifiques ont ensuite été réprimées avec violence par le gouvernement, explique Elie Smith. Ce journaliste camerounais est aussi le porte-parole de la Conférence générale anglophone (CGA), un des organes de médiation qui tente de structurer les négociations entre les rebelles et le pouvoir en place. Le 1er octobre 2017, à Bamenda, le gouvernement a tué plusieurs personnes (au moins 20 victimes seraient à déplorer, selon Amnesty International, N.D.L.R.) pour réprimer des manifestations anglophones pacifiques, qui exprimaient leur désir d’indépendance. Ils ont ensuite fait arrêter de nombreux leaders syndicaux pacifiques. Tout cela a justifié le choix des extrémistes anglophones d’opter pour la voie de la violence pour demander la sécession des régions de l’ouest du pays. C’est le seul moyen, selon eux, d’arriver à leurs fins. »

Une violence aux contours parfois extrêmes, comme en atteste l’attaque de Kumba. Mais pourquoi s’en prendre donc à une école ? « Trois semaines plus tôt, Samuel Sako Ikome, l’un des leaders sécessionnistes en exil, avait écrit sur Twitter que les rebelles allaient tout faire pour que l’école ne débute pas, si les négociations – sous médiation suisse – ne reprenaient pas avec le gouvernement, décrypte Elie Smith. Donc, pour eux, s’en prendre à une école est une manière de terroriser la population. Notez aussi que, quand les enfants vont à l’école, ils sont moins susceptibles d’être enrôlés par les milices séparatistes, donc c’est considéré comme une victoire pour le gouvernement. » L’escalade de la violence séparatiste répond aussi aux exactions des troupes gouvernementales : « Ce que je peux vous affirmer, c’est que l’armée a aussi commis des actes horribles, déroule Elie Smith. J’ai pu faire des reportages dans ces zones-là et je peux vous dire que les soldats ont brûlé le village de Kwakwa (en zone anglophone, N.D.L.R.)ou encore perpétré le massacre de Ngarbuh. » Dans ce quartier anglophone de la ville de Ntumbaw, où s’opposent séparatistes et forces de défense et de sécurité, une vingtaine de civils, dont une dizaine d’enfants, ont été tués le 14 février. Trois militaires camerounais ont été inculpés de l’assassinat de masse commis ce jour-là.

« Eto’o ? Il n’a pas dit grand-chose… »

Dans un tel contexte, les opinions les plus modérées peinent à se faire entendre, même quand elles sont plus nombreuses. « Il y a une tendance indépendantiste oui, mais en réalité, ce que veulent la majorité des anglophones, c’est le retour à un système fédéral, où ils auraient plus d’autonomie, comme c’était le cas de 1961 à 1972 », explique Elie Smith. En parallèle, l’opinion camerounaise déplore le manque de prise de position de certaines de ses figures publiques, comme l’explique l’artiste camerounais Pascal-Olivier Ouandji, qui fut longtemps l’interprète puis un proche de Samuel Eto’o : « Un certain nombre de vedettes camerounaises ont été critiquées pour ne pas s’être assez prononcées et exprimées vis-à-vis du conflit. Comme Eto’o par exemple : il est toujours prêt à défendre plein de causes, mais, le cas échéant, il n’a pas dit grand-chose. C’est pareil pour les basketteurs de NBA Pascal Siakam et Joel Embiid, à qui on a reproché de n’avoir rien dit sur les réseaux sociaux ou dans les journaux. »

Pourquoi un tel silence ? Pascal-Olivier Ouandji poursuit : « Certaines de ces stars ont sûrement des intérêts à protéger au Cameroun, d’autres sont assez proches du pouvoir et ne veulent pas subir de représailles. Je ne pense pas qu’elles soient insensibles au conflit, mais elles n’ont pas voulu mettre en danger leurs intérêts personnels pour le bien de la nation. » Mais, bien au-delà des mots, que faire, face à une guerre enlisée depuis plus de trois années désormais ? Elie Smith, lui, veut croire que le Cameroun va bientôt commencer à voir la lumière au bout du tunnel, même si son propos est nuancé : « J’ai bon espoir. Je pense que les indépendantises commencent à se dire que militariser leurs demandes n’a pas abouti. De plus, la communauté anglophone, qui les soutenait massivement au début, ne le fait plus. Le conflit va s’estomper, mais ça ne veut pas dire que la crise sera résolue. Le gouvernement doit prendre en compte les revendications élémentaires des anglophones. Sinon, la crise sera cyclique et les violences recommenceront dans 10 ou 15 ans. »

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Par Adrien Candau

Propos d'Elie Smith et Pascal-Olivier Ouandji recueillis par AC.

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