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« On se bagarre, mais on ne joue plus »
Le lendemain, sur les réseaux sociaux, un peu d'humour : Yo Soy Centurion, Je suis centurion, apparaît un peu partout. Le bonhomme s'en est sorti avec un simple hématome. « Je l'ai senti arriver très fort, donc j'ai légèrement sauté avant l'impact, ce qui a allégé le choc. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas fait découper comme ça » , sourit-il. Soulagement, et interrogation : comment deux professionnels, évoluant dans le club le plus populaire et médiatique du pays, peuvent-ils réagir comme des voyous à un petit pont et quelques passements de jambe, tronquant complètement la préparation de leur équipe ? Une réponse : c'est ce qu'est devenu le foot argentin, dans lequel le tacle en retard est devenu le geste technique numéro un. Observateurs et supporters sont presque tous d'accord là-dessus. Derrière la passion et l'engagement se cache la pauvreté technique. Selon Carlos Bianchi, aujourd'hui en Argentine, « on se bagarre, mais on ne joue plus » .
Gerardo Martino, lui, parle de « football hystérique » . Il y a peu, Tomas Carlovich, El Trinche, une légende du football à Rosario (Pékerman, Bielsa et Menotti ne rataient jamais un de ses matchs), nous racontait qu'à son époque (70s-80s), les équipes argentines possédaient « sept ou huit joueurs de bons pieds. Depuis plusieurs années, si elles en ont un, c'est déjà pas mal. » Les causes sont connues : l'arrêt Bosman, l'émigration massive des joueurs talentueux (parfois avant même de débuter en première division), la disparition progressive des potreros, le déclin économique des clubs, tous lourdement endettés. Résultat : à quelques exceptions près, les effectifs des clubs professionnels argentins se composent de joueurs de seconde zone et de revenants sur le déclin. Y compris à Boca, club le plus puissant du pays.
La culture de l'aguante
Ne reste alors qu'une seule arme aux joueurs dont l'Europe, le Brésil, le Mexique et le Moyen-Orient n'ont pas voulu : los huevos. Les couilles. N'ayant plus droit au jeu au sol, au toque de Bochini ou à la gambeta d'Ortega, les supporters exigent de ceux qui portent leur maillot d'être irréprochables sur le pré. « Regardez dans les stades. Les gens applaudissent quand leur équipe aligne deux passes ou quand l'un des leurs démonte un adversaire » , constate Juan Barbas, mondialiste avec l'Albiceleste en 1982 et passé par les meilleurs centres de formation du pays depuis. La culture footballistique locale tourne autour du concept de l'aguante, que Diego Murzi, sociologue et membre de l'asso Salvemos al futbol ( « Sauvons le football » ), définit comme « être plus fort, plus résistant, plus courageux que le rival » .
En tribunes, dans les chants, les affrontements, l'aguante est une obsession. Les joueurs doivent suivre sur le terrain. L'idée de « marcher sur l'adversaire » est passée du sens figuré au sens propre. On peut ne pas savoir cadrer une frappe, mais pas lever le pied, au risque de passer dans la catégorie des pecho frio ( « torse froid » ), ces joueurs (Lucho González et Pastore, par exemple) qui n'ont pas le sang assez chaud au goût des supporters. Hormis quelques exceptions (le Newell's de Martino il y a deux ans, le San Lorenzo de Pizzi, puis Bauza, par moments le River de Gallardo), le football argentin ressemble davantage à un combat de gladiateurs qu'à un jeu de ballon. Ce n'est pas Ricky Centurion qui dira le contraire.
Par Léo Ruiz
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