Le tout après avoir subi pendant une partie de la rencontre des cris de singe. Rien de plus, pas même une once d’extravagance ou de provocation. Beaucoup seraient même tentés de dire que Kean, du haut de ses 19 ans, a eu raison. Raison, d’abord, de ne pas avoir été déstabilisé par ces fameux « décérébrés » qui, saison après saison, sont pourtant toujours là pour crier leur haine de l’autre. Raison, ensuite, d’avoir réagi avec sagesse et, surtout, de ne pas avoir courbé l’échine pour simplement aller festoyer avec ses coéquipiers comme Bonucci lui a suggéré de le faire. Car Kean a peut-être douze ans de moins que Bonucci, mais ce mardi, c’est bien lui qui a filé une leçon de vie à un père de famille qui a préféré tolérer l’intolérable plutôt que de voler au secours d’un jeune coéquipier.
Bonucci, l'hôpital qui se fout de la charité
Que l’on ne se trompe pas : Bonucci n’a pas été « maladroit » dans sa déclaration d'après-match au micro de Sky Sports. Il a simplement révélé le fond de sa pensée. Car oui, pour Bonucci, Kean a commis une erreur. Sa réaction sur le but de Moise, où il vient chercher son jeune coéquipier pour lui dire de se replacer avant de tendre le bras en signe d’excuse (ou pour calmer le jeu, le doute est désormais permis) montre bien que son « 50-50 » n’était pas une erreur de langage.
Tommaso Giulini, le président de Cagliari, ne disait d’ailleurs pas autre chose en tentant de défendre son public en direct sur Sky Sports après la rencontre. Dans un débat animé avec le chroniqueur Daniele Adáni, qui a immédiatement pris position aux côtés de Matuidi (qui avait déjà été la cible des supporters de Cagliari l’an passé) et de Kean, Giulini assène : « Ce n’est pas du racisme, j’entends beaucoup de leçons de morale ce soir sur ce plateau. Si Bernardeschi avait marqué, ça aurait été la même chose. N’instrumentalisez pas cet épisode. Kean s’est trompé et même des joueurs de la Juventus me l’ont dit... » Si la réaction du président sarde est immonde, la prise de position de Bonucci ne l’est pas moins. Et même pas uniquement sur le terrain du racisme, mais aussi sur celui du mépris. Comment Bonucci, lui qui n’avait pas hésité l’an passé à exulter au milieu de l’Allianz Stadium avec les Rossoneri pour son retour à Turin, peut-il donner une leçon de célébration de but à Kean ? Réponse : avec un sacré culot.
Ne plus tolérer l'intolérable
Fort heureusement pour Kean, le reste du vestiaire turinois a su se montrer un peu plus à la hauteur que Bonucci. À commencer par le capitaine, le vrai, Giorgio Chiellini : « J’ai revu les images car sur le terrain, on ne se rend pas bien compte. Kean n’a absolument rien fait. Sa seule erreur a été la simulation (en début de match pour obtenir un penalty, N.D.L.R.), mais il a appris et ne le fera plus. Il ne méritait pas les insultes. » Il y aussi eu Pjanić, Matuidi, Cancelo, Douglas Costa et bien évidemment pléthore d’autres grands joueurs (ou non) qui ont tenu à manifester leur soutien au jeune buteur italien. Le Napolitain Kalidou Koulibaly, lui aussi victime de racisme cette saison, fait également partie de cette liste, tout comme la Fédération française de football et son président Noël Le Graët qui a publié un communiqué pour apporter son soutien et son « amitié à Blaise Matuidi et Moise Kean qui ont été victimes de ces propos intolérables » . D’autres n’hésitent pas à s’en prendre directement à Bonucci, comme Mario Balotelli qui, sur Instagram, explique à Kean que Bonucci a « eu de la chance » qu’il ne soit pas là.
Et puis, comme souvent, la parole la plus sage est venue de Massimiliano Allegri, l’entraîneur de la Vieille Dame, qui vise, lui, directement les institutions : « L’arbitre a arrêté le match à la fin à cause d’insultes racistes venues des tribunes après la célébration de Kean. Nous avons des outils pour arrêter cela. Nous avons des caméras que nous pouvons utiliser pour attraper les personnes qui font cela. C’est simple, il faut des règles drastiques. Ces personnes devraient être interdites de stade à vie. Pas seulement pour un mois ou un an, mais à vie. Si tu fais une erreur, tu dois payer, point. » Car ce mal est présent depuis trop longtemps et se montre au grand jour bien trop souvent. Il ne faut surtout pas minimiser ce type d’incidents et prendre son courage à deux mains pour vaincre ceux qui veulent diviser à n’importe quel prix. Surtout, il faut cesser de suggérer que les victimes ont une part de responsabilité. En somme, il faut faire tout le contraire de ce qu’a fait Leonardo Bonucci en Sardaigne.
Par Andrea Chazy
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