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Bleus : libres et égos

Par Clément Gavard
5 minutes
Bleus : libres et égos

Si la sortie médiatique d'Olivier Giroud après la victoire des Bleus contre la Bulgarie, concernant les ballons qu'il ne recevrait pas, ressemble à une tempête dans un verre d'eau, les mots employés traduisent la frustration de l'attaquant de 34 ans. Mais révèlent aussi et surtout la capacité de Didier Deschamps et son staff à gérer les ego pour le bien du plus important dans la conquête d'un nouveau titre : le groupe.

C’est à l’heure où le ronronnement agréable des tondeuses brise le silence du Stade de France, plongé dans la nuit et vidé de ses 5000 spectateurs privilégiés, qu’Olivier Giroud a décidé de sortir du cadre. Ce mardi soir, l’attaquant des Bleus a quitté la pelouse en inscrivant deux buts de numéro 9 contre la Bulgarie, mais aussi avec quelques frustrations. « Vous dites qu’on ne m’a pas beaucoup vu au début, mais peut-être qu’on aurait pu mieux se trouver, a-t-il immédiatement rétorqué au journaliste de la chaîne L’Équipe utilisant le qualificatif « discret » pour parler de la prestation de Giroud avant son doublé. Des fois, on fait des courses, mais les ballons n’arrivent pas, après je ne prétends pas toujours faire les bons appels, mais je me suis évertué à donner des solutions. Voilà, je suis quand même très heureux d’avoir pu aider l’équipe. Il n’y a aucune amertume, ne vous inquiétez pas. » Pas de quoi paniquer ni polémiquer, c’est vrai, mais les mots employés par le champion du monde ne sont pas non plus anodins.

Giroud et les mauvaises connexions

Il n’est pas ici question de chercher la petite bête à quelques jours du début de l’Euro, mais plutôt de comprendre la sortie du deuxième meilleur buteur de l’histoire des Bleus dans un contexte où chaque intervention médiatique est contrôlée et calculée pour ne pas faire de vagues. Giroud visait-il implicitement son partenaire Kylian Mbappé ? Possible, et il n’est de toute façon pas un secret que la connexion sur le terrain entre les deux joueurs n’est pas parfaite (deux passes décisives de Mbappé à Giroud en quatre ans, aucune dans l’autre sens depuis le France-Argentine de 2018). Face à la Bulgarie, le numéro 10 des Bleus s’est d’ailleurs montré moins altruiste en seconde période qu’en première, où sa relation avec Karim Benzema, auquel il avait clairement envie d’offrir un but, était plus évidente. Des constats puis des chiffres pour illustrer ces échanges plus compliqués : Benzema a trouvé neuf fois le duo Mbappé-Griezmann quand Giroud n’a effectué que quatre passes à ses deux complices de l’attaque. Une simple question de profil, Giroud n’ayant pas le même rôle que Benzema dans cette équipe ? Certainement, mais aussi peut-être la raison des frustrations du buteur de Chelsea.

Ce mardi soir, Mbappé et Giroud ont joué pour leur poire le temps de quelques minutes, chacun à leur manière. Le premier est parfois retombé dans ses travers aperçus cette saison avec le PSG, voulant forcer ses actions tout seul, quand le second a évacué une certaine lassitude par les mots. « Pour le coup, avec deux bons ballons de Ben (Pavard) et de Wissam (Ben Yedder), j’ai pu bien finir, mais on aurait pu marquer plus de buts si on avait été plus efficaces », a également ajouté Giroud pour aller au bout de sa pensée. D’une certaine manière, les paroles sincères de Giroud, souvent mis de côté au profit du sexy trio Benzema-Mbappé-Griezmann depuis le début de la préparation, font du bien. Mais elles rappellent aussi qu’il est impossible de mettre de côté les ego pendant plus d’un mois de vie commune entre des footballeurs de haut niveau habitués à empiler les victoires et les trophées sur leurs cheminées.

Deschamps, modèle de gestion

Si cette affaire ressemble plus à une tempête dans un verre d’eau qu’à une immense bombe, Didier Deschamps s’est empressé de venir éteindre les premières étincelles avec son extincteur auprès de cette même chaîne L’Équipe moins d’une heure après le passage de son attaquant, et quelques minutes après sa conférence de presse d’après-match. « Si les ballons arrivaient à chaque fois sur les appels… C’est toujours pareil… L’attaquant dit que ça vient des milieux, les milieux disent que c’est les attaquants. Il le dit, ça peut arriver, a répondu le pompier DD, dont l’intervention improvisée à minuit passé est significative. C’est parfois peut-être la vérité. Dans certaines situations, c’est la passe qui ne vient pas, d’autres fois c’est le mouvement. Ce n’est pas stigmatiser Kylian ou qui que ce soit. Kylian, je lui ai parlé à la mi-temps. Il le sait très bien, Olivier n’a pas le même profil que Karim. Il a une position plus axiale de pivot, alors qu’en première période, les trois pouvaient permuter pour se trouver dans n’importe quelle zone. Olivier n’a pas le même profil. Ils ont des choix à faire, il ne faut pas toujours les interpréter. S’ils font une action individuelle au lieu de faire la passe, c’est à eux de choisir, quand ce n’est pas le jeu qui leur impose. »

Dans le monde de Didier Deschamps, rien n’est plus fort que le groupe. Depuis près d’une décennie passée dans son costume bleu marine de sélectionneur, le double champion du monde n’a cessé de le répéter au gré des nombreuses conférences de presse. Chaque relent d’individualisme est une occasion d’agacer le patron des Bleus, comme lorsque Griezmann avait choisi de se mettre en avant pour parler de son avenir en club dans l’insupportable documentaire La Décision à quelques jours du coup d’envoi du Mondial 2018. Dans les semaines suivantes, le numéro 7 des Bleus, star de l’Euro deux ans plus tôt, aura finalement préféré s’éclipser brillamment dans l’ombre sur le terrain pour laisser Kylian Mbappé, 18 ans, prendre la lumière. Un autre exemple ? Les récits autour de l’importance d’Adil Rami, zéro minute de jeu au compteur lors de l’épopée russe, comme pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité en dehors des terrains où les cadres s’imposent naturellement comme des leaders. Voilà la force de l’équipe de France à la sauce Deschamps : réussir à placer le groupe avant les nombreuses stars qui le composent.

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