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  • Quel bilan pour Infantino ? (Partie 1/2)

Bilan d’Infantino à la FIFA : Ici, c’est Gianni

Par Adrien Candau
Bilan d’Infantino à la FIFA : Ici, c’est Gianni

Quasi-mystère médiatique au moment de son élection à la tête de la FIFA en 2016, Gianni Infantino a un dernier sommet à franchir avant la fin de son mandat, en mars 2023 : le mondial qatari. Après six ans de présidence, celui qui avait promis de faire de la fédération internationale « l’institution sportive la mieux gérée au monde » a davantage assuré son avenir politique, que bouleversé les codes et le fonctionnement d’une organisation qui semble plus que jamais irréformable. Retour en deux épisodes sur des années de gouvernance jalonnées de promesses, mais conclues sur une platitude désespérante de résultats.

Si un romancier se mettait en tête d’écrire la légende noire de la FIFA, l’année 2015 constituerait probablement l’un des pivots narratifs de l’ouvrage. Ballottée par le plus grand scandale de corruption de son histoire à la suite de une longue investigation menée par le FBI, la fédération perdait alors plusieurs hauts responsables de son instance dirigeante. Quelques mois plus tard, la commission d’éthique de l’organisation était obligée de suspendre son propre président, Sepp Blatter, comme le numéro 1 de l’UEFA Michel Platini, pour soupçon de « paiement déloyal » ordonné par le premier en faveur du second. Un bordel monumental, dont émergeait un seul grand vainqueur : Gianni Infantino. Profitant d’un vide politique inédit, celui qui fut de longues années secrétaire général de l’UEFA parvenait à se faire élire président de la plus puissante fédération sportive du monde, le 26 février 2016. Avec une priorité en tête de liste : faire le ménage à la FIFA. « Des réformes doivent non seulement être décidées, mais elles doivent aussi être mises en œuvre… Par réforme, j’entends une bonne gouvernance, de la transparence financière, des structures de changement, qui sont dans mon projet », promettait-il. Six ans plus tard, à quelques mois d’un premier mandat qui prendra fin en mars 2023, vient donc l’heure des comptes d’un programme aux contours jadis présentés comme ambitieux et audacieux.

Des Russes et des ruses

Premier chantier annoncé de la présidence Infantino : réformer de la cave au grenier la gouvernance de la FIFA. Pour ce faire, le nouveau big boss de la fédération laisse un temps les coudées franches à la commission d’éthique, l’une des trois grandes instances judiciaires de l’organisation. Outre la suspension de Michel Platini et de Sepp Blatter, ce comité – théoriquement indépendant – ordonne des enquêtes sur des dizaines d’officiels de l’organisation. Le ramdam que l’enquête du FBI a provoqué au sein de la fédération internationale lui laisse alors plus de latitude pour agir, alors que deux de ses dirigeants, les juristes Cornel Borbély et Hans-Joachim Eckert, semblent particulièrement proactifs dans l’exercice de leurs fonctions. « Les gens comme Borbely et Eckert, qui ont été nommés sous Blatter, sont seulement devenus vraiment indépendants quand il est devenu clair que les autorités américaines étaient impliquées et enquêtaient sur la FIFA », confirme la lanceuse d’alerte Bonita Mersiades. Cette ex-cadre de la Fédération australienne de football, également membre de l’équipe de direction pour la candidature australienne aux Coupes du monde 2018 et 2022, dénonce depuis des années le manque d’éthique et de transparence de la fédération internationale. À l’été 2016, la FIFA contemple le spectre d’un nouveau scandale, alors que l’avocat canadien Richard McLaren, qui œuvre alors pour l’Agence mondiale antidopage, publie cette année-là deux rapports qui dénoncent des pratiques de dopage d’État dans le sport russe. Ils mettent notamment en cause le ministre des Sports et président de la Fédération russe de football, Vitaly Mutko, qui aurait été le grand ordonnateur de ce système de triche généralisé. « On m’avait demandé d’enquêter, pour déterminer s’il y avait une méthodologie systématique de dopage en Russie, se souvient aujourd’hui McLaren. Pendant cette enquête, on a trouvé des échantillons suspects de footballeurs russes, qui semblaient avoir bénéficié de ce système… Donc, on a approché la FIFA et on leur a proposé de leur offrir notre assistance, de les aider à approfondir les recherches. »

Vitaly Mutko, ici avec un sinistre inconnu

Cornel Borbély – alors deuxième président de la chambre d’instruction de la commission d’éthique de la FIFA – est très intéressé. Il rencontre vite McLaren et évoque la possibilité de coopérer dans le cadre d’une enquête plus approfondie. Cette collaboration ne verra cependant jamais le jour : en décembre 2017, Hans-Joachim Eckert et Borbély ne sont étrangement pas renouvelés dans leurs fonctions par la FIFA. Le second est remplacé par Claudia María Rojas, une juriste colombienne. Cette dernière a été recommandée à Gianni Infantino par le président de la fédération colombienne, qui la qualifie de « candidate de luxe » et de « superamiga » (super copine, en VF), dans une correspondance par mail dévoilée par les Football Leaks en 2018. C’est elle qui hérite du dossier relatif au dopage du football russe, et avec qui McLaren pense désormais devoir traiter. « Mais cette personne ne m’a jamais contacté, s’étonne encore aujourd’hui le Canadien.Elle n’a jamais eu aucune forme de communication avec moi…. Pourquoi n’ont-ils pas voulu coopérer avec mes services ? Je n’en sais rien, je suppose que c’est d’abord dû au fait qu’ils voulaient garder l’ensemble sous contrôle… J’ai cru comprendre qu’ils ont effectivement enquêté par eux-mêmes, mais n’ont rien trouvé de suffisamment probant. Ce qui, je dois l’admettre, m’a aussi surpris, parce que c’était clair pour nous qu’il y avait des échantillons de footballeurs russes qui avaient été manipulés de façon inappropriée. » En débarquant Borbely et Eckert – qui sont souvent décrits par leurs détracteurs au sein de la FIFA comme « des hommes de Blatter » -, Infantino remet possiblement au goût du jour les bonnes vieilles méthodes féodales de la fédération. « On peut penser que ces changements étaient dus à la volonté d’Infantino de mettre ses propres hommes en place, théorise Bonita Mersiades. Ils étaient désormais perçus comme trop indépendants et dérangeants… À mon sens, cela démontre que rien n’avait changé à la FIFA : on fait en sorte que son pouvoir et son autorité soient primordiaux pour mettre ses propres gens dans des positions de pouvoir et d’influence. Comme ces gens vous doivent beaucoup, ils vont faire en sorte que ce que vous vouliez soit appliqué. »

La guerre d’indépendance

Infantino semblera faire usage d’un procédé analogue pour remettre au pas le comité de gouvernance de la FIFA, un organe de supervision indépendant de la fédération créé en 2015, après le scandale qui avait sali la fédération. L’instance a pour mission de purger la FIFA de profils suspectés de conflits d’intérêts avérés ou potentiels, de corruption, de divers problématiques d’ordre éthique et de pratiques anti-démocratiques. À sa tête figure depuis 2016 le juriste portugais Miguel Maduro, qui s’est alors mis dans le crâne de faire radicalement bouger les lignes au sein de la fédération. « L’un des problèmes cruciaux qui expliquait la multiplication des cas de corruption à la FIFA était lié à une absence de mécanisme de séparation des pouvoirs, de freins et de contrepoids indépendants en son sein, rejoue aujourd’hui Maduro. Je n’aurais pas accepté le poste si je ne croyais pas que c’était l’opportunité pour réformer la FIFA, plus particulièrement pour mettre en place des mécanismes de contrôle et de surveillance forts et autonomes, pour la réguler. »

Maduro et le comité de gouvernance scrutent entre autres choses la bonne mise en œuvre des élections des fédérations affiliées à la FIFA. Comme celle de la Confédération asiatique de football (AFC), en septembre 2016. La FIFA vient alors d’adopter une nouvelle règle qui veut qu’au moins une femme doit être élue, parmi les membres du conseil de la FIFA choisis par chaque fédération des six continents. « L’AFC a interprété cette règle en créant ce qu’ils ont appelé une« female position ». Ils voulaient faire concourir toutes les candidates femmes seulement pour ce poste spécifique, explique Maduro. Bien sûr, l’esprit de la règle avait été corrompu. Elle avait été conçue pour qu’au moins une femme soit élue, pas « juste une femme »… Leur comité et moi leur avons dit que leur élection ne pourrait pas être validée si elle était discriminante vis-à-vis des femmes… Finalement, ils ont dû annuler le processus électoral. » L’activisme du comité de gouvernance n’est néanmoins pas sans mettre Infantino en difficulté : « Infantino n’a jamais essayé, du moins initialement, d’influencer nos décisions, nuance Maduro. Il nous disait seulement parfois :« Ça va me donner un sacré mal de tête. » Le juriste portugais semble cependant franchir ce qui ressemble à une ligne rouge, quand il décide d’exclure en mars 2017 Vitaly Mutko – le Monsieur dopage du sport russe – du comité exécutif de la FIFA. La secrétaire générale de la fédération, Fatma Samoura, fait alors pression sur le Portugais, pour que Mutko soit maintenu dans ses fonctions : « Elle m’a dit que(dans le cas contraire)la Coupe du monde serait un désastre et que la présidence(d’Infantino)serait remise en question. »

Révolution de façade

Coïncidence troublante : deux mois plus tard, Maduro se retrouve lui aussi éjecté de la FIFA, sans que la raison précise de son licenciement ne lui soit communiquée. Serait-il allé trop loin dans son opération nettoyage, aux yeux de la FIFA et de son président ? « On a exclu ou écarté plusieurs personnalités importantes du monde du foot, poursuit Maduro. Mutko n’était vraiment qu’un nom parmi d’autres en réalité, même s’il a eu plus de visibilité. Ce qu’on essayait de faire, c’est de communiquer en amont avec les gens quand ils n’étaient pas conformes à nos critères d’éligibilité. On leur donnait ainsi la possibilité de retirer leur candidature. Plusieurs d’entre eux l’ont fait, je ne sais pas lequel a pu éventuellement ensuite influer sur mon licenciement. » Ce que sait Maduro, en revanche, c’est qu’Infantino subissait d’intenses pressions politiques pour calmer les ardeurs du comité de gouvernance. « En général, je dirais qu’un certain nombre de personnes issues des confédérations n’étaient pas très contentes de nos processus d’évaluation et lui ont fait savoir… » Le départ du Portugais fut d’ailleurs décidé par le FIFA Council, le corps exécutif suprême de la FIFA, composé du président de la fédération et de responsables des confédérations des six continents.

Il a pas changé, Pierluigi Collina

Écœurés par le départ de Maduro, une bonne partie des autres membres du comité de gouvernance quitteront leur poste, laissant le champ libre à la FIFA pour éventuellement recruter des profils qu’on imagine plus conciliants. Maduro, lui, ne se fait plus d’illusions quant à la volonté réelle de réforme qui anime la fédération et son président : « J’ai réalisé que la FIFA et les confédérations qui lui sont affiliées ne veulent pas d’un organe de gouvernance qui observe et régule efficacement leur pouvoir… Ils veulent conserver leur liberté à organiser des élections, selon les modalités qu’ils estiment adéquates. En 2015 et 2016, des pommes pourries ont été attrapées, mais, en réalité, la culture politique de l’organisation est restée exactement la même… » Quid de la volonté supposée d’Infantino d’opérer un grand nettoyage de l’institution ? « Ce qu’il a fait et bien fait, c’est de « corporatiser » la FIFA, estime Mersiades. Il l’a pseudo-modernisé pour qu’elle change sa façon de présenter les choses – ils ont mis en place des pratiques éthiques, des comités indépendants – pour lisser leur image. Mais si vous regardez à travers le miroir, très peu de choses ont effectivement évolué… Ils appellent ça la FIFA 2.0, mais pourtant, rien n’a changé. » Maduro ne dit pas autre chose, même s’il veut bien accorder le bénéfice du doute à Infantino, du moins lors de ses premiers mois de présidence : « Soit le règlement de ces problèmes n’étaient qu’une façade engendrée par la FIFA, soit Infantino croyait réellement pouvoir changer les choses, mais a réalisé que la culture de l’organisation était largement opposée au changement. Et que, pour survivre politiquement, il devait atteindre une forme de compromission. » Mi-2017, le projet de révolution de la gouvernance de la fédération semble, de fait, définitivement enterré. En optant pour ce qui ressemble à un recadrage en règle de la commission éthique et du comité de gouvernance, Infantino aurait acté qu’il était impossible, pour l’organisation, de s’autoréformer. Il lui faudra ensuite consolider son avenir politique, en se faisant réélire à la tête de la FIFA lors des élections de juin 2019. Pour ce faire, il achèvera d’adopter le logiciel idéologique de ses prédécesseurs, en maniant à son avantage les cordons de la bourse de la fédération.

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Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC, sauf mentions

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