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Bielsa : « Je crois que j’ai laissé votre confrère bouche bée »

Propos retranscrits par Antoine Donnarieix
12 minutes
Bielsa : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je crois que j’ai laissé votre confrère bouche bée<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Depuis maintenant de nombreuses années, Marcelo Bielsa a choisi de ne plus accorder d’interview à la presse, par souci d’équité et de justice entre les médias. Par souci de justice et d’équité envers Marcelo Bielsa, So Foot publie les transcriptions in extenso de ses conférences de presse avec Leeds United. Quatrième, Leeds accueille la lanterne rouge Ipswich pour revenir sur le podium de Championship.

Pontus Jansson est devenu papa ce week-end. Sera-t-il possible de le voir jouer contre Ipswich ? Aussi, Pablo Hernández pourra-t-il être titulaire après avoir obtenu des minutes de temps de jeu contre Blackburn (défaite 2-1) ?
Il est probable que Pablo commence cette rencontre. Jansson va revenir cette nuit, et il est improbable de le voir commencer le match. Nous verrons s’il est apte à intégrer le groupe de dix-huit joueurs en fonction de son état de forme.

Après le match contre Blackburn, vous avez expliqué que Leeds avait mieux joué au moment où le club était dans l’obligation de marquer un but. Est-ce que cela signifie que contre Ipswich, il faudra démarrer très fort dès le début du match ?Nous aspirons toujours à nous approcher de la cage adverse. D’abord parce que nous recherchons toujours à gagner le match. Si nous n’y parvenons pas dans un premier temps, nous devons inverser ce résultat. Et si nous sommes en train de gagner, la meilleure manière de conserver une victoire est d’être protagoniste et non de subir le protagonisme. Si vous voyez que nous n’attaquons pas, ce n’est pas parce que nous l’avons décidé par stratégie, mais parce que notre adversaire nous en empêche.

Vous n’avez gagné qu’une seule fois lors des cinq derniers matchs. Est-ce un problème ? Aussi, avez-vous vu dans le contenu, individuel comme collectif, des choses encourageantes ? Lors de nos cinq premiers matchs de championnat, nous avons obtenu quatre victoires. Lors de nos huit derniers, seulement deux. C’est impossible de ne pas constater ce problème dans une telle situation. Nous essayons de ne pas nous tromper dans notre diagnostic, car dans un tel cas, n’importe quelle correction serait une erreur. Nous devons nous corriger, altérer ce cycle de résultats et mettre le doigt sur les réels motifs de cette raison pour laquelle nous ne gagnons plus autant. De mon point de vue, la raison principale est qu’à chaque match, nous nécessitons davantage d’occasions de but pour en convertir un seul. Au départ, il nous fallait au maximum deux ou trois occasions pour inscrire un but. Aujourd’hui, nous avons besoin de cinq ou six opportunités. En cela, cette analyse est très significative. Il y a plein d’autres aspects que j’étudie, bien entendu. J’essaie de voir si je dois changer des choses sur ces aspects.

Avant de commencer le match, nous ignorons le pourcentage de temps que nous allons passer dans un mode ou dans l’autre. Mais une chose est certaine : plus l’équipe va utiliser son temps à disputer le ballon dans les longs ballons, moins elle aura la capacité d’imposer une phase de possession. Dès lors, l’équipe révèle un déséquilibre créatif en faveur du combatif.

Par exemple, deux joueurs manquaient à l’effectif lors des cinq premiers matchs. À l’heure actuelle, il nous manque six joueurs par match. Et quand un joueur est en bonne santé, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit en pleine forme sportive. Obtenir la forme sportive est un processus parfois aussi long que la récupération d’une blessure. Mais dans les faits, nous trouvons de bonnes solutions pour pallier les absences de joueurs blessés. Je ne pense pas que cela soit une justification. Évidemment, la composition de mon groupe de joueurs pour le match s’affaiblit un peu, mais je ne considère pas que le problème soit lié à cela. Sur la première partie de saison, la moyenne des performances individuelles était proche de sept points sur dix. Dans la seconde partie de notre saison, la moyenne dépasse les six points. Cela signifie que la différence n’est pas si grande pour autant. Le rendement physique a toujours été satisfaisant, la réussite à imposer un modèle de jeu basé sur la possession n’était pas une difficulté. Lors de notre dernière conférence de presse, l’un de vos collègues avait fait un précieux commentaire à prendre en compte : le point portait sur la difficulté à créer le jeu quand l’adversaire impose un jeu basé sur les duels physiques. Il est très difficile de préparer une équipe pour être prête sur ces deux aspects du jeu, la possession et les duels. Nous devons être prêts pour ces deux moments dans le match, parce qu’avant de commencer le match, nous ignorons le pourcentage de temps que nous allons passer dans un mode ou dans l’autre. Mais une chose est certaine : plus l’équipe va utiliser son temps à disputer le ballon dans les longs ballons, moins elle aura la capacité d’imposer une phase de possession. Dès lors, l’équipe révèle un déséquilibre créatif en faveur du combatif. Ma réflexion est la suivante : nous sommes la deuxième équipe du championnat à avoir inscrit le plus de buts (à égalité avec Sheffield United et derrière West Bromwich Albion, N.D.L.R.), et nous sommes l’équipe avec le plus d’occasions manquées. L’équipe qui nous talonne en championnat (Derby County, N.D.L.R.) a manqué la moitié des occasions que nous avons ratées. Cela indique deux choses : nous sommes moins efficaces et le profil offensif de l’équipe est d’ores et déjà construit. Si je m’étends tellement sur cette réponse, c’est que je suis en train de vous transmettre l’analyse que j’effectue intérieurement.

Le plus important, c’est le thème de l’efficacité. Normalement, l’adversaire fait moins que ce que nous devons faire pour marquer un but. L’efficacité, c’est une chose impossible à développer dans le football. Vous ne pouvez pas entraîner l’efficacité dans la réalisation, mais vous pouvez vous entraîner à créer du jeu offensif.

Chaque point évoqué, le fait de savoir vivre avec un jeu âpre et fait de frictions, le fait de plus ou moins courir, le style de mon équipe, la possession, la création de danger, la conversion de buts… Dans tous ces aspects, nous avons des choses à corriger. Mais le plus important, c’est le thème de l’efficacité. Normalement, l’adversaire fait moins que ce que nous devons faire pour marquer un but. L’efficacité, c’est une chose impossible à développer dans le football. Vous ne pouvez pas entraîner l’efficacité dans la réalisation, mais vous pouvez vous entraîner à créer du jeu offensif. Le dernier aspect dont je voulais vous parler, c’est de savoir si nous sommes réellement la meilleure équipe du championnat. Parce que si nous pensons que nous sommes la meilleure équipe du championnat, nous devons penser que tous les cycles où sont passées les différentes équipes en treize journées ne doivent pas être suivis par nous-mêmes. En comparaison aux autres équipes, je ne pense pas que nous soyons aussi bons que cela. Nous ne sommes pas assez bons pour dire que le cycle par lequel est passé Middlesbrough, Derby County ou West Bromwich ne nous arrivera pas. Toutes les équipes possèdent des hauts et des bas (Bielsa mime une courbe pour terminer son explication). Imaginez-vous que si lors des huit dernières rencontres, nous avions obtenu deux victoires supplémentaires en plus des deux obtenues réellement, nous serions leaders de ce championnat. Et vous allez constater dans ces huit matchs que nous avons faits que les scénarios démontrent qu’il n’était pas si difficile d’obtenir deux victoires supplémentaires… Mais dans cela, une chose est de justifier, l’autre est d’expliquer. Ici, je vous explique : vous ne pouvez pas justifier pourquoi vous n’avez pas obtenu ce que vous pouviez obtenir.

Le pire venin, c’est d’attribuer les défauts de l’équipe à travers de mauvaises raisons.

Ce qui est très important pour moi, c’est que vous ne preniez pas ce que je vous dis comme une excuse ou une justification. J’explique simplement les raisons que j’analyse. Je me sens responsable de tout cela et sur chaque cas, j’insiste dessus pour améliorer chacun des aspects auxquels j’ai fait référence. J’ai les ressources et l’autorité pour rendre meilleur tout cela. Et si je n’y parviens pas, c’est de ma propre faute. Je crois que nous pourrions terminer cette conférence là-dessus, car nous n’aurions plus beaucoup de sujets sur lesquels parler.

(Rire d’un journaliste et sourire malicieux de Bielsa.)

Et je crois que j’ai laissé votre confrère bouche bée.

(Toute la salle s’esclaffe.)

Parce que je sais qu’il est très incisif au moment de poser des questions, alors je suis venu très préparé pour cette conférence de presse afin d’éviter une relance de sa part.
(Rires continus.)

Si vous avez une relance, cela me toucherait dans mon orgueil de manière très vive.
Je n’ai plus de questions…

(Bielsa se met à rire aussi et lève ses deux pouces pour montrer sa satisfaction vis-à-vis du journaliste.)

Marcelo, vous avez parlé d’une évaluation de sept points sur la première partie de saison et de six points sur la deuxième… Quelles sont vos critères d’évaluation et quelles sont les personnes qui évaluent cela ? Pour les notes données aux joueurs, c’est moi qui m’en charge. Mais il faut aussi savoir que quinze autres personnes mettent des notes aux joueurs parce que je fais de moins en moins confiance à mes propres critères de notation. Cela signifie que je partage mon point de vue avec tout le staff proche de l’équipe. Là, je parle des préparateurs physiques, des entraîneurs des gardiens, mes assistants… Et nous le faisons avec beaucoup de sérieux, car lorsqu’une différence de notation d’un joueur est supérieure à un point par rapport à la moyenne générale, nous demandons à la personne auteur de la note de nous convaincre de son jugement. Dans le cas contraire, nous convainquons la personne en question et la note se stabilise à la moyenne générale. Cela ne veut pas dire que nous le faisons bien, mais simplement que nous le faisons avec rigueur. Le pire venin, c’est d’attribuer les défauts de l’équipe à travers de mauvaises raisons. Lors de la dernière conférence de presse, l’un de vous m’avait demandé si nous cohabitions mal avec les duels physiques. Était-ce l’un de vous ?

(Un journaliste l’interpelle.)

Je crois que c’était moi. C’était par rapport aux ballons disputés, non ?

(Bielsa se tourne vers le journaliste et identifie son visage.)

Correct. Eh bien, figurez-vous que je suis une personne très influençable. Tellement influençable que j’ai commencé à penser à ce que vous m’avez dit l’autre fois. (Bielsa nettoie ses lunettes, puis les pose sur la table.) Pour que la dispute d’un ballon soit une faiblesse de mon équipe, une chose reste significative : savoir comment la balle passe de la défense à l’attaque grâce à l’équipe protagoniste, en l’occurrence nous-mêmes.

Le football est moins mathématique que nous le pensons. Par exemple, Berardi a joué jusqu’à présent comme un défenseur central et je n’espérais pas de lui un tel apport offensif. Dès lors, seules les conclusions tirées de la réalité du terrain sont valables.

Si vous observez les pires moments de notre saison, vous allez vous rendre compte que nous jouons contre une équipe qui ne nous permet pas d’étendre notre jeu sur 75% du terrain, comme nous souhaitons le faire. Cependant, durant le dernier match, vous allez vous rendre compte d’une donnée importante et vous allez sûrement être d’accord avec moi : quand la balle arrive aux trois quarts du terrain, elle arrive de façon très propre. Cela indique que les deux joueurs les plus en vue dans notre équipe étaient Klich et Sáiz, car ils ont conquis l’entrejeu de notre adversaire. Mais quand la balle arrive d’une manière aussi aisée, l’idée selon laquelle l’attaque va être facile prévaut toujours. Et de manière très surprenante dans cette rencontre, nous nous sommes créé très peu d’occasions de but. Et ce que je comprenais comme un problème avec le jeu serré, la réduction des espaces et affronter une gestion défensive n’était en réalité pas le réel problème. Le problème, c’était que la dernière passe avant l’occasion de but ne trouvait pas de destinataire.
Ipswich est une équipe forte dans la lutte physique. Pensez-vous que cette opportunité soit la bonne pour voir démarrer Clark ? Je me suis fait la même réflexion… À chaque fois que Clark entre sur la pelouse, ses réponses sont positives. C’est un joueur très jeune qui me donne de bonnes solutions aux difficultés que je peux rencontrer. Il entre et il n’est jamais dans le mauvais tempo. Il ne va pas apporter du déséquilibre en notre faveur, mais il va bonifier le reste de l’équipe. Je crois que ce processus de le traiter comme un remplaçant et non comme un titulaire va lui permettre de s’améliorer encore et encore.

Et concernant Douglas ? Il serait prématuré et risqué de le voir jouer durant cette semaine. En revanche, il est probable de voir jouer Harrison.

Les aspects sur lesquels vous comptez vous améliorer vont être effectifs à travers votre travail quotidien à l’entraînement ou via des choix de composition de l’équipe contre Ipswich ?

(Long silence et réflexion.)

Peut-être à travers un mélange de ces deux idées. Mais le football est moins mathématique que nous le pensons. Par exemple, Berardi a joué jusqu’à présent comme un défenseur central et je n’espérais pas de lui un tel apport offensif. Dès lors, seules les conclusions tirées de la réalité du terrain sont valables. Certaines choses peuvent être changées avec un travail mental autour d’un joueur, et d’autres peuvent l’être à travers une intuition durant le match.

Malgré ce cycle de résultats, est-ce une satisfaction pour vous de voir que vous restez assez proche de la première place au niveau comptable ? Non, ce n’est pas une satisfaction. C’est une opportunité de perdue de s’en approcher.
Qu’attendez-vous de cette confrontation contre Ipswich, lanterne rouge du championnat ? Ils sont peut-être derniers au classement, mais après avoir observé leurs matchs, vous noterez que leurs adversaires se sont rarement imposés par un gros écart au score final. Cela ne multiplie pas les recours de notre adversaire de demain, mais je ne pense pas que leur position de lanterne rouge soit le seul critère pour les évaluer.
Est-ce que vous avez d’autres blessures à noter dans votre équipe ? (Bielsa sourit.)

Vous ne pensez pas que toutes ces blessures soient suffisantes ?
(Rires de la salle.)

Depuis que j’ai commencé cette conférence il y a une demi-heure, non.

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