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Bert Trautmann, de la Wehrmacht à City

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Bert Trautmann, de la Wehrmacht à City

L'Angleterre-Allemagne de ce soir est l'occasion de revenir sur le parcours méconnu de Bernhard Carl "Bert" Trautmann, 545 matchs dans les cages de Manchester City entre 1949 et 1964. C'est bien simple : il fut la première star allemande de la Premier League. Quarante ans avant Klinsmann. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'était pas couru d'avance... Interview.

Après avoir été fait prisonnier par l’armée britannique en 45, vous avez été interné dans un camp à Ashton, près de Manchester. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? J’ai d’abord été affecté à ce que l’on appelait le camp 180, qui était partagé en deux : l’Est et l’Ouest. A l’Ouest les « méchants », à l’Est les « bons ». En tant que parachutiste on m’avait mis à l’Ouest, donc j’étais considéré comme faisant partie des « méchants ». L’ambiance était très tendue, l’accueil était parfois horrible, on se faisait traiter de criminel par les gens du coin…

Par la suite vous avez connu un autre camp…. Le camp numéro 50. C’est là que nous avons pu jouer sérieusement au foot grâce au commandant écossais qui considérait que tous ceux qui ne travaillaient pas dans les fermes devaient faire du sport, et dans l’idéal du foot. Rapidement nous avons formé trois ou quatre équipes. Les 14-15 meilleurs joueurs s’étant vite distingués le commandant a tenté de persuader les équipes amateurs anglaises de rencontrer les prisonniers allemands. Il y est parvenu et par la suite nous avons même pu quitter le camp et rencontrer les équipes sur leur terrain, dans un rayon de 5 km.

Quelle était l’ambiance lors de ces rencontres ? Typiquement anglaise : dure mais avant tout fair play. Nos maillots étaient des sacs à patate directement rapportés des champs, puis teints.

Vous avez choisi de rester en Angleterre quand vous avez été libéré. Pourquoi ? Un ami m’a d’abord pris dans l’équipe amateur St. Helens. j’y suis resté un an comme gardien de but et c’est là que des recruteurs m’ont remarqué, et pas seulement ceux de Manchester City… Mais c’est finalement là bas que j’ai signé, et c’est ainsi que je suis passé directement de la 8e division à la première…

A Manchester City, l’indésirable est devenu le messie. Pouvez vous nous expliquer comment ? Quand on annonça que j’avais signé à Man City, il y a eu près de 40 000 personnes qui ont défilé en brandissant des banderoles contre moi. C’est vrai que je devais remplacer Frank Swift, l’ancien gardien national, le chouchou absolu du public. La presse non plus ne m’a pas aidé en titrant : « Man City traite avec un Nazi ». Heureusement le Rabin de Manchester, le Dr Alexander Altmann, lui même exilé d’Allemagne, a pris mon parti quand il a dit : « On ne peut rendre un seul homme coupable des exactions d’un régime qui en porte toute la responsabilité ». Lors de mon match d’adieu à Maine Road, 60 000 personnes se sont déplacées…

A partir de quand êtes vous devenus l’idole des fans de Man City ? Etait-ce suite à la finale de la Cup en 56 à Wembley ? (Victoire 3-1 contre Birmingham City. Il est élu homme du match. Lors d’un check-up trois jours plus tard, on découvre qu’il a joué le dernier quart d’heure avec cinq vertèbres du cou brisées suite à un choc, Ndlr). Non, en fait c’est peut-être dés la première rencontre contre Fulham en 1950… Au début on m’a sifflé. Fulham avait été bien meilleur et nous n’avons pourtant perdu que 1 à 0. J’avais plutôt bien tenu mon rôle et les spectateurs m’ont donc applaudi dés ce premier match. L’équipe adverse aussi… J’avais déjà été élu joueur de l’année avant la finale de la Cup de 56…

Vous avez connu ce qui arrive encore à des joueurs, conspués par des spectateurs racistes… Les ligues et les fédérations ne devraient-elles pas plus se battre contre de tels comportements ? On ne peut évident pas comparer ma situation passée avec ce qui arrive aujourd’hui. En tant qu’Allemand après la guerre il était compréhensible de n’être pas bien vu. Que ces hostilités se produisent encore dans les stades d’autres pays est honteux ! Mais je crois qu’il s’agit d’une minorité qui malheureusement jette le discrédit sur le grand nombre de véritables supporters. On devrait être plus rigoureux vis à vis de ces perturbateurs qui à mon avis n’ont rien à faire au stade. Idem pour les hooligans.

Vous avez beaucoup voyagé dans votre vie, et vous vivez actuellement en Espagne… Quelles différences voyez-vous aujourd’hui entre les différents footballs européens ? Quand on observe les équipes des différents championnats, on ne peut plus vraiment parler de foot anglais ou de foot espagnol. Il est arrivé à mon ancienne équipe Manchester City de jouer un derby sans aucun joueur anglais… On ne peut plus parler d’équipe anglaise… Dans les autres ligues, allemandes ou espagnoles c’est la même chose. Il y a donc très peu de différences entre les styles de football pratiqués en Europe… Si la manière dont on joue au foot aujourd’hui est de plus en plus formatée, c’est aussi une conséquence de l’arrêt Bosman qui a complètement transformé la physionomie des équipes dans presque tous les championnats européens.

Et y a-t-il encore des différences dans la manière de jouer des équipes nationales ? Pas vraiment. Le foot continental est toujours plus technique que le foot anglais, qui demeure très physique. Les Anglais ont eu autrefois fort à faire contre des équipes brillantes techniquement… Ils avaient et ont toujours d’autres arguments : leur condition physique et leur bon jeu de tête. Ce qui me plaît surtout beaucoup chez eux, c’est la loyauté, le fair play face à l’adversaire. La plus grosse évolution menée récemment par une sélection nationale fut celle de la France qui a gagné les deux titres à la suite. C’était une équipe très homogène, brillante techniquement, endurante et dynamique. Et surtout, d’un point de vue tactique, extrêmement intelligente.

Selon vous, le niveau est meilleur aujourd’hui qu’avant ? Pas forcément meilleur selon moi, mais plus rapide. Mais je trouve que le foot d’aujourd’hui est trop prévisible. Il y a moins de surprises dans le jeu que par le passé.

Les salaires ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’à votre époque. Est-ce que les footballeurs gagnent trop ? Dire qu’ils gagnent trop, je peux difficilement émettre un avis. Ce n’est finalement pas seulement la faute des joueurs si les traitement sont si élevés… Et je dois être honnête : si je jouais aujourd’hui j’accepterai l’argent que l’on m’offre… Certains joueurs donnent l’impression de ne plus s’identifier à leur club… C’est vrai. On a l’impression que les joueurs ont moins envie de tout donner pour leur supporters et leurs clubs. Aujourd’hui j’ai même l’impression que pour certains joueurs, gagner ou perdre leur est presque égal. Ils touchent l’argent de toutes façons. C’est aussi la responsabilité des conseillers, intermédiaires et agents de joueurs, qui ont tout intérêt à ce que les joueurs changent souvent de clubs. Autrefois c’était différent. Pour moi, en tout cas. Je dois beaucoup, je dirai même tout, aux supporters de City…

Vous reprochez au foot de devenir, davantage qu’un sport, un spectacle ? C’est bien plus un show qu’autre fois, on peut le dire… Mais à de rares exceptions prêt, ce qui manque aujourd’hui au foot ce sont les personnalités authentiques qui deviennent des personnalités sur le terrain et non au travers des médias…

Vous êtes considéré comme l’un des meilleurs gardiens de l’histoire… Moi je ne l’ai jamais dit. Les louanges venaient de collègues et c’est ça qui m’a le plus touché….Celles des journalistes m’ont aussi fait plaisir, évidemment, mais quand ça vient de grands joueurs comme Stanley Matthews ou Bobby Charlton, c’est encore plus fort… Je n’ai jamais cru moi même que j’étais assez bon pour évoluer dans le championnat d’élite ! Passer de la 8e division à la première et devenir le gardien de but titulaire, ce n’est normalement pas quelque chose qui arrive…Je m’étonne parfois que mon nom soit encore connu alors que je n’ai jamais joué à l’international…

Pourquoi Sepp Herberger ne vous a jamais appelé, notamment pour garder les buts de l’équipe championne du monde en 54 ? Je n’étais pas le seul bon gardien à l’époque et Sepp Herberger, que j’ai bien connu par ailleurs sur le plan privé, a eu peut-être peur de miser sur un légionnaire comme moi. Il n’y avait pas de retransmissions à la télé en ce temps là et on ne pouvait donc pas me voir jouer chaque week-end et ainsi juger de mes performances, comme c’est le cas aujourd’hui pour les joueurs expatriés…. Donc Sepp n’a pas voulu prendre de risques…

L’avez-vous regretté ? C’est évidemment dommage de ne jamais avoir joué en équipe nationale. Mais je ne l’ai pas regretté. Pour une place en équipe nationale, j’aurais du faire carrière en Allemagne, je n’aurais donc pas connu tout ce qui m’est arrivé en Angleterre, et ça en revanche je l’aurais sûrement regretté !

Quel est votre plus grand souvenir de match ? Il y en a beaucoup mais c’est quand même la finale de la Cup en 56. Vous savez, ça aurait été aussi un match magnifique si on avait perdu 5 à 4. On a tendu la main à l’adversaire à la fin parce qu’on savait qu’il avait été meilleur ce jour là. On s’est toujours dit « on va sur le terrain pour gagner ». Parfois ça marche, parfois non. Quand on a tout donné, en Angleterre, la performance est appréciée par les spectateurs même en cas de défaite.

En 2004 vous avez été décoré de l’Ordre de l’Empire Britannique. Vous vous y attendiez ? Je n’ai jamais compté dessus, non, même si mes collègues en Angleterre l’attendaient pour moi plus tôt. Je n’ai jamais spéculé sur les distinctions. J’ai déjà été très flatté d’avoir été élu meilleur joueur de l’année, meilleur étranger, de rentrer ensuite dans le Hall of Fame, mais l’Ordre de l’Empire Britannique, c’est évidemment un grand honneur. Avant tout parce que plus que le footballeur, c’est aussi l’être humain, l’homme, à qui on rend hommage. Je suis vraiment redevable à l’Angleterre parce que j’ai toujours été traité loyalement. J’ai de mon côté toujours cherché à m’intégrer et à comprendre la mentalité anglaise. L’Angleterre est de toute façon ma patrie, comme l’est l’Allemagne…

Quels joueurs vous ont impressionné hier et aujourd’hui… Impossible de tous les citer. Pelé est incontournable, ainsi qu’Alfredo di Stefano, qui est pour moi l’un des plus grands. Il y a aussi Stanley Matthews et Tom Finney. Côté allemand Uwe Seller, Franz Beckenbauer et bien entendu un gardien : Sepp Maier. Plus récemment c’est Zidane qui m’a le plus impressionné avec son sens du ballon et son intelligence de jeu. Pendant 4 ou 5 ans il a vraiment été le joueur le plus complet..

Comme gardien vous avez déclaré avoir de l’admiration pour Peter Schmeichel, qui a porté les couleurs du grand club rival de City, Manchester United… Sa façon de jouer me plaisait beaucoup. Il avait toutes les qualités qui selon moi font un bon gardien : une bonne couverture de la surface de réparation et en même temps une grande vivacité sur la ligne.

– propos recueillis par Vincent Riou

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