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Barry, la gauche résistante

Par Romain Duchâteau
6 minutes
Barry, la gauche résistante

C’est une figure qui a traversé les époques à pas feutrés. Travailleur inoxydable et discret, Gareth Barry s’est construit un solide parcours grâce à une saisissante régularité. Ce samedi, à trente-cinq ans, l’Anglais va égaler Frank Lampard avec une 609e apparition en Premier League. La marque des très grands.

Là-bas plus qu’ailleurs, peut-être, ils bénéficient d’une place à part. Avec le temps, l’Angleterre a choisi de les appeler les « unsung heroes » . En français, ce sont ces héros méconnus dont on ne chante pas la gloire. Ils tombent souvent bien malgré eux dans l’oubli ou ne sont que trop rarement célébrés. Au crépuscule de sa carrière, Gareth Barry n’a pas eu cette peine à vivre. Le 17 septembre dernier, face à Middlesbrough (3-1), l’expérimenté britannique a pris un peu plus d’épaisseur dans l’histoire de la Premier League. Il a marqué ce jour-là pour la cinquante-deuxième fois, mais surtout honoré sa 600e apparition. Une prouesse immense autant qu’un accomplissement personnel. Pour cette occasion toute particulière, les supporters d’Everton ont brandi de petits drapeaux à son effigie avant de lui réserver une standing ovation au moment de sa sortie en fin de match. « C’est une initiative fantastique de la part d’Everton d’avoir donné des drapeaux aux fans et, en plus, le coach m’a offert une standing ovation en fin de match, ça a couronné une superbe journée » , s’est simplement contenté de commenter après coup le principal intéressé au micro de BT Sport. Tout en sobriété. Sans jamais tirer la couverture à lui alors que l’événement s’y prêtait.

L’archétype personnifié du joueur anglais

Pourtant, le parcours de Gareth Barry a de quoi donner le vertige. Depuis la réception de Middlesbrough, il a ajouté huit matchs de championnat à son compteur et, ce samedi à Watford, il égalera l’iconique Frank Lampard (609) après avoir successivement détrôné Emile Heskey (516), Gary Speed (535) ou encore David James (572). Et c’est désormais le record de Ryan Giggs et ses 632 apparitions qui sont dans son viseur. Une performance ébouriffante qui prend davantage de relief au regard des débuts de l’enfant de Hastings. Arrivé à Aston Villa à seize ans, il est d’abord façonné en tant que défenseur central et effectue ses premières foulées sur le terrain quelques mois plus tard. Mais c’est au cœur du jeu, comme milieu défensif, qu’il prend véritablement son élan. En onze années passées sous la tunique des Villans (1998-2009), le gaucher côtoie du beau monde (Southgate, Merson, Ginola, Vassell, Milner, Baroš, Young) et traverse les saisons avec une facilité désarmante.

Sous l’égide de l’atypique Martin O’Neill, son rayonnement lui permet d’accéder à des sphères plus reconnues. En plein chambardement, Manchester City flaire la bonne affaire et l’enrôle pour environ quatorze millions d’euros. Avec les Citizens, Barry s’établit progressivement comme une valeur sûre de la Premier League. Aux côtés de De Jong ou Yaya Touré, le milieu offre un profil aux qualités typiquement anglaises. À ses aptitudes de passe, d’anticipation et d’intelligence de jeu qui compensent son manque de vélocité, il conjugue un engagement à toute épreuve – parfois excessif d’ailleurs – qui fait encore aujourd’hui partie intégrante de son style (115 cartons jaunes récoltés en PL, un record). Dans l’ombre d’Agüero, Kompany ou encore David Silva, sa contribution au titre de champion en 2012 est réelle, mais largement mésestimée. Qu’importe, le bougre sait qu’il a toujours répondu aux exigences avec une régularité qui force le respect. Et cela, malgré le temps qui passe.

Longévité exemplaire et élégante discrétion

« Quand j’ai commencé le foot, c’était différent. Ce sport est en pleine mutation, la culture n’est pas la même qu’à mes débuts. Le jeu a changé, et j’ai dû m’adapter, modifier mon style, s’épanchait-il au Telegraph en septembre dernier. À un moment, j’ai pensé :« Pourquoi devrais-je changer, tout va bien pour moi ! » Mais ce n’est pas possible de refuser de s’adapter au temps. J’ai donc changé mon approche et mes entraînements pour m’adapter. » L’âge qui pèse de plus en plus, Gareth a appris à composer avec. Pour rester performant, les sessions de réveil musculaire sont venues rythmer son quotidien de joueur, tout comme les séances de yoga. Le prix à payer pour combattre l’érosion consubstantielle au temps et disputer dix-huit saisons consécutives à vingt matchs ou plus au plus haut niveau. À Everton, qu’il a rejoint définitivement en 2014 après un prêt fructueux, il continue d’étirer une phénoménale longévité à désormais trente-cinq piges. Outre le fait d’intégrer le Guinness Book pour son nombre record de titularisations en Premier League, il devance très largement les actuels joueurs en activité au nombre de matchs joués (Terry avec 488, Carrick avec 460, Rooney avec 447) et en compte même plus dans l’élite que des clubs comme Stoke, Sunderland, Middlesbrough et Leicester.

« C’est une de mes forces. Lors de l’arrivée du nouveau coach cet été, je ne suis pas arrivé en pré-saison en me disant : « J’ai joué tellement de matchs, je suis tranquille. »Je devais impressionner le coach, confiait-il encore récemment. Il n’est pas intéressé par le passé, par ce que j’ai fait durant mes cinq cents premiers matchs. Il veut juste voir ce que je peux faire aujourd’hui. » Et Ronald Koeman, qui parle de lui comme d’un joueur « crucial » et « ingénieux » , a vite été conquis. Pierre angulaire des Toffees, il forme un milieu complémentaire avec la révélation Idrissa Gueye, lequel qualifie son aîné anglais de « cerveau de notre équipe » . Le respect des pairs et des supporters tous clubs confondus, Barry l’a toujours acquis. Comme lors de son départ d’Aston Villa, en 2009, où il prend le temps d’adresser une longue lettre ouverte aux fans dans le Birmingham Mail afin de justifier son choix. Reste qu’à l’instar de Michael Carrick, par exemple, la reconnaissance n’a pas atteint les strates de la sélection nationale. Hormis un Mondial 2010 disputé avec les Three Lions, son empreinte aura été plus que minime (53 sélections). Mais l’Anglais n’a jamais couru après les honneurs ni les récompenses. Alors il marche, encore et encore, dans l’ombre : « Je me sens certainement aussi bon que quand j’avais trente ans. J’en ai maintenant trente-cinq et je ne me sens pas différent. » Oui, la résistance de Gareth Barry n’est pas encore arrivée à son terme.

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