Le syndrome Thierry Henry
Barcelone s’impose 5-0 sans Messi et sans forcer. David Villa a marqué un doublé en cinq minutes (20e et 25e) et a passé 90 minutes à titiller, à agacer, à harceler la défense andalouse. Pourtant, le match terminé, Jordi Roura, le Tito Vilanova de Tito Vilanova, glisse un « Il doit être un joueur important pour nous. Petit à petit, il va pouvoir élever son niveau et compter à nouveau pour nous. » Merci pour lui. Comment un joueur de cette classe, de cette technique, de cette importance n’en est-il, cette saison, qu’à interpréter des seconds rôles ? Comment ce dribble chaloupé, cette accélération dans les petits espaces, cette facilité à éliminer et cet odorat de buteur n’en sont-ils qu’à 11 titularisations en 20 matchs disputés ? Villa est de la classe de ceux qui changent une équipe. Il sauve la mise plusieurs fois à l’Espagne au Mondial 2010 (cf contre le Chili et contre le Portugal). À Barcelone il est indispensable jusqu’à sa blessure (cf le 5-0 contre Madrid, cf le Mondial des clubs). Mais Villa n’en finit plus de revenir. Moins il joue, plus sa barbe masque un visage beaucoup trop sérieux pour ne rien avoir à cacher. Villa est victime du syndrome Thierry Henry.
Le jeu des extrêmes
À Barcelone, Villa joue là où personne ne veut jouer, là où même Iniesta fait la grimace quand il faut y faire une ou deux piges. Être extremo (ailier dans le vocabulaire cruyffien), c’est se rapprocher toujours plus du banc de touche. Les ailiers à la sauce catalane ne sont plus Rexach ou Carrasco, c’est-à-dire des types qui posent le pied sur le ballon en défiant le défenseur droit dans les yeux. Aujourd’hui, les extremos, à Barcelone, sont des soldats, pas des héros. Rexach explique l’évolution : « Cruyff, Best ou moi-même avons été des ailiers de ce type. Mais petit à petit l’ailier dribleur qui aime le un-contre-un a disparu au profit du joueur latéral qui cherche les espaces. » Les ailiers n’ont plus la même mission. Quand Cruyff débarque sur le banc catalan, il convoque Lobo Carrasco, l’ailier virevoltant de l’étape précédente. Le coach hollandais lui explique sa façon de voir, mais Carrasco ne veut pas de cette modernité et fait ses valises : « Je suis parti en toute amitié, mais ce que me proposait Cruyff, c’était de toucher un ballon toutes les cinq minutes, ce n’était pas fait pour moi. » Villa aurait peut-être dû faire la même chose.
Les perles perdues
À Barcelone, l’ailier n’est plus la caution technique de l’équipe. Il n’est qu’un prétexte. Goikoetxea, Salinas ou Beguiristain ne sont buteurs que par accident. Leur mission est d’ouvrir le terrain, pas de conclure les actions. L’ailier du Barça est un funambule qui coule le long de la ligne de touche. Il n’a que deux choix : combiner avec l’intérieur ou toucher la ligne de fond. Pour Cruyff, les extremos « sont les vrais footballeurs, des types qui savent centrer et frapper, un brin extravagants, mais qu’il faut savoir canaliser. » Dans leur Barça, « Goikoetxea joue collé à la ligne de touche et un ailier gauche compense de l’autre côté. Souvent Laudrup ou Stoichkov. L’idée est de forcer les défenseurs adverses à laisser des espaces pour que les milieux puissent transpercer la défense. » Cruyff, c’est la fin du panache. Chez Guardiola, Pedro est l’incarnation de l’ailier-soldat, toujours altruiste, jamais perso, buteur par défaut. Henry met une saison avant d’accepter le second rôle. Alexis Sánchez n’a plus rien à voir avec son avatar de l’Udinese. Bojan Krkić a dû quitter la Catalogne. Messi est passé dans l’axe pour devenir un buteur. Les ailiers sont les cartouches des fusils des autres. David Villa a maintenant les yeux tristes quand il marque. Un buteur changé en ailier, c’est une perle changée en huître. Une malédiction.
Par Thibaud Leplat
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