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Au pays des perdants

Par Thibaud Leplat
Au pays des perdants

Il ne reste plus que quatre matchs avant d'en finir avec ce Mondial. C'est le temps qu'ont encore à patienter les prophètes de la victoire. Sur les quatre demi-finalistes, un seul gagnera à la fin. Et aura donc raison.

Le royaume des préjugés est un pays peuplé d’idées reçues sur le monde et son histoire. Dans ce pays remplis d’esprits malins et toujours victorieux, l’innovation n’existe pas. Les chemins à suivre ont été tracés par les glorieux prédécesseurs qui ont su éradiquer l’angoisse de la défaite et la solitude de l’élimination prématurée. Du bout de leurs doigts crochus, les prophètes de ce pays lointain nous indiquent le bout du chemin en nous avertissant que seule compte la destination, jamais le voyage. Peu importe les moyens, il faut arriver à bon port. En 54, ils avaient bien ri quand, menant 2-0, les Hongrois pensaient remporter ce premier titre mondial après avoir fait la leçon à toute l’Europe et montré au monde ce qu’était le football moderne. Puskás, Czibor et Kocsis s’étaient finalement inclinés 3-2 contre l’Allemagne de l’Ouest, quelle belle tranche de rigolade. Ils avaient adoré aussi en 74 et 78 ces Oranje brillants aux allures de rockeurs. Ils avaient l’air libres et heureux sur les terrains qui semblaient s’agrandir à mesure qu’ils inventaient des espaces au bord des lignes de touche, au fond des terrains, au milieu des forêts de jambes. Tant d’efforts pour perdre deux fois en finale, ils avaient payé leur insolence. Ensuite, ils avaient apprécié, tout au fond de leurs âmes tremblotantes, le Brésil de Zico et la France de Platini en 82, le Brésil de Sócrates en 86, la Colombie en 90, la Suède ou la Roumanie en 94, la Hollande en 98, l’Argentine en 2002… Plus ces équipes avaient perdu, plus ils les aimaient, leurs mésaventures confirmant ainsi leur célèbre adage : au royaume des préjugés, les vainqueurs ont toujours raison et seule la victoire est belle.

L’indice Castrol

À force d’avoir les yeux fixés sur leurs écrans, les êtres qui habitent ces contrées reculées vont poser leurs lunettes sur le nez au moment d’examiner ces demi-finales. Comme on investirait dans des valeurs mobilières, ils calculeront, manipuleront, compareront et à la fin, sanctionneront les trois futurs perdants. Voilà pourquoi ils avaient inventé un indice au nom d’huile de moteur (Castrol), pour classer l’inclassable. Tous ces interminables débats qui déchiraient les adeptes depuis des générations prendront fin et, grâce à eux, une bonne fois pour toute, on saura qui est le meilleur. Grâce à une légion de machines, de tableurs et de capteurs, « chaque passe, chaque tacle et chaque appel est mesuré et analysé afin de savoir s’il a eu un impact positif ou négatif sur la capacité de l’équipe à marquer ou à éviter un but » nous expliquent-ils alors sur le site de la FIFA. Ce que les humains n’arrivaient pas à faire, les machines y parvenaient enfin. Nous pensions que James Rodríguez, que Neymar, que Pirlo, que Bryan Ruiz ou que Toni Kroos étaient les joueurs incontournables de cette Coupe du monde. Nous pensions que la valeur d’un joueur se mesurait à son intelligence de jeu et à son intuition, mais nous nous trompions. Le meilleur, c’était Karim Benzema. Nous pensions qu’il avait erré côté gauche contre le Nigeria, qu’il avait ensuite manqué de panache et d’ambition contre l’Allemagne ? Nos impressions ne valaient rien à côté des sentences des machines qui, elles, avaient analysées des données vraiment objectives. C’était lui le meilleur, point. Nous l’avions sous nos yeux et n’avions même pas été capables de nous en apercevoir. L’an dernier, ce système avait été installé pour évaluer les performances des joueurs durant la Coupe des confédérations. Le Brésilien Fred avait terminé en tête du classement. C’est dire comme nous étions ringards.

Un film d’animation (offensive)

Ce pays fabuleux où le lyrisme a définitivement été remplacé par la communication et les statistiques, où l’art et le jeu ont été aboli au nom de la productivité et du résultat, c’est le pays des demi-finales qu’il faut absolument gagner. Dans ce pays, où la victoire donne raison et la défaite condamne à l’oubli, on fabrique des champions du monde comme irait à l’usine. Comme dans le film de Charlie Chaplin, à force de répéter les mêmes gestes et les même idées productives, ils se disent que l’homme finira bien par entrer à l’intérieur de la machine et changer tout ce qu’il touche en chaîne de montage. C’est dans ce monde de « la gagne » qui pardonne tout, qu’on remplace des caissières par des robots et des idées sur le jeu par de « l’animation offensive » . Mais quand, tout à coup, on regarde un quart de finale Pays-Bas – Costa Rica, on réalise qu’il ne suffit pas de « savoir chambrer » et « avoir un palmarès qui parle pour lui » pour être un grand entraîneur.

Le pays des aveugles

Van Gaal avait ringardisé tous les autres en une seule séance de penalties et sans bouger de son siège. Pinto, l’entraîneur du Costa Rica, avait fait de son équipe une armée aux déplacements collectifs stupéfiants. Regardez combien de fois son équipe interrompit les mouvements adverses grâce à sa gestion du hors-jeu. Regardez l’intelligence de ces joueurs et admirez le sang-froid de ceux qui faisaient un pas vers l’avant quand tous les autres allaient en arrière, et mettaient ainsi à plat toute tentative d’incursion (13 au total). Leur entraîneur ne sera certainement jamais champion du monde et Bryan Ruiz ne sera jamais en tête des indices Castrol. Pourtant, ils ont mérité d’être citoyens d’honneur de notre pays à nous, celui où l’amour du jeu est la seule valeur qu’il faille préserver. Dans ce pays, Louis van Gaal, Joachim Löw, Diego Simeone et Jorge Valdano sont des prophètes qui s’accordent à répéter cette phrase de Marcelo Bielsa, celui que les autres surnommaient « le fou » : « Dans n’importe quel domaine, on peut gagner ou perdre, ce qui compte c’est la noblesse des moyens utilisés, ce qui compte c’est le procédé. La dignité avec laquelle j’ai parcouru ce chemin à la recherche de mon objectif. Tout le reste, c’est une histoire qu’on veut nous vendre comme vraie, mais qui ne l’est pas. » Bienvenue au pays des demi-finales, bienvenue au pays des perdants.

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Par Thibaud Leplat

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