- Mondial 2022
Une Coupe du monde idéale est-elle possible ?
Par Nicolas Kssis-Martov

La Coupe du monde qui va dĂ©marrer dans deux semaines aura Ă©tĂ© lâune des plus contestĂ©es de lâhistoire. Est-il nĂ©anmoins possible de concevoir aujourdâhui une autre forme de Mondial, qui tiendrait compte des leçons du passĂ© et des nĂ©cessitĂ©s du prĂ©sent ?
La fuite en avant de la FIFA et de son produit phare, la Coupe du monde masculine de football, dans le toujours plus (plus dâĂ©quipe, plus de droits tĂ©lĂ©, plus de stades toujours plus grands) explique grandement lâattribution de lâĂ©dition 2022 au Qatar. Or quelles seraient les alternatives pour revenir, Ă lâinverse, Ă un Mondial «âĂ visage humainâ» ?
Le nombre de sĂ©lections accĂ©dant Ă la phase finale nâa cessĂ© dâaugmenter (13 en 1930, 16 en 1966, 24 en 1982, 32 en 2002, et bientĂŽt 48 en 2026). Cette inflation censĂ©e accompagner lâessor universel du football et la croissance gargantuesque de son Ă©conomie porte dĂ©sormais les stigmates dâune logique dĂ©connectĂ©e de lâĂ©poque et de ses enjeux. Rabaissant la signification exceptionnelle dâune qualification, lâobĂ©sitĂ© du tournoi officiel empĂȘche une vraie rĂ©forme et de rĂ©pondre aussi par exemple aux impĂ©ratifs Ă©cologiques. Ramener la compĂ©tition Ă une dimension plus raisonnable rĂ©duirait forcĂ©ment son empreinte carbone, aussi bien par Ă©quipe que par supporter. Cette cure devrait aussi sâassocier avec des mesures de bon sens, tel que de tenir lâensemble des matchs dâun groupe dans une seule ville. En outre, en rĂ©duisant la voilure, notamment concernant les exigences en matiĂšre dâinstallation, de nouveaux pays – autres que ceux prĂȘts Ă satisfaire Ă la folie des grandeurs de la FIFA (Russie, Qatar, USA…) – pourraient candidater, du moins autrement que pour la beautĂ© du geste.
Justement, un des grands arguments pour justifier lâaugmentation des places en phase finale, tenait au besoin dâaccorder plus de visibilitĂ© Ă certaines confĂ©dĂ©rations, telles lâAsie ou lâAfrique, sans nuire Ă la surreprĂ©sentation de lâEurope ou de lâAmĂ©rique du Sud. Impossible de continuer Ă tordre cette quadrature du cercle. LâUEFA en particulier devra renoncer Ă ses privilĂšges afin dâintroduire davantage dâĂ©quitĂ© (songeons Ă lâOcĂ©anie) entre les continents. Une configuration plus proche du tournoi olympique par exemple garantirait presque mathĂ©matiquement des chances sĂ©rieuses pour quâune sĂ©lection africaine puisse sâinviter en demi-finales.
Le choix des pays destinĂ©s Ă recevoir une Coupe du monde ne peut plus sâopĂ©rer uniquement sur des considĂ©rations Ă©conomiques. Le football ne peut rester en dehors des grandes questions du moment, sauf Ă limiter la prĂ©occupation Ă©cologique Ă tenir un stand lors de la COP pour pratiquer lâart pervers du greenwashing. Tout en respectant la fameuse «âdiffĂ©rence culturelleâ» entre les sociĂ©tĂ©s, la FIFA ne peut plus ignorer lâexistence dâun droit international notamment les conventions – minimalistes – de lâOIT (Organisation internationale du travail). Enfin, le football doit ĂȘtre respectĂ© et sa place dans les pays concernĂ©s Ă©galement.
Amnesty International rĂ©clame un fond dâindemnisation pour les travailleurs migrants dĂ©cĂ©dĂ©s ou blessĂ©s sur les chantiers au Qatar. Mais il serait dĂ©jĂ bien que la FIFA cesse de rĂ©clamer une exemption fiscale dans les pays oĂč elle tient ses compĂ©titions et donc y contribue de la sorte Ă la redistribution des richesses et au systĂšme de solidaritĂ© existants, notamment en matiĂšre sociale ou de santĂ©. Une Coupe du monde idĂ©ale doit lâĂȘtre Ă©galement pour la population locale..
Revenons pour conclure Ă la grande question de lâuniversalitĂ© du foot, le bonheur de regarder les grandes stars jouer, au sens enfantin du terme, sur les pelouses de la plus belle Ă©preuve de ce sport. Or, lâaccĂšs Ă ce spectacle, celui de la derniĂšre reprĂ©sentation du football des nations, de cet internationalisme du foot, sâavĂšre de plus en plus difficile et coĂ»teux. Le marchĂ© des droits tĂ©lĂ© a assĂ©chĂ© de fait la possibilitĂ© pour une grande partie de lâhumanitĂ©, parmi surtout les plus pauvres, dâen profiter. Lâobligation de la gratuitĂ© de la diffusion des rencontres, partout, devrait constituer la condition sine qua non de toute Coupe du monde «âidĂ©aleâ» .
Par Nicolas Kssis-Martov