Milan AC-Fiorentina : Le premier jour du reste de ma vie
C'était ce qu'on appelle un classique, un match entre deux équipes joueuses et portées vers l'offensive. C'était aussi le premier match de Beckham à San Siro. Oui mais voilà, hier était peut-être le premier jour du reste de la vie de Ricardo Izecson dos Santos Leite, dit Kaká.
Les histoires d’amour finissent mal en général. La rumeur s’était propagée ces derniers temps, Silvio Berlusconi s’était exprimé en personne sur le sujet : il allait être difficile de conserver Kakà au Milan AC face aux 120 millions d’euros avancés par Manchester City. Le joueur semblait pourtant vouloir rester. Seulement voilà : 120 millions d’euros. Une sacrée somme qui aiderait le club à renflouer ses dettes.
Vu de ce côté-ci des Alpes, il est difficile de concevoir la passion qui unit le joueur aux supporters rossoneri. La passion entre un Saint ayant découvert les plaisirs de la chair il y a à peine quelques mois et une ville capable de vous mettre tous les vices en alerte le temps d’une courte nuit. Le cœur a ses raisons que la raison ignore.
Alors quand les ragazzi milanistes ont senti qu’il se passait quelque chose, ils sont descendus dans la rue pour crier leur désespoir : rien de moins qu’une manifestation dans les rues de Milan. Pendant ce temps-là, une pétition invitant les tifosi à racheter le joueur de leur poche recueillait 30 000 signatures en deux jours. Des lettres ouvertes à l’intention des dirigeants. Le style y est évidemment épique et filerait la chair de poule à un Interiste. En diagonales, quelques extraits : « Les sentiments n’ont pas de prix…La vente de Kakà serait le plus gros échec de l’histoire du club…Ne vendez pas Kakà, vendez le club » .
Hier soir, en entrant sur la pelouse de son stade, celui où il voulait vieillir, le Brésilien a pu voir un San Siro qui était venu uniquement pour le voir. Il a même vu une partie de la Curva déserte en signe de protestation pour le début du match. Il a pu lire que l’on traitait Galliani de Juventino et Berlusconi d’Interiste, ce qui n’est pas rien. Il s’est dit qu’il se sentait bien.
Et il a couru, couru, couru. Il en a dribblé des joueurs, parfois plus que de raison. Il voulait marquer son but. En vain.
Et à part ça ? À part ça, Jovetic, jeune attaquant monténégrin né en 1989, en a sous la chaussette et laisse augurer de chouettes lendemains pour la Viola, Pato s’est déguisé en Kakà en y allant d’un superbe but, Beckham a raté une bonne partie de ses centres mais n’est pas totalement étranger à l’ouverture du score de Pato.
Maldini, qui facturera les 41 printemps l’été prochain, vieillit mieux que ce que l’on pensait. Seedorf est sorti sous les sifflets, Dinho est rentré peu avant la fin. Score final : Locaux 1-0 Visiteurs.
En temps normal, on appellerait ça une belle opération. Une belle affaire, un beau coup. Trois points dans la besace et voilà la Fiorentina reléguée à cinq points, elle est pas belle la vie ?
Bah non, désolé, elle est pas belle la vie. Au coup de sifflet final, tous les joueurs sont venus embrasser Kakà. Lui était un peu paumé. Il a d’abord essayé d’emporter le ballon du match en souvenir, avant d’être rappelé à l’ordre. Puis, hagard, il a regardé vers le ciel de la capitale lombarde à qui il doit tant.
Dans sa tête, Kakà a sûrement dû prier. Prier qu’il ne s’agisse que d’une mauvaise blague, prier que le football moderne ait encore un brin d’humanisme et que l’argent ne dirige pas tout.
Lundi, une décision sera prise. Et Kakà pourrait s’en aller évoluer sous d’autres cieux : hier était peut-être le premier jour du reste de sa nouvelle vie. Une nouvelle vie à claquer un triplé chaque semaine, à encaisser une somme à cinq chiffres par jour, à prendre des coups d’épaule de défenseurs de Stoke City, à remplacer sa Villa des environs de Milan par un château en briques rouges. Une nouvelle vie à avoir Dietmar Hamann et Joe Hart comme coéquipiers et Djibril Cissé comme collègue.
Kakà n’a que 26 ans.
Lucas Duvernet-Coppola
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