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Le Mexique sâen remet aux miracles de lâEnfant JĂ©sus footeux

Pour avancer en huitiĂšmes de finale, le Mexique a besoin dâune combinaison de scores favorables entre le Pologne-Argentine et son duel face aux Saoudiens, tout en tenant compte de la diffĂ©rence de buts. Mais le miracle pourrait venir de Mexico, oĂč l'Enfant JĂ©sus Miraculeux vĂȘtu du maillot dâEl Tri est vĂ©nĂ©rĂ© par les supporters de la sĂ©lection mexicaine.
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«âAujourdâhui, on gagne !â» lance, optimiste, un homme habillĂ© du maillot vert du Mexique, en sortant de l’Ă©glise San Gabriel Archange du quartier Tacuba, Ă Mexico. Ce supporter dâEl Tri ne le sait pas encore, mais son pays va sâincliner dans lâaprĂšs-midi face Ă lâArgentine de Lionel Messi (2-0). Quâil se rassure, la selecciĂłn a une nouvelle chance de se qualifier ce mercredi face Ă lâArabie saoudite, et il viendra prier Ă nouveau dans ce temple de pierres volcaniques au plus pur style de la conquĂȘte espagnole, dans lâune des rues les plus anciennes de la capitale.
Ă lâintĂ©rieur, Ă gauche de lâautel, une petite vitrine oĂč repose la statuette dâun saint pas comme les autres : un Enfant JĂ©sus Miraculeux vĂȘtu du maillot beige Ă motifs aztĂšques de la sĂ©lection mexicaine. Ă ses pieds, un ballon de foot semble attendre que la figurine du «âNiño Jesusâ» tente une frappe en lucarne. Dans les annĂ©es 1970, par l’initiative du PĂšre JosĂ© Reyes, grand fan de ballon rond, cette statuette de lâEnfant JĂ©sus est devenue la divinitĂ© des supporters de la sĂ©lection Ă Mexico, dans le deuxiĂšme pays catholique au monde â 100 millions de pratiquants sur 130 millions dâhabitants â, derriĂšre le BrĂ©sil. DĂ©jĂ avant le match inaugural face Ă la Pologne (0-0), ils sont des dizaines Ă ĂȘtre venus prier cette divinitĂ© pour lui demander quâun autre ange gardien, Guillermo Ochoa, rĂ©alise des prouesses dans les cages, un vĆu exaucĂ© quand le gardien a dĂ©tournĂ© un penalty, caressant lui aussi le statut de saint.
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Un homme pĂ©nĂštre dans le lieu de pierre et sâapproche de lâautel. Il se signe – deux fois -, puis vient se recueillir face Ă la chapelle du petit JĂ©sus. Il sâappelle Jorge. «âNous, les Mexicains, nous sommes un peuple trĂšs croyant, nous avons foi dans les images, les Saints. Beaucoup dâentre nous vont aussi prier la Vierge de Guadalupeâ», dit-il en rĂ©fĂ©rence Ă la sainte patronne des AmĂ©riques, dont la basilique gigantesque trĂŽne fiĂšrement dans le nord de la capitale. «âLĂ , j’ai simplement demandĂ© au « Niño Jesus » d’illuminer notre chemin pour aller de lâavant, pour nous surpasser, car le Mexique a mal dĂ©butĂ©, lâArgentine, câest une grosse puissance du football mondial…â»
Cette dĂ©votion pour le foot tĂ©moigne de la religiositĂ© du ballon rond en AmĂ©rique latine, oĂč les analogies sont nombreuses, comme la comparaison entre le stade et le temple, le footballeur et le messie ; Ă travers cet Enfant JĂ©sus, les habitants du quartier populaire de Tacuba ont donc trouvĂ© une façon de cultiver religieusement leur amour pour leur sĂ©lection. «âLe foot est un sport trĂšs sentimental ici. La religion aussi, estime le pĂšre JosĂ© Guadalupe GodĂnez, prĂȘtre de la paroisse. Il y a une analogie entre le foot et la religion. Câest normal dâavoir foi dans une Ă©quipe, et câest vrai quâon parle dâun demi-dieu pour parler dâun joueur comme Lionel Messi, poursuit ce grand fan des Chivas de Guadalajara. Mais le foot, câest une question de talent, d’habiletĂ©. Le champ de la foi et du sacrĂ© sont diffĂ©rents et cette comparaison entre sport et religion est dangereuse, car elle peut mener au fanatisme.â»
Le Messi ou lâEnfant JĂ©sus ?
Dans le temple, un gamin dĂ©ambule, maillot de la sĂ©lection sur les Ă©paules floquĂ© du numĂ©ro 13 et du surnom «âMauâ» pour Mauricio. «âMon joueur prĂ©fĂ©rĂ©, câest Messi !â» fait-il comme un symbole de cette gĂ©nĂ©ration qui idolĂątre des joueurs stars, mĂȘme avant ceux de son propre pays. Ă lâextĂ©rieur du temple, un kiosque oĂč Elia, employĂ©e de la paroisse, vend souvenirs, crucifix et tableaux des personnages de la Bible, des souvenirs en tous genres qui prendront la poussiĂšre une fois arrivĂ©s chez ceux qui en feront lâacquisition. On trouve Ă©galement des cartes de lâEnfant JĂ©sus Miraculeux de Tacuba vĂȘtu du maillot vert : «âMais lĂ je nâen ai plus, je les ai toutes vendues au dĂ©but du Mondialâ», rigole Elia. Depuis deux semaines, devant son kiosque, les fidĂšles dĂ©filent. «âJe nâaime pas quand le Mexique perd, car aprĂšs, ils finissent par me dire que lâEnfant JĂ©sus nâa rien fait pour la sĂ©lection !â»
On nâimagine pas les remarques quâelle recevra au milieu de ses bibelots kitsch, si Chucky Lozano et consorts venaient Ă perdre face Ă lâArabie saoudite. AprĂšs des dĂ©sillusions en huitiĂšmes de finale lors de chaque Coupe du monde depuis 1994, les Mexicains sont surtout proches dâune Ă©limination dĂšs les poules, une premiĂšre depuis celle de 1978. Qui sait : Ă dĂ©faut de pouvoir engager Leo Messi, peut-ĂȘtre que «âTataâ» Martino devrait se rendre plus souvent dans cette Ă©glise du «âNiño futboleroâ» pour accroĂźtre les chances de la sĂ©lection aztĂšque qui en a grandement besoin. Le PĂšre Guadalupe, lui, regardera la rencontre depuis la sacristie avec des confrĂšres oĂč, dit-il, «âdurant les matchs du Mexique, il y a un vraie ambiance de stade !â»
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Par Diego Calmard, Ă Mexico. Photos : Jeoffrey Guillemard.