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ArgentineâŻ: Dark Leo ou Messi maradonienâŻ?

Au-delĂ de ses performances de haut vol depuis le deuxiĂšme match face au Mexique, Lionel Messi a crevĂ© lâĂ©cran en affichant une facette plus mĂ©connue de sa personnalitĂ©. Contre les Pays-Bas, le septuple Ballon dâor, habituellement si respectueux, est apparu en trashtalker hors pair. En Argentine, cette version de la Pulga grande gueule, briĂšvement aperçue par le passĂ©, est inĂ©vitablement associĂ©e Ă la figure de Maradona.
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La scĂšne se dĂ©roule quelques minutes aprĂšs lâĂ©prouvante qualification de lâArgentine face aux Pays-Bas. Dans les couloirs de lâenceinte de Lusail, Lionel Messi se prĂ©sente au micro de la chaĂźne argentine TyC Sports. Il a le regard noir. Alors que le journaliste Gaston Edul sâapprĂȘte Ă lui poser une question en direct, la Pulga interpelle une personne hors camĂ©ra : «âQuâest-ce que tu regardes, idiot ? Va ailleurs, idiot !â» Surpris, lâintervieweur invite le numĂ©ro 10 Ă garder son calme. La fureur sans filtre de Messi vise lâattaquant Wout Weghorst, auteur des deux buts nĂ©erlandais. «âIl nâa pas arrĂȘtĂ© de nous provoquer pendant la rencontre, se justifiera plus tard le capitaine de lâAlbiceleste. Pour moi, ce nâest pas ça, le football. Je respecte toujours tout le monde, mais jâaime aussi quâon me respecte. Leur entraĂźneur, par exemple, ne nous a pas respectĂ©s.â»
QUĂ MIRĂS BOBOANDĂ PA ALLĂ BOBO pic.twitter.com/s2D1lbOhj5
â DjMaRiiO (@DjMaRiiO) December 9, 2022
Le natif de Rosario est en colĂšre contre Louis van Gaal pour ses dĂ©clarations dâavant-match. Deux en rĂ©alitĂ© : «âSi on va aux tirs au but, je crois que nous avons des chances dâĂȘtre favorisâ» et «âMessi ne participe pas au jeu quand lâadversaire a le ballon. Câest lĂ oĂč nous aurons des possibilitĂ©s.â» Câest cette derniĂšre phrase qui a fait vriller le septuple Ballon dâor. Van Gaal avait plus ou moins balancĂ© la mĂȘme punchline Ă Juan RomĂĄn Riquelme quand il le dirigeait au Barça. Messi sâen est souvenu. Sinon, pourquoi aurait-il cĂ©lĂ©brĂ© son but vendredi soir en imitant devant le coach des Pays-Bas une cĂ©lĂ©bration mythique de lâidole de Boca Juniors ? Les deux mains derriĂšre les oreilles, comme pour dire : «âParle plus fort. Je ne tâentends plus.â» Pour bien faire comprendre au technicien nĂ©erlandais quâil aurait dĂ» fermer sa bouche, la Pulga le retrouve au coup de sifflet final. Edgar Davids doit sâinterposer devant son sĂ©lectionneur abasourdi par ce Messi «âon fireâ» que personne nâa vu venir.
Des huevos, du trashtalk et Diego
Au mĂȘme moment, Ă Buenos Aires, devant lâĂ©cran gĂ©ant installĂ© dans un parc du quartier branchĂ© de Palermo, Gustavo, 41 ans, un dĂ©bardeur de lâAlbiceleste sur les Ă©paules, se dĂ©lecte, comme beaucoup des milliers de supporters autour de lui, des images de la furia du Diez. «âĂa, câest le Messi que jâaime ! Avec des huevos ! Câest notre capitaineâ», beugle-t-il le poing en lâair. InarrĂȘtable, le joueur vient de mettre un tir Ă lâarbitre espagnol Antonio Mateu Lahoz et contre la FIFA pour avoir choisi cet homme en noir «âpas Ă la hauteur dâun quart de finale de Coupe du mondeâ». MalgrĂ© un penalty gĂ©nĂ©reux donnĂ© Ă lâArgentine et la non-expulsion de Paredes. Peu importe. Ce soir-lĂ , câest trashtalk pour tout le monde.
Sur la plupart des plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s argentins, les participants cĂ©lĂšbrent ce Messi que beaucoup dĂ©finissent comme «âmaradonienâ». Un capitaine avec du caractĂšre â rĂ©clamĂ© depuis des annĂ©es â qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, chante lâhymne Ă pleins poumons, harangue ses coĂ©quipiers et peut parfois pĂ©ter les plombs face Ă une injustice ou un manque de respect. «âCâest un humain comme nous, et parfois, il lui arrive aussi de rĂ©agir, le dĂ©fend Oscar Ruggeri, champion du monde 1986, sur ESPN. Ce nâest pas un robot. MĂȘme sâil est le meilleur de tous. Quâest-ce que vous voulez ? Quâil soit parfait ? Maintenant il fait comme Diego !â» Alors que dans la mĂȘme Ă©mission, le Kun AgĂŒero, qui Ă©tait dans le grabuge de Lusail, reconnaĂźt avoir vu un Messi «âpiquantâ», lâancien attaquant HernĂĄn Crespo a lui remarquĂ© que le numĂ©ro 10 «âextĂ©riorise beaucoup ses Ă©motions pendant ce Mondialâ», rappelant notamment un Ă©change trĂšs froid avec Robert Lewandowski lors du match de poule face Ă la Pologne.
Footballeur extraordinaire, homme vulgaire et goodies
Si le monde entier a Ă©tĂ© surpris de dĂ©couvrir cette version dark de Messi, les Argentins lâont Ă©tĂ© un tout petit peu moins. En 2019, lors de la Copa AmĂ©rica au BrĂ©sil, la Pulga sâĂ©tait dĂ©jĂ emportĂ©e face aux micros. AprĂšs avoir Ă©tĂ©, selon lui, injustement battu par les Auriverdes en demi-finales (2-0), lâAlbiceleste dĂ©croche la troisiĂšme place en sâimposant face au Chili (2-1) malgrĂ© son expulsion, la deuxiĂšme de sa carriĂšre pour un vif Ă©change avec Gary Medel. Le numĂ©ro 10 refuse dâaller rĂ©cupĂ©rer sa mĂ©daille de bronze. «âJe ne veux pas participer Ă cette corruption, balance-t-il en zone mixte. Cette coupe a Ă©tĂ© truquĂ©e pour le BrĂ©sil.â» Pour ces dĂ©clarations, lâancien attaquant du Barça est suspendu trois mois par la CONMEBOL. En Argentine, la sortie de Messi contre la confĂ©dĂ©ration est alors considĂ©rĂ©e comme une preuve de caractĂšre inĂ©dite de la part dâun capitaine qui Ă©tait jusquâalors souvent vu comme trop lisse. SâĂ©lever contre les institutions le «âmaradoniseâ» pour certains supporters. Cette «âinjusticeâ» de 2019 sera dâailleurs lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur de la bande de Scaloni, sacrĂ©e deux ans plus tard au MaracanĂŁ. Dans lâenceinte carioca, alors que ses coĂ©quipiers, Rodrigo de Paul en tĂȘte, voulaient chanter en se moquant des BrĂ©siliens battus en finale (1-0), Messi leur avait dit de sâarrĂȘter pour respecter lâadversaire. Comme il le demande toujours.
Messi en el MaracanĂĄ no permitiĂł ni un cĂĄntico: pic.twitter.com/XwxPUmYeJS https://t.co/akOeuJM3qP
â Hooligan (@hooligan10_ec) December 10, 2022
Alors pourquoi avoir Ă©tĂ© si mĂ©chant cette fois-ci ? En Argentine, seul le quotidien conservateur La NaciĂłn a finalement osĂ© la critique contre un Messi devenu intouchable au pays. «âIl nâavait jamais Ă©tĂ© impoli ou irrespectueux, ces traits qui semblent si souvent en Argentine indispensables pour atteindre lâidolĂątrie, Ă©crivait le rĂ©dacteur en chef de la rubrique sport Cristian Grosso au lendemain du match contre les Pays-Bas. Messi a longtemps rĂ©sistĂ©, mais depuis quelques saisons, il a Ă©tĂ© intoxiquĂ©. Le footballeur le plus extraordinaire peut aussi ĂȘtre un homme vulgaire.â» DĂ©noncĂ© sur les rĂ©seaux sociaux par des Ă©crivains, des politiques et des journalistes locaux, lâĂ©dito a Ă©tĂ© perçu par beaucoup comme Ă©tant un texte «âanti-patrieâ». Toucher Ă ce Leo maradonien Ă©quivaudrait presque Ă trahir le pays. Surtout avant une demi-finale de Coupe du monde. Il faut soutenir, revendiquer le capitaine. Plus que jamais. Encore plus sâil est critiquĂ© Ă lâĂ©tranger. Le «âQuâest-ce que tu regardes, idiot ? Va ailleurs, idiot !â» balancĂ© par Messi Ă Weghorst est dâailleurs en train de devenir une phrase culte en Argentine. Elle sâaffiche dĂ©jĂ sur des calebasses de matĂ©, des T-shirts ou des mugs qui font fureur sur les sites de commerce en ligne.
Dans cet article :
Par Georges Quirino-Chaves Ă Buenos Aires