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Arsène, la Meinau t’attend
C’est un peu comme si des milliers de prières montant de la Meinau avait été exaucées. Arsène Wenger, le fils prodigue, peut enfin revenir accomplir son destin sur les bords du Rhin. Le retour au pays se relève autant un quasi-devoir patriotique qu’une immense opportunité pour l’entraîneur de laisser une trace unique dans le foot français. Et de se montrer à la hauteur de sa légende.
Arsène Wenger a donc annoncé qu’il n’entraînerait plus Arsenal la saison prochaine. Un coup de tonnerre dans le ciel bleu de la perfide Albion et de l’Hexagone. Son histoire semble tellement liée à cette vénérable institution londonienne qu’on se demande presque s’il ne faut pas la rebaptiser autrement désormais. Toutefois, ce goodbye, tant retardé, lance aussi une période durant laquelle toutes les spéculations seront de mise pour la suite. Quel point de chute désormais : en Premier League ? En France ? À la tête d’une sélection nationale ? Des Bleus histoire de préparer l’après-Deschamps en cas d’accident industriel en Russie ? Il existe pourtant un choix qui semble s’imposer si l’on écoute la voix du cœur et le sens de l’histoire. Car avant d’être le Gunner par excellence, Arsène vécut une vie de footballeur, et son amour du ballon rond possède son heimat : l’Alsace. Bref, c’est au Racing de Strasbourg que tous les chemins le mènent.
Donner de la consistance au conte de fées
La synchronisation des montres est presque parfaite. Le Racing vient juste de remonter en Ligue 1. Une saison de feu à la Meinau, mais douloureuse d’apprentissage pour un retour mitigé, pour la vérité du terrain, parmi l’élite. C’est à ce moment que l’enfant du pays (il a un stade à son nom du coté de Duppigheim ) annonce qu’il va renoncer au banc des Gunners. Il n’a jamais caché qu’il suivait l’évolution des Bleu et Blanc – surtout depuis la renaissance sportive enclenchée depuis quatre ans – ni le soutien qu’il apportait au travail de l’actuel président Marc Keller, lui aussi « du cru » et lui aussi passé par Monaco. Tous les astres sont donc alignés. Si le Racing se maintient, il va avoir besoin de reprendre de l’élan, de donner une consistance au conte de fées. De ne plus seulement psalmodier les évangiles d’une résurrection à l’ombre de la cathédrale et sous les chants quasi mystiques des ultras.
Car au-delà de l’évidence, au-delà de l’attachement à son sol natal, à son Alsace des villages et du bistrot de ses parents, le retour d’Arsène Wenger ne se limiterait pas à un geste de solidarité, voire de charité, voire une énième variante du « rendre ce que l’on doit à son « premier » club » (à l’instar de Wayne Rooney à Everton). Arsène Wenger a quelque chose à terminer, et donc aussi la chance d’écrire finalement un nouveau chapitre, peut-être la conclusion, donc forcement le plus beau, de sa carrière.
Champion de France 1979
1978-1979. L’année qui reste à jamais gravée dans les annales en dialecte. Les hommes de Gilbert Gress (Léonard Specht, Dominique Dropsy, Raymond Domenech, etc.) ramènent le seule titre de champion de France de ce plus que centenaire Racing. Une saison qui continue de hanter les esprits et les pages des DNA (Dernières Nouvelles d’Alsace). Un petit train bleu avait alors parcouru la région pour promener le trophée jusqu’à la maison, à la Meinau. Cependant, si Arsène Wenger, tout juste arrivé des Pierrots Vauban de Strasbourg, joue quelques matchs en D1, il n’en profite ou n’y contribue que sur la marge.
Capitaine de la réserve qui évolue au troisième échelon, qu’il remporte aussi, il ne peut poser cet extraordinaire succès comme les autres protagonistes de la première. Celui qui incarne le mieux aujourd’hui à travers le monde le prototype du footballeur alsacien se doit de rattraper ce petit décalage. Et il ne peut le faire qu’en reprenant les rênes du Racing. Devenir lui aussi un des piliers de ce monument. Les pétitions sur les réseaux le réclament depuis longtemps. L’heure est venue.
Du foot moderne à l’ancien monde
Naturellement, comment ne pas confesser un sentimentalisme assumé dans cette requête, dans cette folle espérance. On ne se refait pas. Dans le chaudron de la Meinau où les supporters croient encore que le football ne peut se vivre que par passion, tout autant au moins que par la seule grâce du classement et des statistiques, revoir débarquer l’un des rares entraîneurs français à s’être imposé de la sorte outre-Manche à la tête du seul et unique Arsenal FC, qui plus est au sein d’une Premier League emblème du foot mondialisé et « moderne » , exalterait une saveur de revanche symbolique. Presque une rédemption, bien qu’évidemment, on se doute que le coach ne ressent guère de culpabilité pour son parcours. Toutefois, « redescendre » au Racing aurait une belle valeur politique, comme changer de camp pour rejoindre ce club qui continue d’incarner quelque chose de « l’ancien monde » , tandis que des confrères tels que Sochaux ou le LOSC semblent menacés du pire.
L’arrivée d’Arsène Wenger au RCSA ne se résume pas qu’à une histoire d’élégie et de nostalgie. L’évocation de ce nom aux commandes de l’équipe alsacienne changerait naturellement la stature sportive du Racing. La configuration du mercato en serait transformée pour le club, notamment auprès des agents des jeunes joueurs prometteurs. Les travées de la Meinau, l’Alsace et le foot français ont aussi besoin qu’un club comme le Racing propose autre chose que de la résistance et de la grinta. Du jeu, de l’espoir, de l’enthousiasme. Venir taquiner les plus grands sans perdre son âme. Arsène Wenger a le pouvoir de redistribuer les cartes.
Par Nicolas Kssis-Martov