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Amorrortu : « Nos joueurs ne sont pas des marchandises »

Propos recueillis par Pablo Garcia-Fons
Amorrortu : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Nos joueurs ne sont pas des marchandises<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

L'Athletic Bilbao est arrivé cette saison en finale de la Coupe du Roi et de l'Europa League avec sept joueurs issus de son centre de formation. Une bizarrerie loin d'être due au hasard, puisque le plus vieux club d'Espagne cultive avec soin sa différence et son attachement à la terre basque. Directeur de la Cantera du club depuis 1994, hormis un passage à l'Atletico Madrid entre 2006 et 2010, José Maria Amorrortu est à la fois le témoin du passé et le garant de l'avenir de la philosophie de l'Athletic. Un mec qui parle de vision sur le long terme, de fraternité et d'amour du maillot.

L’Athletic Bilbao est-il un club unique ?C’est certain. Tous les joueurs qui jouent chez nous sont formés au Pays basque, c’est quelque chose d’unique dans le panorama du football mondial. Contrairement à toutes les autres équipes, on ne dispose que d’un cadre restreint, le Pays basque, pour nourrir notre équipe première.

N’avez-vous pas un peu l’impression d’être une espèce en voie de disparition dans le football actuel, où l’on ne parle que d’individu et d’argent ?Notre philosophie est particulière. Nos joueurs ne sont pas des marchandises, ils apportent quelque chose au club. Cette singularité ne nous empêche cependant pas d’être compétitifs. On l’a bien vu cette année. Donc on est différents, l’Athletic est un club qui marche un peu à contre-courant du foot business d’aujourd’hui, mais qui l’assume totalement, c’est même une revendication. Au club, tout le monde, des gamins de 10 ans aux dirigeants, en passant par l’équipe première, partage la même vision du football. Les joueurs savent qu’ils représentent quelque chose d’unique et de très fort. Notre modèle est atypique et isolé, mais tout le monde doit savoir que ça fonctionne sportivement. On peut tout à fait jouer au top niveau européen en formant la quasi-totalité de ses joueurs.

Est-ce que le club ne va pas un peu perdre de cette identité si particulière en remplaçant la légendaire Cathédrale par le nouveau San Mamés Barria ? Je ne crois pas. Déjà, on ne déménage pas à l’autre bout de la ville puisque le nouveau stade va être construit au même endroit. Je suis certain que notre public va s’approprier la nouvelle enceinte. Ce qui fait l’incroyable ambiance de San Mamés, c’est avant tout nos supporters, et ces supporters seront là, je leur fais confiance. Nous avons des liens très étroits avec les supporters. Cette relation va perdurer et même se renforcer.

Comment fait-on pour monter une équipe compétitive quand on a seulement une centaine de jeunes dans le centre de formation comme base de recrutement ? Le processus de formation n’est pas vraiment différent de celui qu’on retrouve dans les autres clubs. Ce qui est par contre différent, c’est l’environnement dans lequel les jeunes évoluent. L’ambiance, l’esprit qui règnent à Lezama (la Cantera de l’Athletic, ndlr) ne sont pas les mêmes que dans les autres centres de formation. Ils n’apprennent pas qu’à taper dans un ballon, on leur transmet des valeurs, celles du club. Ils s’approprient les idées d’effort, de dépassement de soi, de cohésion. Les gamins savent qu’ils ont une grande opportunité. S’ils se démènent pour donner le meilleur d’eux-mêmes, s’ils mouillent le maillot tous les jours à l’entraînement et s’ils représentent les valeurs de l’Athletic, ils savent qu’ils finiront sûrement par jouer en équipe première.

Pourquoi ne pas recruter des joueurs espagnols ou formés en Espagne, plutôt que des jeunes Basques ou formés au Pays basque ?Ce qui fait notre force, c’est que nos joueurs sentent qu’ils participent à quelque chose qui les dépasse. Pour acquérir ce sentiment, il faut que les jeunes l’apprennent, qu’ils aient envie de porter ce maillot, qu’ils en soient fiers. Quand un enfant arrive à 10 ans à Lezama, qu’il est déjà supporter de l’équipe parce qu’il est né ici et qu’il grandit entre nos murs, il devient une partie de l’âme du club. C’est une valeur qui n’est pas quantifiable, mais qui, pour nous, est primordiale.

Mais Antoine Griezmann, par exemple, qui n’a pas de sang basque dans les veines, mais qui a été formé par la Real Sociedad, il pourrait jouer à l’Athletic ?Ce n’est pas une question de sang. Il a été formé au Pays basque, donc, hypothétiquement, il pourrait un jour venir chez nous. Après, il faudrait qu’il en démontre l’envie. Nos joueurs ne sont pas interchangeables, c’est avant tout des hommes avec qui on crée des liens très forts.

Comment fonctionne la détection des jeunes talents ?Les jeunes joueurs viennent chez nous de tout le Pays basque, y compris de sa partie française, lors de nos journées de détection. Ils commencent à s’entraîner à Lezama à partir de 10 ans et suivent le processus de formation pas à pas. On effectue un travail individuel sur le joueur pour l’aider à développer ses qualités initiales. Dans ce domaine-là, il n’y a pas de secret.

Vous savez que si vous « foirez le job » au niveau de la formation plusieurs années de suite, l’équipe première risque d’en prendre un sacré coup. C’est une grosse pression, non ? Évidemment, c’est le genre de choses qui m’empêchent parfois de trouver le sommeil. Il peut y avoir des trous, plusieurs années de suite, où aucun jeune ne franchit le cap suffisant pour passer en équipe une, ça nous est déjà arrivé. Il faut essayer de faire avec, d’accepter que la formation n’est pas une science exacte. Ça n’empêche pas une certaine continuité. Le club côtoie l’élite du football espagnol depuis que la Liga a été créée en 1928. De temps en temps, on intègre également le top niveau européen. Ce n’est pas trop mal, non ? L’important, ce n’est pas le résultat d’un ou deux matchs, mais la tendance sur plusieurs années.

En tant que directeur sportif du centre de formation, est-ce que vous essayez d’inculquer aux jeunes que vous formez, en plus de l’esprit et de l’amour du club, une certaine philosophie de jeu ?Bien sûr. Tout part d’une analyse du football actuel. Quelles sont les qualités qui sont mises en avant dans le jeu ? Qu’est-ce qui marche ? À partir de ces questions, on essaie de développer plus ou moins certains aspects tactiques et techniques dans la formation. On tente également de faire sortir des joueurs « intelligents » . Des garçons qui comprennent le football, qui savent voir le jeu et qui sont donc plus à même par la suite de développer quelque chose de performant et d’attractif à regarder.

Le football total de Marcelo Bielsa, c’est la suite logique de votre travail à la Cantera ?Bielsa a fait un travail épatant. En une saison, il a réussi à s’approprier l’équipe, il l’a fait progresser, il l’a rendue plus complète. Les joueurs ont mûri avec lui. Le travail de Bielsa n’aurait cependant pas été aussi productif si les joueurs ne disposaient pas des qualités essentielles sur lesquelles il s’est basé pour construire sa philosophie de jeu. J’essaie de construire une base qui soit en adéquation avec les exigences du football actuel. Si on se met à regarder son travail en estimant qu’on est au top, on finit par prendre du retard sur les autres équipes.

Si vous ne deviez choisir qu’un joueur, que vous avez détecté, formé, vu grandir et dont vous êtes fier aujourd’hui…Muniain, Amorebieta, Llorente, Susaeta, Aurtenetxe, Iturraspe, ce sont tous des garçons qui sont au club depuis qu’ils ont 10 ou 11 ans, ils ont joué deux finales cette saison, certains sont internationaux… Je ne voudrais pas, en en mettant un en avant, en le prenant comme modèle, dévaloriser les autres. Ce sont tous des vrais « Leones » (le surnom des joueurs de l’Athletic Bilbao, ndlr).

Vous avez porté les couleurs du club de 1973 à 1978, une période charnière avec la mort de Franco et le retour de la démocratie. Ça faisait quoi de jouer à Bilbao à ce moment-là ? Vous vous sentiez opposants politiques ?Non, pas vraiment. Évidemment, en tant que personne, je faisais partie de la société et du changement qui était en cours, je l’appuyais. Pour autant, on a toujours essayé de sortir le football du contexte politique. La fierté de porter les couleurs du club était et reste au-dessus de n’importe quel engagement politique.

Vous aviez pourtant étendu l’ikurrina (le drapeau basque, ndlr) au milieu du terrain lors du premier match contre la Real Sociedad après la mort de Franco…(Il coupe) J’étais de cette fameuse rencontre. Les deux équipes sont sorties du vestiaire avec le drapeau basque. Ce fut un événement qui a symbolisé beaucoup pour nombre de gens à l’époque. Je ne dirais pas qu’on a eu un rôle politique d’opposition. On a fait partie du mouvement, de cette époque de transition vers la démocratie et vers l’accès à des libertés nouvelles.

Avec la période noire que vit l’Espagne économiquement et socialement, les nationalismes régionaux doivent-ils être mis de côté ou, au contraire, s’exprimer plus haut et fort qu’en période de croissance économique ? Comme en foot, le travail d’équipe est toujours plus efficace que le travail individuel. L’Espagne est face à une crise très profonde. Pas seulement économique. La crise économique est la conséquence d’une crise de valeurs, de l’individualisme croissant et des mouvements spéculatifs, pas seulement dans la finance. Les valeurs du football que nous défendons peuvent être une solution à cette crise. La cohésion, la fraternité, la participation coopérative, ce sont des idées que nous défendons ici, mais qui devraient s’appliquer à la politique du pays. Néanmoins, le football espagnol participe de la dérive actuelle. Beaucoup dépensent leurs millions au lieu de les investir et participent donc de la spéculation générale.

Pour revenir un peu au foot, en 1976/1977, votre génération était allée jusqu’en finale de Coupe UEFA et de la Coupe du Roi, deux finales perdues. Une histoire parfaitement répétée cette saison, puisque que l’équipe de Marcelo Bielsa a reproduit exactement le même scénario. Coïncidence ?Justement non, c’est le signe que, 35 ans après ma génération, l’Athletic est de nouveau au sommet du football mondial. C’est réconfortant. J’espère simplement qu’on n’aura pas à attendre 35 autres années pour rééditer ce genre de performance.

Le club n’a plus rien gagné depuis 1984, et ce, malgré quatre finales disputées et une deuxième place de la Liga en 1997-1998. Vous êtes maudits ou quoi ?Ce n’est pas une question de malédiction. Depuis l’arrivée de l’argent des droits télé en Espagne, la compétition est sans cesse plus difficile. Le duopole Real – Barça, qui truste l’immense majorité de cet argent, rafle quasiment tout chaque année, il ne nous reste plus que des miettes à récupérer.

Comment sera l’Athletic Bilbao dans 20 ou 30 ans ? Sain, performant, basé sur notre jeunesse et soutenu par nos supporters. Je lui imagine un grand futur.

Après la trêve internationale, place au festin !

Propos recueillis par Pablo Garcia-Fons

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