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Amine Lecomte-Addani : « Au Qatar, je me suis déjà perdu la nuit dans le désert »

Propos recueillis par Alexandre Delfau
7 minutes
Amine Lecomte-Addani : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Au Qatar, je me suis déjà perdu la nuit dans le désert<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Amine Lecomte-Addani n'a pas vu le Qatar comme un eldorado, mais comme une opportunité de réussir sa carrière. Le Français a rejoint le « secret le mieux gardé du Golfe persique » à 19 ans, et n'est plus jamais revenu. Avec son club d'Al-Duhail, il s'est imposé comme une référence continentale au poste de gardien et est même devenu celui de l'équipe nationale qatarie. Aujourd'hui en prêt à Al-Sailiya, il espère retrouver la sélection pour la Coupe du monde qu'organise le pays en 2022. Entretien.

Salut Amine, est-ce que tu peux nous raconter ton parcours dans le foot avant ton départ pour le Qatar en 2010 ?J’ai commencé à La Neuvillette, le club de mon quartier à Reims. Ensuite, j’ai rejoint le Stade de Reims à 13 ans. J’ai fait une année là-bas, qui ne s’est pas très bien passée. Franck Triqueneaux (responsable de la préformation) et Sébastien Hamel (entraîneur des gardiens) m’ont dit que je n’avais pas ce qu’il fallait pour passer le cap. Je suis donc parti à Cormontreuil pour rejoindre un ami. Et là je suis tombé sur Jean-Philippe Vieville, qui était recruteur pour le Stade rennais à l’époque, et qui m’a ouvert les portes des centres de formation. On a opté pour le FC Sochaux, où je passe quatre années magnifiques. À la fin de ma formation, on me propose un contrat pro. Francis Gillot voulait que je signe trois ans, mais les gens du centre voulaient que je signe un an, avec deux en option et que je parte en prêt à Bayonne en National. Et là, Aziz Bouras, entraîneur des gardiens de Sochaux, devient entraîneur des gardiens d’Al-Duhail et me convainc de partir avec lui.

Je venais d’avoir mon permis, et le club m’a fait une surprise en m’offrant ma première voiture. Je ne connaissais rien à Doha, car à chaque fois, c’était un chauffeur qui me ramenait.

Ce n’était pas trop difficile de partir aussi loin de chez toi à 19 ans ? Comment ta famille a vécu ce choix ?Avec ma nature et d’où je viens, il n’y avait pas d’appréhension de quitter tôt mes parents. Avec le foot, ils étaient habitués, et j’avais une vraie confiance en Aziz. La seule chose qui m’a fait un peu douter, c’est quand je suis arrivé, c’était le dépaysement total. La première fois que je suis sorti de l’avion, c’était en plein mois d’août. On rentrait de stage en France avec Al-Duhail et j’ai cru que l’avion prenait feu tellement il faisait chaud. Je voyais de la fumée et en fait, c’était l’humidité, mais je n’avais jamais vu ça de ma vie. Je ne voulais pas sortir de l’avion, et les autres joueurs rigolaient. Ce qui m’avait choqué aussi, c’est que le soir, quelqu’un du club nous ramenait à l’hôtel et il était obligé de mettre les essuie-glaces, alors qu’il ne pleuvait pas.

Il paraît que tu t’es même perdu au retour de ton premier entraînement où tu es allé seul ?Je venais d’avoir mon permis, et le club m’a fait une surprise en m’offrant ma première voiture. Et en fait, je ne connaissais rien à Doha, car à chaque fois, c’était un chauffeur qui me ramenait. J’ai voulu aller à l’entraînement tout seul. À l’époque, il n’y avait pas de GPS sur les voitures, et en rentrant, je me suis enfoncé dans le désert, plus de lumière, rien. J’ai dû appeler la police avec un anglais ultra fatigué pour qu’ils viennent me chercher. Je suis resté deux heures à la tombée de la nuit dans le désert et là, j’ai vraiment eu peur.

J’ai gagné le Golden Globe qui récompense le meilleur gardien du Golfe, plusieurs fois celui de meilleur gardien du pays et un record d’invincibilité avec près de 900 minutes sans prendre de but en 2014.

Tu t’es vite imposé à ton poste à Al-Duhail, et l’équipe a remporté six championnats avec toi dans les buts. Le club a été construit pour gagner des titres et a toujours fait les bons choix, on a toujours eu des coachs de renom comme Eric Gerets ou Djamel Belmadi. En plus des titres collectifs, j’ai pu remporter des récompenses individuelles. J’ai gagné le Golden Globe qui récompense le meilleur gardien du Golfe, plusieurs fois celui de meilleur gardien du pays et un record d’invincibilité avec près de 900 minutes sans prendre de but en 2014.

Quelles sont les particularités du foot qatari ?Le championnat est scindé en trois. Il y a une ou deux équipes qui sont d’excellente qualité et se battent tous les ans pour le titre. Ensuite, tu as deux-trois équipes un cran en dessous et puis le reste, cinq-six équipes qui sont bien en dessous. Le paradoxe ici, c’est que les stades sont vides, mais il y a sept ou huit chaînes de télé basées uniquement sur le foot et que les gens regardent. Les Qataris n’ont pas cette culture d’aller au stade, c’est sans doute dû à la chaleur. On est loin des ambiances européennes, mais il y a un engouement.

Au Bhoutan, on a vu un peuple très pauvre, mais avec onze mecs qui jouent au ballon. Ça t’ouvre un peu l’esprit, et tu te rends compte de la chance que tu as de jouer en professionnel au Qatar. Quand on a fini le match, on a tout laissé : t-shirts, shorts et crampons. Ça dépassait le football.

Comment s’est faite l’opportunité d’intégrer l’équipe nationale qatarie ? Tu as également failli jouer pour le Maroc.Je suis d’origine marocaine, donc à la base, c’était un choix logique. J’ai été une première fois appelé par Éric Gerets. J’étais dans l’optique d’y aller, mais on m’a proposé cette perspective de jouer pour l’équipe nationale du Qatar, qui était à mon sens plus intelligente pour ma carrière. J’ai dû faire un choix, certes pas facile, mais c’était aussi ma manière de rendre la pareille par rapport à tout ce qu’on m’a donné ici.
On sait que la zone Asie offre des matchs dans des pays que l’on connaît peu. Tu as un souvenir marquant d’un match avec le Qatar ?J’ai un souvenir assez particulier du match contre le Bhoutan (victoire 15-0 en 2015, NDLR). La piste d’atterrissage là-bas est située entre deux montagnes, et il n’y avait que cinq pilotes Qatar Airways qui avaient assez d’expérience pour nous faire atterrir et décoller. Trente minutes avant l’atterrissage, on nous dit d’attacher nos ceintures, et tu sais comment c’est, ça rigole et certains attachent ou n’attachent pas. Et le pilote l’a redit d’un ton assez ferme, donc on a tous attaché et on a bien fait parce qu’il a plongé… Je n’avais jamais ressenti ça de ma vie, il a vraiment plongé parce qu’il devait vite redresser derrière puisque la piste était trop courte et il n’avait pas assez d’élan. Et puis nous sommes arrivés. Sur place, on a vu un peuple très très pauvre, mais avec onze mecs qui jouent au ballon. Ça t’ouvre un peu l’esprit, et tu te rends compte de la chance que tu as de jouer en professionnel au Qatar. Quand on a fini le match, on a tout laissé : t-shirts, shorts et crampons. Ça dépassait le football. Ça s’est transformé en super échange humain.

La Coupe du monde 2022 au Qatar arrive à grands pas, quels sont les derniers préparatifs sur place ? Le pays avance bien. Tout le monde savait que le Qatar serait prêt pour sa Coupe du monde. Elle va se jouer dans des conditions exceptionnelles, en hiver où il fait très bon ici et dans des stades incroyables qu’on a eu la chance d’inaugurer sur des finales. Je sais que le pays fera bonne figure et met tout en œuvre pour que ça se passe bien.

À titre personnel, tu espères y participer ?Ça fait un moment que je n’ai pas été appelé, depuis deux ans environ. Le sélectionneur a son noyau, et ça ne bouge plus trop, mais en tant que compétiteur, tu te tiens prêt. Il reste une année, il va se passer beaucoup de choses et tout est possible.

À Al-Duhail, tu as pu côtoyer des pointures comme Bakari Koné, Mehdi Benatia, Youssef El-Arabi, Mario Mandžukić…Les mecs qui m’ont le plus marqué, c’est Madjid Bougherra, parce qu’il avait tout du capitaine, un vrai meneur d’hommes et un mec exemplaire. Le deuxième, c’est Youssef El-Arabi parce que c’était un tueur, j’ai rarement vu un mec qui marquait autant de buts en aussi peu de temps. Et le troisième, c’est Mehdi Benatia qui est un très bon ami et c’est toujours super de côtoyer des mecs avec une top carrière. Ce sont des mecs qui ont marqué le club par leur état d’esprit et leur respect du football.

Avant, le Qatar était vu comme une pré-retraite pour venir faire une pige et gagner de l’argent. Maintenant, c’est un championnat beaucoup plus compétitif.

Tu trouves que le championnat est de plus en plus attractif ? On a vu la récente arrivée de Laurent Blanc comme entraîneur d’Al-Rayyan.Avant, le Qatar était vu comme une pré-retraite pour venir faire une pige et gagner de l’argent. Maintenant, c’est un championnat beaucoup plus compétitif, tu le vois avec les effectifs. Il y a des joueurs qui viennent ici et repartent en Europe un an ou deux ans après. Il y a des joueurs de gros calibre qui viennent, le Qatar ne cherche pas des noms, mais avant tout des mecs compétitifs.

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