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Adrian Doherty, le cinquième Beatles de Manchester United

Par Éric Maggiori
7 minutes
Adrian Doherty, le cinquième Beatles de Manchester United

Il aurait pu devenir une légende de Manchester. Le 20 novembre 1987, Adrian Doherty signe, à 14 ans, un contrat en faveur de Manchester. À l'époque, en 1992, on assure qu'il est plus fort que ses coéquipiers Ryan Giggs et Paul Scholes. Mais sa vie n'a pas pris le virage qu'elle aurait dû. Voilà pourquoi.

Ryan Giggs fêtera dans 10 jours ses 41 ans. Paul Scholes a fêté ses 40 ans il y a quatre jours. Adrian Doherty, lui, aurait dû être l’aîné de cette bande, du haut de ses 41 ans et 5 mois. Mais sa vie s’est tragiquement interrompue le 9 juin 2000. Un jour avant son 27e anniversaire. L’annonce de son décès était presque passée inaperçue. Alors que, une dizaine d’années plus tôt, tout le monde s’émerveillait sur les prouesses de ce gamin né à Strabane, à une centaine de kilomètres de Belfast, en Irlande du Nord. C’était à la fin des années 80, en 1986, très précisément. Un jeune garçon de 13 ans débarque à Manchester. « Je l’avais recommandé aux scouts de Manchester United en Irlande du Nord et il est allé passer un test là-bas, se remémore Matt Bradley, l’un de ses premiers entraîneurs en Irlande du Nord. Après 15 minutes d’essai, Alex Ferguson a téléphoné à son père pour savoir si Adrian voulait signer à United. »

À peine arrivé, le gamin impressionne les observateurs mancuniens. Il signe son premier contrat avec les Red Devils le 20 novembre 1987. Il y a 27 ans, jour pour jour. Adrian Doherty a 14 ans, et intègre une équipe de jeunes dans laquelle on trouve Paul Scholes et Ryan Giggs, entre autres. Il est le pendant de Giggs sur l’autre aile, mais pour beaucoup, il est bien plus fort que le Gallois. « Il était l’ailier le plus rapide que nous ayons jamais vu, rappelle Tony Park, co-auteur de Sons of United, un livre sur les équipes de jeunes du club, dans un article du Guardian dédié à Doherty. Les scouts de United ont même dit qu’il était tellement rapide qu’il pourrait« attraper des pigeons ». » Avec ce maillot rouge sur les épaules, on commence même à le comparer à George Best. Que de promesses.

L’idylle se transforme en cauchemar

Rapide, buteur, bon des deux pieds, Doherty semble avoir toutes les cartes en main pour devenir la star de cette équipe qui, quelques années plus tard, sera mondialement reconnue comme « la classe de 1992 » , celle sur laquelle Sir Alex basera tous ses triomphes au cours des années 90. « À l’époque, un coach avait assuré que, de tous les jeunes du club, seuls Wilson, Scholes et Doherty allaient devenir pros » , se remémore Tony Park. Mais l’écrivain n’est pas le seul à se souvenir de Doherty comme d’un crack. Brendan Rodgers, l’actuel coach de Liverpool, a fréquenté la même équipe de jeunes en Irlande du Nord. Doherty et lui s’étaient liés d’amitié. « Parlez à Ryan Giggs, Paul Scholes et aux frères Neville : ils vous diront tous que Doherty était le meilleur joueur avec qui ils aient joué à ce niveau-là » , assure Rodgers, encore au Guardian.

Alex Ferguson suit de près sa progression. Arrivé sur le banc de Manchester United en 1986, le coach écossais est à la recherche de jeunes talents pour fonder son équipe du futur. Doherty apparaît comme une évidence, au point qu’Alex, pas encore Sir, le fait monter en équipe première en mars 1990, à seulement 16 ans. Tout ça pendant que ses petits potes de l’époque sont encore considérés comme des gamins. Mais c’est à ce moment-là que l’idylle va se transformer en cauchemar. Ferguson a prévu de lui offrir son baptême en première division le week-end du 13 mars, face à Everton. Mais à quelques jours du grand rendez-vous, Doherty se rompt les ligaments croisés lors d’un match amical face à Carlisle. Diagnostic : six mois d’absence. Il en mettra finalement sept avant de refouler les pelouses. Mais lorsqu’il revient, il « fait une Giuseppe Rossi » . Crac, le genou saute à nouveau dès les premières foulées. Cette fois-ci, la rééducation dure un an. En tout, Doherty sera resté hors des pelouses pendant 19 mois.

Rupture des ligaments et Bob Dylan

Et les 19 mois se font sentir. Lorsqu’il rechausse les crampons, Doherty n’est plus le même. Il a perdu sa vitesse, perdu sa folie, son allant. Le jeune Adrian comprend que cette double rupture des ligaments n’a pas seulement détruit son genou, elle a également détruit sa carrière. Une question peut alors se poser : si Manchester United était à ce point convaincu de son talent, pourquoi ne pas avoir pris plus soin de lui pendant sa longue blessure ? Dans l’enquête du Guardian, le père d’Adrian, Jimmy, émet une suggestion. Selon lui, United n’a pas cajolé son fiston parce qu’il ne représentait pas tous les standards du footballeur type. Il préférait la guitare aux grosses bagnoles, le style bohème aux montres de luxe. On le voyait même se pointer régulièrement au Cliff, l’ancien centre d’entraînement de United, avec un gros sweat et une guitare sur l’épaule. « Il était très bon footballeur, mais ce dont je me rappelle, surtout, c’est de sa personnalité et de son intelligence. Il adorait parler de musique, de littérature et de poésie » , se souvient Brian McClair, joueur des Red Devils de 1987 à 1998.

Doherty ne sait plus vraiment où aller. Il dérive, se met à travailler dans une usine de chocolat à Preston, tente de continue à jouer à côté avec le maillot de Derry City, dans son Irlande du Nord natale. Mais l’envie n’y est plus. D’autant qu’à ce moment-là, ses anciens partenaires commencent à exploser avec l’équipe première de United. Adrian décide d’arrêter définitivement le football. « Il aurait aimer percer dans la musique » , se souvient Brendan Rodgers. Une vidéo amateur le montre même en juin 1991, en train de chanter une reprise de Bob Dylan, All Along The Watchtower, au Melmont Centre de Strabane, sa ville de toujours.

Mais la musique ne marche pas non plus. Adrian a alors 19 ans. Et même s’il a encore toute la vie devant lui, la sienne semble déjà être parvenue à la ligne d’arrivée. Pendant des années, il va errer en Irlande du Nord, à la recherche de stabilité. Jusqu’au mois d’avril 2000.

Meubles, coma et livre hommage

Ce mois-là, Doherty, désormais âgé de 26 ans, décide de donner un nouveau souffle à son existence en déménageant à Amsterdam. Au même moment, Manchester United remporte son sixième championnat d’Angleterre en huit ans, avec comme stars les frères Neville, Ryan Giggs et Paul Scholes, tous ceux de la classe de 92, tous ceux qui étaient censés être « moins forts que lui » . Dès son arrivée à Amsterdam, il est engagé dans une entreprise de meubles. Mais quelques jours seulement après son arrivée dans la ville, il tombe dans l’un des nombreux canaux d’Amsterdam. On ne saura jamais s’il s’agissait d’un suicide ou d’un accident, ni même les circonstances exactes de cette chute. Le fait est qu’il va rester dans le coma pendant un mois, avant de s’éteindre le 9 juin 2000. Un jour avant de fêter ses 27 ans. L’enterrement est organisé une semaine plus tard, le 16, par ses parents, Jimmy et Geraldine, et ses trois frères et sœurs. Le Derry Journal, en Irlande du Nord, lui consacre alors sa Une, avec un vibrant hommage. En revanche, hormis trois lignes dans le Sunday Mirror, pas un mot dans la presse anglaise, trop occupée à remplir ses colonnes des performances de l’Angleterre de Beckham et Scholes lors de l’Euro 2000. Doherty, quelque part, entre alors dans la légende en devenant « l’oublié » . L’oublié de cette folle génération mancunienne. Celui qui aurait pu en être le fer de lance. Le cinquième Beatles, en somme.

Un livre devrait bientôt être rédigé pour raconter intégralement et précisément toute son histoire. Sir Alex a déjà confirmé qu’il y participerait, tout comme son ami d’enfance Brendan Rodgers. L’actuel coach des Reds a d’ailleurs récemment raconté une anecdote à propos de la période où il était joueur à Reading, entre 1990 et 1993. Le mythique gardien écossais Jimmy Leighton est prêté à Reading lors de la saison 1991-92. « Je suis allé le voir pour lui parler de Manchester United, dont il avait été le gardien de 1988 à 1991, raconte Rodgers. Je lui ai demandé s’il avait entendu parler de tel ou tel jeune joueur, il me répondait « non », puis de tel ou tel autre jeune joueur, et il me répondait « non ». Et puis je lui ai demandé s’il avait entendu parler d’un jeune gamin de Strabane, appelé Adrian. Il m’arrête, et me dit : « The Doc ? ». C’était le surnom d’Adrian. Je lui dit : « oui ». Et Leighton me répond : « The Doc, c’est une légende ». » La légende de l’oublié qui, 17 ans plus tard, perdure encore, et encore.

Vidéo d’Adrian Doherty lors d’un amical entre les jeunes de Derry City et ceux de Nottingham Forest, envoyée par Derry City :

Vidéo

Toutes les citations sont issues de l’article du Guardian « Adrian Doherty: the lost star of Manchester United’s class of 92 » par Daniel Taylor, sauf celle de Matt Bradley, reprise sur son site personnel.

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