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À Strasbourg, l’école des chasseurs de tête
L'avertissement sans frais du choc de Benjamin Pavard face à l'Allemagne à l'Euro n'en reste pas moins un avertissement : le sujet des commotions cérébrales est très méconnu dans le football, même au sommet de l'échelle. En bas de cette dernière, un éducateur d'un club de foot alsacien a décidé de prendre les choses en main en sensibilisant jeunes et moins jeunes aux risques du football pour le cerveau, aidé dans son projet par l'ancien Strasbourgeois Felipe Saad. Rencontre avec ceux qui veulent faire bouger les choses.
Après les terribles images du malaise de Christian Eriksen, beaucoup ont retenu leur souffle le 15 juin dernier, lorsque Benjamin Pavard est resté au sol après un choc violent avec Robin Gosens lors de France-Allemagne. Et tout le monde a pu respirer en apprenant que le joueur du Bayern Munich était sorti de ce douloureux épisode sans dommages. L’occasion, néanmoins, de se rendre compte que personne n’est assez renseigné sur les risques qui pèsent sur le cerveau des footballeurs. Et s’il est relativement normal que le quidam n’ait pas de connaissances de pointe en neurochirurgie, il est plus surprenant qu’un thème aussi important que celui des commotions cérébrales soit quasiment un non-sujet jusqu’au sommet des fédérations.
Deux papas en quête de prévention
C’est là que Felipe Saad et Hasan Doyduk entrent en scène. Le nom du premier risque de rappeler des souvenirs à un paquet de supporters en France, et notamment à Strasbourg, où le défenseur brésilien a évolué de 2015 à 2017. Si celui du second est moins médiatisé, son rôle est majeur dans ce qui se passe dans le quartier de Robertsau, à Strasbourg, au sein de l’école de football du même nom dont il est le responsable. Saad, lui, y a inscrit son fils aux côtés de celui d’Hasan. Mais alors, quel rapport avec les commotions cérébrales ? « C’est une préoccupation que j’avais depuis pas mal d’années, qui est liée à la profession de mes parents au Brésil qui sont médecins, mais aussi à ma position sur le terrain (défenseur central) qui m’a poussé à faire beaucoup de coups de tête », explique le Brésilien, qui a sensibilisé son pote sur cette thématique. « L’idée, c’est deux papas qui discutent de la santé de leurs enfants, abonde Hasan Doyduk. On veut protéger nos enfants, limiter les risques au maximum. » Le projet initié par les deux amis à la Robertsau est en effet assez simple : sensibiliser jeunes, éducateurs et parents sur le thème des commotions cérébrales, et réduire dans la mesure du possible le jeu de tête chez les plus jeunes de manière à limiter les risques.
Priorité à la balle en mousse
Sensibiliser les jeunes à la commotion cérébrale, quèsaco ? « On a fait un premier stage éducatif avec les enfants en mars, explique Hasan Doyduk. On avait abordé les choses de manière très large : pas seulement la commotion, mais aussi le cécifoot, l’hydratation, etc. Les enfants s’en souviennent encore ! Aujourd’hui, ils sont encore capables de t’expliquer avec leurs mots ce que c’est qu’une commotion. » Et si les deux amis sont surpris de l’intérêt et de la compréhension des enfants envers ces thématiques, ils n’oublient pas de mettre très vite du concret sur des concepts techniques. « La partie théorie doit être très courte. Ensuite, il faut rentrer tout de suite dans la partie ludique », explique l’éducateur. Cette partie ludique, justement, consiste en des exercices de tête réalisés avec des balles en mousse. L’objectif n’est en effet pas de supprimer complètement le jeu de tête, mais simplement de le limiter, et de limiter les risques sur des cerveaux encore jeunes. « La balle en mousse n’empêche pas d’apprendre le geste : armer, garder les yeux ouverts, utiliser les bras, etc. On se concentre seulement sur la gestuelle. Le jour où ils seront un peu plus développés physiquement à 12 ans, ils seront mieux préparés. Ils n’auront pas encore un cou d’adulte, mais c’est déjà mieux », analyse Hasan Doyduk.
Vers un football sans tête ?
La volonté d’Hasan et Felipe de protéger la santé des plus jeunes se heurte pourtant à la réalité du terrain : le football d’aujourd’hui se joue bien avec la tête. Hasan Doyduk le sait déjà : son projet s’arrêtera au niveau U11. « Après, c’est plus compliqué : on ne peut pas dire à un enfant de 12-13 ans, surtout avec les gabarits qu’ils ont, de ne pas mettre la tête. Avant, le ballon reste plus souvent au sol qu’en l’air donc ce n’est pas vraiment un problème. »
« Aux États-Unis, le programme Secure Soccer interdit le jeu de tête jusqu’à 14 ans, éclaire Saad. Mais les USA, c’est une ligue fermée, la MLS, la culture du foot n’est pas du tout la même qu’en Europe. Là-bas, c’est un âge cohérent, 14 ans, mais en France, dès 12 ans, c’est compliqué de jouer sans tête. À ce moment-là, les gamins pensent au sport-étude, à des centres de formation comme Clairefontaine. » Pas de problème pour les deux papas, dont l’objectif n’est pas d’interdire la tête. Hasan Doyduk le répète d’ailleurs, ce mot ne fait pas partie de son vocabulaire : « Je ne souhaite pas utiliser le mot « interdire ». Ce n’est pas l’idée. Si un enfant fait une tête en match, on ne va pas le réprimander. On veut seulement diminuer les risques en limitant les têtes. Il y a une étude qui parle de 300 à 500 têtes par an pour un joueur même amateur. Sur le long terme, c’est énorme. Si nous, on peut faire passer ce nombre à 100-110, on a tout gagné. »
Aucune volonté de révolutionner le football du côté des terrains de la Robertsau, donc. Même si l’idée titille un peu Felipe Saad. Lorsque ce dernier parle de son projet à un ami brésilien, celui-ci lui répond simplement : et pourquoi pas un football sans tête ? Une idée qui ne laisse pas l’ancien défenseur de Strasbourg complètement indifférent : « Aujourd’hui, c’est une réflexion impossible, on ne peut pas imaginer la prochaine Coupe du monde sans tête. Mais les sports évoluent aujourd’hui, même le foot évolue très régulièrement. Moi, je dis pourquoi pas ! » En attendant, les gamins de la Robertsau, Saad et Doyduk juniors en tête, participent peut-être sans le savoir à une prise de conscience plus que nécessaire dans le football français. « On a conscience qu’on a à la fois un côté pionnier, mais qu’il y a quand même du retard », conclut Felipe Saad. Parce qu’en sport comme en santé, mieux vaut tard que jamais.
Par Maurice de Rambuteau
Tous propos recueillis par MDR