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Top 11 : censure politique dans le football

Par Nicolas Kssis-Martov
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Top 11 : censure politique dans le football

La FIFA et ses instances intermédiaires ne cessent de proclamer que tout symbole politique doit être impérativement proscrit dans le foot. Elles sont même à ce sujet entrées en conflit ouvert avec l'Angleterre et l'Irlande qui désiraient juste afficher sur les maillots de leurs sélections un peu de leur mémoire nationale. Plus soucieuse de son « apolitisme » que de vérifier l'éthique sociale de ses sponsors, la multinationale du ballon rond reste donc intransigeante, et cela ne date pas d'hier. Seul petit problème, le foot n'est pas le reflet de la société, mais un de ses acteurs à part entière, ce qui amène forcément, dans les tribunes ou sur les pelouses, les questions partisanes à venir s'y exprimer. Et aucune censure ni amende ne pourra jamais l'empêcher.

1. Les coquelicots de la discorde.

« C’est tout à fait scandaleux. Nos joueurs de football veulent rendre hommage à ceux qui ont donné leur vie pour notre sécurité. Ce serait absolument normal qu’ils soient autorisés à le faire. C’est un message clair de notre part. Avant qu’ils[la FIFA] nous disent ce que l’on doit faire, ils feraient mieux de résoudre les problèmes qu’ils ont chez eux. » Theresa May, Première ministre britannique, n’a pas mâché ses mots devant la chambre des communes, bien heureuse – par ailleurs en plein cafouillage post-Brexit – de resserrer les rangs de l’unité nationale. La décision de la FIFA interdisant à l’Angleterre et l’Écosse d’apposer des coquelicots sur leurs maillots afin de commémorer le souvenir des quelque 750 000 soldats morts sur les champs de batailles de la Première Guerre mondiale – dont beaucoup en France, où ils ne furent pas totalement étrangers à la démocratisation du ballon rond au passage – peut en effet laisser pantois. Dans la catégorie consensuelle, ce type de souvenir fait plutôt l’unanimité. La FIFA n’en a cure, et aime rappeler aux États qui commande, quitte à frôler le ridicule… Cela dit, rien n’était joué. Si l’Irlande du Nord et le pays de Galles ont renoncé par crainte du retour de bâton, Anglais et Écossais ont fait comme s’ils n’étaient au courant de rien et ont arboré tranquillement le fameux « poppy » . En retour, devant le fait accompli, le rétropédalage du côté de Zurich valait le détour : « L’administration de la FIFA a seulement fourni des informations à quatre fédérations britanniques, sans porter de jugement sur leur demande, donc la perception selon laquelle la FIFA a interdit quelque chose et une distorsion des faits. » Sans blague ?


2. Irlande, la mémoire dans le maillot

Moins de complaisance en revanche pour les sujets plus touchy. On l’oublie peut-être un peu vite, mais l’Irlande est un coin d’Europe qui a dû mener une guerre d’indépendance pour cesser d’être une simple colonie de Sa Gracieuse Majesté (et cela continue dans le Nord). Le souvenir en reste vif dans les esprits embrumés de Guinness, même cent ans après. C’est d’ailleurs après avoir porté les deux dates de ce centenaire (1916-2016) sur leur maillot lors d’une rencontre amicale contre la Suisse le 25 mars dernier que la FIFA s’est décidé à lancer une procédure contre la Fédération irlandaise. Arrivé à ce point, il est possible de pousser la logique jusqu’à l’absurde : va-t-on ensuite contraindre l’Algérie à débaptiser son stade du 5 juillet 1962 par exemple ? Pierre Mauroy ou Auguste Delaune, n’est-ce pas un peu trop connoté ?


3. Cachez ce Jésus que je ne saurais voir

Lors de l’attribution du dernier Ballon d’or, la FIFA a montré également que son intransigeance en matière de « message » politique ratissait vraiment très large. Le Brésilien Neymar en fut la victime involontaire. Un petit extrait vidéo de la finale Barça-Juventus où il portait un bandeau « 100% Jésus » s’est vu retoucher afin d’en faire disparaître la référence au « roi des juifs » lors de la retransmission télévisée. Certains joueurs brésiliens utilisent largement le football pour promouvoir leur foi chrétienne, ce qui agace parfois une institution sportive qui n’expose que les sponsors qui paient pour cela (et les diverses chapelles évangélistes ont plutôt tendance il est vrai à encaisser les deniers du culte davantage que de verser leur écot aux dieux du stade). Les valeurs du foot sont aussi sonnantes et trébuchantes que celles des églises, et personne n’aime laisser un concurrent empiéter sur sa part de marché dans sa propre boutique…


4. Argentine, l’ingratitude mémorielle

Si l’Argentine s’est imposée face au Chili lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2018, le résultat s’avéra finalement secondaire. Certes l’Albiceleste ramène les trois points de la victoire, mais un point noir vint gâcher ce succès encore davantage que la pénible prestation des coéquipiers de Lionel Messi. Le 24 mars représente un triste anniversaire pour le peuple argentin, celui du 40e anniversaire de la prise de pouvoir d’une junte militaire dont le bilan ferait passer Pinochet pour un démocrate chrétien juste un peu hargneux. La sélection nationale décida donc d’entrer dans le stade avec une banderole très sobrement intitulée « Nunca Mas » (Jamais plus). Les officiels présents n’apprécièrent guère et décidèrent de sanctionner cette faute de goût, dérogation inadmissible aux sacro-saints règlements. Il faut aussi se rappeler que la FIFA avait offert une merveilleuse Coupe du monde sur mesure à la dictature de Videla. Qui aimerait qu’on dise du mal de ses amis aujourd’hui disparus ?


5. Guarani vu ni connu…

La dernière Coupe du monde au Brésil a été celle de la contestation, notamment dans la rue contre les expulsions ou le gouvernement Rousseff. Y compris au sein du stade. Un jeune Guarani – tribu amazonienne en lutte pour survivre – qui avait été invité par la FIFA, principalement pour faire joli sur la carte postale mondialisée lors de la cérémonie d’ouverture, a ainsi profité de l’occasion pour manifester sa colère. La FIFA et le comité d’organisation devaient avoir bien du mal à imaginer que ces « gens-là » pouvaient penser par eux-mêmes et croire qu’ils se tairaient contre un billet gratuit. Le simple mot qu’il avait inscrit sur un bout de tissu, « demarcação » (La « démarcation » est un article de la constitution brésilienne de 1988 qui attribue aux indigènes la gestion de leurs terres traditionnelles) fut immédiatement effacé de l’antenne. La leçon a été retenue. En Russie, ils n’inviteront certainement pas de Yupiks, pas plus que d’ouvriers népalais au Qatar….


6. Les T-shirts politiques

Voila l’ennemi, le cauchemar des représentants officiels lors des matchs à travers le monde : qu’un joueur soulève son maillot pour exhiber un T-shirt arborant un message politique ou engagé, quel qu’il soit. Et pour les en dissuader, on est passé à la sanction, si possible financière, en plus du possible carton jaune de base pour les amateurs de l’exhibition de torse. « Les messages n’ont pas leur place dans le jeu. La punition dépendra de la nature de celui-ci » , précisa en son temps Jérôme Valcke. Tout le monde garde en mémoire évidemment le geste de Frédéric Kanouté, alors joueur du FC Séville, qui avait tapé fort en affichant son soutien à la cause palestinienne en 2009. Il dut régler une amende de 3 000 euros. Cependant, n’allez pas croire que ce type de sanction ne vise que les sujets « clivants » . Didier Drogba avait vu lui aussi dû affronter une telle menace pour son mot d’amour à Nelson Mandela, « Thank you Madiba » , lors d’un match du championnat turc.


7. Le grand frère soviétique

Espagne 1982. Le pays fête le football qu’il aime tant et le retour d’une démocratie qu’il redécouvre. La dimension politique durant cette compétition ne tournera pas pourtant autour de la fin des dernières dictatures d’Europe occidentale. Non, c’est le choc entre l’URSS et la Pologne, pays frère et alors en état de siège, qui va cristalliser les tensions en tribunes. À Barcelone, des militants et soutiens de Solidarnosc, mouvement interdit dont la plupart des dirigeants sont emprisonnés, déploient des banderoles aux couleurs du syndicat « libre » . Les policiers s’empressent évidemment d’arracher ces dazibao profanes en ce saint lieu de l’apolitisme de bon aloi, malgré les protestations du public.


8. Euro 2016, la loi travail en son sanctuaire

Pas de contestation lors de l’Euro 2016. Trop heureux de s’abriter derrière les consignes de l’UEFA, le gouvernement peut réclamer que toutes les formes d’expression contre sa très contestée Loi travail soient prohibées lors de la compétition, dont les fameux cartons rouges distribués à l’entrée des fan zones et des enceintes. La CGT tentera bien d’enfoncer le clou au nom des principes de notre belle République, elle oublie que l’UEFA reste une zone de non-droit, sauf le sien… « Ces consignes remettent en cause le fondement de la démocratie, la liberté d’expression. En mettant sur le même plan propos diffamatoires, racistes ou xénophobes – qui relèvent de l’infraction pénale – et propos politiques et idéologiques – qui fondent les libertés constitutionnelles et le débat démocratique –, elles engendrent un scandaleux mélange des genres. Notons au passage que le ministère de l’Intérieur s’inquiète davantage des propos politiques que du sexisme et de l’homophobie, oubliés de ces consignes alors qu’ils sont malheureusement bien présents dans les stades. » Dialogues de sourds…


9. Occupied

Ne soyons pas trop dur en effet, parfois les règlements internationaux sont un bon prétexte pour ne pas se fâcher avec ses voisins, ses alliés ou ses partenaires économiques. La Fédération norvégienne avait de la sorte banni les messages politiques pro-Ukraine ou pro-homosexuels dans les gradins lors d’un match amical contre la Russie à Oslo. En gros, comme toujours, il s’agit d’abord officiellement de ne pas laisser apparaître des « banderoles et messages politiques » . Toutefois, en démocratie occidentale, la limite est parfois fine et la « liberté d’expression » ouvre quelques brèches. « Le port de tee-shirts aux couleurs arc-en-ciel est autorisé. Idem pour les drapeaux de taille limitée » . On rappelle que pour Moscou, l’homosexualité demeure non pas un droit, mais un stigmate des « pseudo-valeurs occidentales » .


10. Le Celtic Gaza

Les supporters du Celtic ne sont pas franchement portés sur l’euphémisation politique, mais plutôt adepte des drapeaux de Che Guevara et autres déclarations pro-IRA. Leur tendance à ne pas mettre de mouchoir sur leurs convictions a souvent valu à leur club des amendes. La dernière coûta 10 000 euros après l’apparition de drapeaux et banderoles palestiniens lors d’une rencontre contre l’Hapoël Beer Sheva, club israélien, le 17 août dernier. Une condamnation sans appel au nom du refus de « tout matériel injurieux, raciste, xénophobe, sexiste (à l’égard des hommes ou des femmes), religieux, politique ou autre matériel interdit/illicite, y compris le matériel de propagande discriminatoire » . La Palestine n’a pas fini de hanter les instances européennes du foot (et pas seulement en tribune) des parlementaires européens leur ayant par exemple demandé de refuser l’inscription des clubs des colonies au nom des statuts de la FIFA.


11. Barça : Catalogne first, football after

Même le grand Barça a fait les frais de l’intransigeance de l’UEFA en la matière. Emblème sportif et vivant d’une Catalogne indépendante avant même d’être un État, le club a encore été sanctionné en juillet 2015 d’une amende de 30 000 euros en raison du déploiement d’ « Esteladas » (drapeau catalan) lors de la finale de la Ligue des champions le 6 juin à Berlin. Rappelons que, déjà lors du match de poule contre le Bayer Leverkusen, le même type de problème avait entraîné une pénalité de 40 000 euros. Pour le coup, les Catalans ne se laissent pas faire, n’hésitant pas à brandir un possible recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg. Lors d’un match contre Eibar en Liga, les haut-parleurs haranguèrent la foule en des termes quasi insurrectionnels : « Le FC Barcelone veut revendiquer publiquement le respect du droit à la liberté d’expression. Le droit fondamental de tout individu d’exprimer des idées et des opinions librement et sans censure, reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Vive le Barça et vive la Catalogne. » 30 000 drapeaux indépendantistes catalans flamboyèrent encore dans le Nou Camp lors de la rencontre de Ligue des champions contre Manchester City. À censurer, on obtient généralement le résultat inverse…

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