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  • Télévision // Interview Jean-Jacques Amsellem

« Sur un plan large, il n’y a pas d’émotion »

Propos recueillis par Florian Lefèvre
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Sur un plan large, il n’y a pas d’émotion<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

On ne le voit jamais, mais il est partout. De la finale de la Coupe du monde 98 - « l’apogée de [sa] carrière » - aux soirées Ligue 1 de Canal, en passant par les journaux TV, les élections et même Star Academy, Jean-Jacques Amsellem joue les chefs d’orchestre derrière l’écran. Avec un CV qui parle pour lui, le réalisateur sera aux manettes de dix matchs à l’Euro (dont une demi-finale à Lyon). Entretien pleine lucarne.

Vous avez réalisé la finale de la Coupe du monde 98, comment vit-on le sacre des Bleus dans cette position, de l’intérieur ?Je m’interdisais de me mettre trop de pression. Il y a une petite pression avant, mais je ne tremblais pas non plus. Je dirais que c’est comme pour un coureur du 100 m : sur une finale olympique, on est plus concentré que sur un meeting quelconque. Pourtant, il faut courir comme d’habitude. Alors, une fois que le match est lancé, le naturel et la façon de faire prennent le dessus.

Quatre ans plus tard, d’une certaine manière vous anticipez le fiasco de 2002 en ne vous rendant pas en Corée du Sud et au Japon. C’est vrai que c’était pour mieux préparer les primes de Star Academy ? En fait, je n’avais pas envie de partir un mois en Corée. Toute l’année, j’avais fait des chambres d’hôtel entre Caen, Marseille, Saint-Étienne… en couvrant le championnat pour Canal +. Je vais être très sincère, j’ai hésité et j’ai mal choisi puisqu’on ne m’a pas appelé en 2006. Ensuite, j’ai eu la chance d’être rappelé en 2010 et 2014. J’ai fait mon premier Euro en Pologne en 2012. Durant la saison, je réalise au minimum un match par semaine pour Canal, avec une vingtaine de caméras. C’est ce qui me permet de faire partie du giron international pour travailler cet été encore lors de l’Euro. 70% de mon temps est consacré à la réalisation d’évènements sportifs. Le direct, c’est ce qui me plaît.

Est-ce qu’on travaille différemment entre un match de Ligue 1 et un match de l’Euro ?Lors d’une compétition internationale, on est censé être neutre, dans le sens où on colle plus avec le direct. Il y a ce qu’on appelle le « son guide » des commentateurs, mais on n’est pas obligé de l’écouter. Est-ce que je me retiens de faire quelque chose ? On ne s’interdit rien, mais on fait plus attention. Sur Canal, vous êtes en association avec le commentateur et le consultant. Je me permets de passer plus de ralentis – alors que les moyens sont beaucoup plus importants sur des évènements de style Euro. Il y a l’attente d’un geste technique, on l’anticipe et pendant un temps mort, on peut raconter une petite histoire de 20 à 30 secondes. Pas pendant l’Euro.

Combien de personnes composent une équipe de réalisation et quels sont les rôles ? Il y a l’équipe en régie : le réalisateur, la scripte qui a la responsabilité du conducteur (le déroulé écrit de l’émission, ndlr), le truquiste qui envoie les ralentis. Il y a un car régie avec le son, les ingénieurs de la vision qui s’occupent du réglage de la caméra, la partie artistique avec les opérateurs ralentis qui sont à part dans une salle. Et surtout 25 cadreurs répartis sur le site, de telle sorte qu’ils sachent quel plan on attend d’eux. Nous, on est juste à côté du stade. Au Parc des Princes, c’est sur le parking derrière la tribune présidentielle, au Stade de France, c’est sur le parking des joueurs.



À l’Euro, il y aura trois équipes françaises sur les six, sept équipes de réalisation générale.

Est-ce qu’il y a un style propre aux réalisateurs français ? 
En France, on aime bien le petit risque, on va passer deux ralentis plutôt qu’un. La priorité : ça reste le direct ; la base, c’est le plan large, la caméra au sol, les Steadicam(stabilisateur qui permet la prise de vues entravelling, c’est-à-dire en mouvement, ndlr). À dix, douze caméras, en Europe, on est tous sensiblement équivalent. Sur la qualité, on est pareil, je crois que la différence se fait sur la quantité. C’est à partir du douzième cameraman qu’il y a une petite différence. Il me semble qu’on est plus homogène en France par rapport à l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne… Chez nous, le 18e cadreur est aussi performant que le huitième. C’est pareil pour les ralentis. D’ailleurs, à l’Euro, il y aura trois équipes françaises sur les six, sept équipes de réalisation générale.



Et vous, c’est quoi votre signature ? 

Il faudrait demander aux téléspectateurs. J’aime bien le live, c’est une sensibilité globale. Mais les emplacements de caméra restent les mêmes depuis des années. Je trouve qu’il est plus facile de réaliser des gros matchs plutôt qu’une affiche moyenne, insipide. Quand ça ne joue pas très bien, vous êtes embarqués par le faux rythme, vous pouvez envoyer des ralentis à contretemps par exemple. Les différences entre les réalisateurs français, en fait, il y en a peu. Quand je regarde un match, ça m’arrive de me dire : « Là, peut-être que j’aurais mis un ralenti ou un autre axe… » Mais ça reste du détail.

Vous recevez des consignes de la part des chaînes ?Non. La hantise du réalisateur – je touche du bois -, c’est de ne pas rater de but. Vous avez des moyens conséquents. La clef, c’est de trouver le bon dosage. On nous demande d’être efficace en matière de mise en image, d’alterner plan serré/plan large, mettre un plan du public, bref tout ce qui fait le sel d’une retransmission.

En parlant de rater un but, on se souvient du dernier PSG-Manchester City en Ligue des champions. Le but de Zlatan n’est pas passé en direct. Ça ruine une carrière de rater ça ?Non, ça ne ruine pas une carrière. Y a forcément des petites remontrances… des grosses remontrances. En l’occurrence, c’est François Lanaud qui sera en charge de la finale de l’Euro. Il a une antériorité, il a déjà fait des finales… C’est normal que son passé de réalisateur couvre cette maladresse. C’est pas que ça peut arriver, parce que c’est trop facile de dire ça, mais bon… Si ça arrive deux, trois fois, là c’est différent. 



Si c’était arrivé à un réalisateur en début de carrière ?
Là, c’est peut-être plus délicat.

Avec cet Euro 2016, les stades vont être de nouveau performants. Comme l’Allemagne a bénéficié du Mondial 2006, la France va bénéficier de son Euro. Avant, c’était pas possible : la lumière, les qualités des pelouses, on était en retard sur l’Allemagne et l’Angleterre.

Est-ce que les progrès de la réalisation biaisent notre vision du jeu. Est-ce qu’on apprécie mieux un match en 2016 par rapport à un match de même qualité diffusé en 1990 ?Forcément, la technologie avance. Le téléspectateur s’est habitué aux ralentis superbes, aux belles images, aux prises de vue en direct… C’est un plus, mais l’intensité d’un match reste. France-RFA en 82 à Séville, c’est exceptionnel, peu importe la mise en image.


La Premier League est considérée comme l’un des meilleurs championnats du monde. Mais finalement, n’est-ce pas une illusion ? N’apprécie-t-on pas surtout la réalisation anglaise et tout ce qui va autour du jeu plutôt que le jeu lui-même ?

Je suis d’accord. En Angleterre, les stades sont pleins ! Ils favorisent une belle image, dans la texture, la profondeur de champ. Les Anglais ont quatre clubs qualifiés en Ligue des champions, mais ces dernières années, à part Manchester City qui s’est fait laminer par le Real, ils n’arrivent pas jusqu’en demi-finale.



Et en France ?Avec cet Euro 2016, les stades vont être de nouveau performants. Comme l’Allemagne a bénéficié du Mondial 2006, la France va bénéficier de son Euro. Avant, c’était pas possible : la lumière, les qualités des pelouses, on était en retard sur l’Allemagne et l’Angleterre. Après, il y a les droits tv…

Les analystes tactiques reprochent aux réalisateurs français de ne pas utiliser assez le plan large, est-ce que la réalisation est davantage tournée vers le grand public – plus qu’en faveur des connaisseurs ? 
En France, j’ai l’impression qu’on est un peu reconnu. Chez les abonnés de Canal, il y a des initiés, des spécialistes, mais aussi le grand public. Chacun aura un avis mais en gros, on filme pour des spécialistes et on essaye avec la multiplicité des plans de plaire en même temps au grand public : avec des plans d’une tribune, de la variété, l’hélico, la Tour Eiffel… ça entoure une réalisation tactico-spécialiste.

Pensez-vous que s’il y avait davantage de plans larges, ça dévaloriserait le spectacle proposé ?On ne peut pas revenir 15 ans en arrière ou à la grande époque des Verts, où c’était filmé avec cinq caméras. C’est pas possible ! C’est une question de dosage. Avec un plan large, il n’y a pas d’émotion. On met des moyens, ce n’est pas pour saouler les gens, mais pour avoir une variété d’axes, de plans, en bref pour ne rien rater.

Vous les utilisez toutes ces caméras ? Normalement, un direct pur c’est huit, dix caméras. Les autres aident à varier la réalisation (une vingtaine, voire une trentaine en tout). Si vous ne les avez pas, vous ne saurez jamais si tel plan aurait pu être utile, si tel axe aurait pu être super beau. Ça vous laisse un choix supplémentaire.

J’adore les plans de foule, les jolies filles, les gamins. Ça permet de drainer un autre public.

Quand on réalise un PSG-OM, on essaye de faire monter la température ? En tant que passionné de foot, c’est sûr ! Moi je vais réaliser notamment Belgique-Italie et Islande-Portugal. Si j’avais le choix en tant que spectateur, j’irais vois Belgique-Italie. Je suis aussi dans l’affectif. Tous les matchs sont importants, mais comme je vous l’ai dit, les matchs à moins fort potentiel sont peut-être plus difficiles, demandent davantage de concentration.

Le spectacle dans les tribunes, ça compte aussi ? Genre les fumigènes…Les fumigènes, je ne suis pas trop pour, il peut y avoir un accident. Il faut faire attention à l’intégrité physique des joueurs ou celle des spectateurs.

Du coup, vous évitez de les montrer ?Bah ouais, en revanche j’adore les plans de foule, les jolies filles, les gamins. Ça permet de drainer un autre public.

Si je vous dis Angleterre-Allemagne en 2010, ça vous rappelle un moment particulier de votre carrière… C’était un beau match et il y a le fameux but refusé. (La frappe de Lampard aurait dû permettre aux Three Lions d’égaliser à 2-2 en huitièmes de finale du Mondial sud-africain. L’Allemagne s’imposera finalement 4-1, ndlr)


Un moment fort… On a tout de suite vu que le ballon avait franchi la ligne. Je crois qu’il n’y a que l’arbitre qui ne l’a pas vu. Forcément, on passe des ralentis pour montrer que l’arbitre s’est trompé en refusant le but.

Imaginons à ce moment-là que vous êtes anglais, vous auriez la sensibilité d’envoyer beaucoup de ralentis. Imaginons au contraire que vous êtes allemand, vous pourriez ne pas en faire trop ou en tout cas choisir un certain angle. La manière de réaliser influe sur notre manière de percevoir les éventuelles fautes d’arbitrage, non ?Comme je l’ai dit en préambule, on est censé être neutre. Forcément, on a un certain feeling propre. Après, concernant ce fameux but refusé, ça serait presque une faute professionnelle de ne pas remontrer l’action.

Si l’arbitre ne siffle pas une faute évidente, on envoie deux ralentis. Au-delà, ça devient un peu compliqué pour tout le monde.

Il y a aussi des actions moins évidentes, comme le hors-jeu. Selon à quel moment s’arrête le révélateur, la perception des téléspectateurs varie…Oui, vous avez raison. On a les outils. Pour l’instant, il n’y a pas une loi qui dit : « La priorité, c’est l’arbitre, et s’il se trompe, vous ne montrez pas… » Si l’arbitre ne siffle pas une faute évidente, on envoie deux ralentis. Au-delà, ça devient un peu compliqué pour tout le monde. Voilà, il faut doser. C’est humain, les arbitres ont le droit de se tromper, et nous on a le droit de montrer.

En 2017-18, la FIFA va expérimenter l’assistance vidéo sur le but marqué, le carton rouge, le penalty et l’erreur sur l’identité d’un joueur. Faut-il aller plus loin que la goal-line technology dans l’arbitrage vidéo ? Moi, je suis partagé. La goal-line, les cinq arbitres, c’est bien. Le problème, c’est que toutes les fédérations ne peuvent pas se payer l’arbitrage vidéo. Dans l’histoire du foot, paradoxalement, ce dont on se rappelle, ce sont les fautes d’arbitrages : la main de Thierry Henry contre l’Irlande, Maradona, l’arbitre qui ne voit pas ce taré de Schumacher. Il faut éviter que ce soit trop flagrant, mais l’humain est fait comme ça… Avec le temps, on avance, il faudrait peut-être encore un élément, mais moi je ne suis pas pour casser le match comme le foot américain.

Quand vous regardez un match de NFL ou de NBA, vous trouvez ça…(il coupe) Hâché. On perd le rythme. Si on prend aussi l’exemple du rugby, désormais, avec l’arbitrage vidéo, une période de 40 minutes peut durer 50, 55 minutes. Ça devient compliqué…



Pour finir, quel sera votre programme durant l’Euro ? J’ai une variété de pays : il y a donc le fameux Belgique-Italie, Portugal-Islande, Ukraine-Irlande du Nord, Tchéquie-Croatie, Roumanie-Albanie, Slovaquie-Angleterre, Hongrie-Portugal, deux huitièmes de finale et une demi-finale à Lyon.

Et qu’est-ce qui se passe si vous faites un malaise dans la cabine ? Oh, il y a le truquiste à côté. C’est jamais arrivé. On va dire que vous n’allez pas me porter la scoumoune !


Émerse Faé : « J'ai juste fait mon travail »

Propos recueillis par Florian Lefèvre

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