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Sammir et son père

Par Pierre Boisson, à São Caetano
Sammir et son père

Natif de la région de Bahia et parti très jeune en Croatie, Sammir est une des surprises de la sélection croate, qui joue sa place en huitième de finale face au Mexique. Pour la famille du néo-naturalisé, cette Coupe du monde ressemble surtout au retour d'exil d'un fils prodige : un peu de bonheur, beaucoup de désillusions.

Il y a eu beaucoup de déceptions dans la vie d’Adailton César Santos Campos. La dernière d’entre elles date du 3 juin, et a eu lieu au terminal de l’aéroport international de Salvador de Bahia. Adailton guettait l’écran annonçant les arrivées de l’avion de 16h10 en provenance de Lisbonne, et s’était fait beau. Il attendait son fils. Sauf que celui-ci, Jorge Sammir Cruz Campos dit « Sammir » , est désormais international croate, qu’un bus l’attendait sur le tarmac et qu’il ne savait rien de la présence de son père. « On avait tout prévu, on avait même préparé une banderole, explique aujourd’hui Adailton, qui reçoit dans le salon de sa maison de São Caetano, un quartier populaire et mal éclairé de Salvador. On voulait lui faire une surprise. Tout le monde était là, sa belle-mère, une de ses cousines, des amis et moi-même. Mais ils sont partis sans même passer devant nous. »

Quatre jours plus tard, Adailton a pris sa voiture et a conduit vers le nord. Quelques kilomètres de vélo à contre-sens et de dépassements par la droite jusqu’à Pituaçu, où la Croatie affrontait l’Australie en match amical. Sur le banc en début de match, Sammir fait son entrée à la 59e minute. Pour la première fois de sa vie, Adailton voit son fils jouer un match professionnel. « Je n’avais jamais vu Sammir dans un stade. La dernière fois que je l’avais vu jouer en vrai, c’était en 2006, avant qu’il ne parte du Brésil. » Il y a plus important : les amis et les voisins de São Caetano ont vu jouer ce Brésilien de Bahia, parti du pays très jeune, nationalisé croate et dont Adailton ne cesse de parler depuis qu’il a appris sa sélection pour la Coupe du monde. Après une chute de tension et un passage à l’hôpital – « trop d’émotion » -, le père a même repeint le domicile familial en rouge et blanc, les couleurs de la Croatie. De quoi faire courir les mauvaises langues et sourire les sceptiques de São Caetano. Jusqu’au 18 juin dernier. Titulaire sur le flanc droit de la Croatie qui a atomisé le Cameroun 4-0, Sammir a fait un retour remarqué au pays, et sur les écrans de télévision du quartier. « Sammir a fait taire beaucoup de bouches parmi mes collègues et mes amis, explique Adailton, en se calant dans son canapé de coin – rouge, évidemment. Personne ne l’avait jamais vu jouer. En plus, beaucoup d’entre eux voyaient d’un mauvais œil le fait que j’aie laissé mon fils partir en Croatie et se naturaliser. Maintenant qu’ils l’ont vu, dans le quartier, il n’y a plus personne pour faire des remarques. »

La vie d’exil

Si Adailton César Santos Campos était aussi impatient de revoir son fils, c’est que celui-ci fait partie de ces joueurs brésiliens partis gagner leur vie avec leur football très jeunes, très vite, très loin, le plus souvent dans des destinations exotiques. Pour Sammir, ce fut la Croatie, et c’était en 2006. Après un début de carrière passé à voyager dans le Brésil de l’intérieur à coups de prêts et de transferts sans relief – Ferroviaria, São Caetano et Paulista dans l’État de São Paulo, Atlético Paranaense dans le Paraná, Atlético Mineiro dans le Minas Gerais -, le jeune milieu droit reçoit une offre du Dinamo Zagreb. Bon milieu comme il y en partout au Brésil – à l’aise avec le ballon, grosse frappe –, Sammir prend son vol pour l’Europe sans se retourner. « Son agent lui avait trouvé cette opportunité en Croatie, retrace aujourd’hui le père, parti enfiler un T-shirt rouge frappé du nom de son fils. Sammir n’avait que 19 ans, il ne parlait pas croate, ne connaissait rien du pays mais il n’a pas eu peur, il y est allé dans hésiter. Il avait quitté la maison à 12 ans pour jouer au football, alors il était seulement très heureux de pouvoir réaliser son rêve de gagner sa vie comme ça. » Le 17 mars 2007, le Brésilien foule pour la première fois les terrains de la première division croate, face à Rijeka. Très vite, le Dinamo découvre que Sammir n’est pas qu’un ouvrier parmi d’autres. Celui qui avait été sélectionné en équipe nationale avec les moins de 18 ans brésiliens se creuse directement sa place sur l’aile droite d’un milieu régenté par Luka Modrić, avec lequel il permute et s’amuse. 38 matchs, cinq buts, un doublé coupe–championnat. C’est un bon début. L’année suivante, il récupère le 10 de Modrić, ne manque qu’un match de la saison. Nouveau doublé, nouvelle stature. Sammir joue la Ligue des champions, est l’homme fort de l’équipe. Le football paye.

Dans l’autre vie, hors-jeu, le destin de Sammir est celui d’un immigré. Partir très loin, de nuit, découvrir un nouveau pays, s’y installer, fonder une famille. On ne fuit plus en cargo avec la vaine promesse d’écrire et de revenir, il y a le téléphone, internet et « le Face » dixit Adailton, mais il y a surtout un océan : cela reste l’exil. Avant d’être transféré en janvier dernier à Getafe, Sammir passe sept années en Croatie, apprend à parler la langue sans quasiment le moindre accent, et finit par obtenir sa green card, un passeport croate qui lui ouvre les portes de la sélection. « Je crois bien que Sammir se sent putain de croate » , résume le père. Les liens se distendent. « Je ne suis jamais allé en Croatie. Ce n’est pas que je n’aime pas voyager, au contraire, mais moi, j’ai ma deuxième femme, Leda, et ma maison ici. Sammir a sa vie en Europe, c’est comme ça. La dernière fois que je l’ai vu en personne, c’était il y a trois ans à Itabuna. On a discuté un peu de lui et il est reparti. Il me manque beaucoup. Mais est-ce que j’ai le droit d’être triste ? Il gagne sa vie en jouant au foot et c’est ce qu’il aime. Et puis on discute de temps en temps sur Facebook. »
Pagode, bières et churrascaria

C’est un père et son fils qui ne parlent plus, ne se voient guère, mais qui n’en ont pas besoin. « On pourrait croire que notre relation est mauvaise, mais c’est juste que je ne suis pas le genre de personne qui parle beaucoup, et Sammir non plus » , affirme le père, en regardant le sol. « Les deux sont des copies conformes, atteste Dona Leda, la belle-mère. Adailton est un taiseux. Dès qu’il y a de la visite de la part d’étrangers à la maison, il s’enferme dans sa chambre et ne réapparaît que quand les invités partent. » En vérité, Adailton s’est exprimé dans la vie avec les mêmes manières que son fils : le football et la fête. Aujourd’hui âgé de 54 ans et reconverti vigile, Adailton a eu une première vie de footballeur pro, passé par Botafogo, Bahia et Belo Horizonte. « Avec un peu plus de chance, j’aurais pu avoir une très bonne carrière, dit-il de cette autre déception. Beaucoup de grands clubs voulaient me recruter. D’abord São Paulo, ensuite Palmeiras, puis Santos et Flamengo. Quand Telê Santana m’a vu jouer, il est devenu fou. J’ai aussi eu une proposition de Boavista au Portugal. Mais à chaque fois, ça a capoté. Je n’avais pas d’agent, il n’y avait pas internet, je ne pouvais pas m’informer de ce qui se disait de moi. Sur le coup, j’étais déçu. Avec le temps, j’ai appris à relativiser. » Tous les deux milieux droits, le père et fils partagent surtout une vision du métier où on ne choisit pas entre boire et jouer. Avant d’arriver en sélection croate, Sammir traînait en effet une réputation de soiffard.

Régulièrement en retard aux entraînements, venu plusieurs fois ivre de bon matin, le numéro 15 croate s’est d’abord fait sanctionner en 2010 par Vahid Halilhodžić, alors coach du Dinamo, de 10 000 euros d’amende pour sortie en discothèque non autorisée, avant de décrocher le record du pays en août dernier avec une sanction de 270 000 euros pour avoir organisé une expédition sauvage avec ses coéquipiers la veille d’un match de tour préliminaire de C1. Sammir a finalement réussi à épuiser la patience des dirigeants du Dinamo, qui ont rompu son contrat en janvier dernier et l’ont laissé aller voir à quoi ressemblent les bars de Getafe. De quoi mettre un père en colère contre son fils ? « Pas du tout, je n’ai pas cherché à lui faire la morale, conteste Adailton. Au contraire, je trouve ça normal qu’un footballeur sorte. Moi-même, je sortais pas mal quand j’étais joueur, surtout quand on gagnait. Sammir a toujours été comme ça de toute façon. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il rentrait à la maison, l’air calme, et nous disait : « Ce soir je sors. » Et il s’en allait. On aimait aussi beaucoup aller ensemble à la churrascaria, danser la pagode et boire des bières. De la Skoll surtout. La vérité, c’est que j’aime toujours beaucoup ça. » Mais si Adailton ne reproche pas à son fils son goût de la fête, c’est surtout parce que c’est peut-être sa meilleure chance de le voir rentrer un jour au pays. « Je ne le vois pas rester en Europe, souffle-t-il. Il a besoin de bouger, voyager. Et puis il aime beaucoup trop le carnaval. Quand il sera à la retraite, je crois qu’il va rentrer. » Une chose est certaine : ce jour-là, Adailton attendra à l’aéroport.

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