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  • Coupe du monde 2014
  • 1/2 de finale
  • Brésil/Allemagne (1-7)

Rio, Belo et São Paulo, sous l’eau

Par JPS, FA, MM, LR, TG et DR, à Rio, Belo Horizonte et São Paulo (Photos : Renaud Bouchez)
Rio, Belo et São Paulo, sous l’eau

Le Brésil ne s'y attendait pas. À Rio, sous la pluie, São Paulo et Belo, le local s'est plongé dans l'incrédulité totale. 7-1. Petite prise de pouls dans différents quartiers auriverde, entre humiliation, déception, travelos et saucisse de manioc.

Restaurant ABC, quartier de Santa Teresa.

« On aurait dû faire comme vous… On aurait dû jouer en 4-4-2, limiter la casse. 1-0, c’est bien. La déception vaut toujours mieux que l’humiliation. » Claudio savait que ce soir, il y avait un gros risque de perdre. Il était prêt à l’accepter. Mais la honte, c’est autre chose… 4-0 après 26 minutes et, il le sait, ce n’est pas fini. Depuis six mois, il a transformé sa maison en bar-restaurant « comme chez soi » , au cœur de la favela Morro do Pereirao qui surplombe Santa Teresa. Une favela pacifiée et familiale où les dealers ont dix-sept ans, et se foutent pas mal que l’Allemagne punisse leur Brésil. Eux fument peinard dans une ruelle, vitrines de leur propre business, ils vendent le meilleur moyen d’oublier la déculottée. Chez ABC, tous les matchs du Brésil sont d’ordinaire l’occasion de danser, d’enquiller les Antartica et les Caïpi, et d’envoyer du pétard à gogo. Ce soir, après trente minutes de jeu, ne restent plus que quelques touristes venus prendre un shoot d’authenticité brésilienne. Tous les habitants de la favela sont rentrés chez eux pour cacher leur chagrin. C’est peut-être la première fois que Claudio regrette de ne pas être seul à la maison, ce soir.

Marina da Gloria, sur la baie de Rio.

Une sorte de fan fest pour bourgeoisie blanche carioca, à 80 reais – presque 30 euros – l’entrée, avec la promesse d’un open bar et d’une fête qui dure ensuite toute la nuit. 0-5 à la mi-temps. L’organisation coupe le son de la télé et les gens se mettent à danser, dans le déni. Au sixième but, la jeunesse dorée perd le sourire. Un groupe de filles en short quitte la soirée. Dégoûtées par le résultat ? Apeurées, en fait. « On vient d’avoir par texto d’amies qui sont à Copacabana. Elles nous parlent de bagarres qui démarrent. On craint les débordements, alors on préfère rentrer maintenant » , explique Leandra. Elle reprend : « Et dire qu’on avait fait 30 kilomètres jusqu’ici juste pour s’amuser… » Plus loin, un taxi s’arrête. Au volant : Edinho, crâne chauve, cheveux gris, une bouteille d’alcool dans un sac plastique planquée sous la boîte de vitesse. La radio crache le match. « J’avais décidé de prendre ma journée pour regarder le match tranquillement chez moi. Mais dès le quatrième but, j’ai décidé de ressortir et de prendre le taxi. Mieux vaut essayer de se faire un petit peu d’argent que de rester chez soi avec sa honte. » La voiture progresse de manière étonnamment fluide dans les avenues de Rio, d’ordinaire si encombrées. Les rares véhicules qui passent sont des bus vides. Ça et là, quelques pétards viennent souligner le silence qui s’est emparé des rues depuis maintenant une heure. Le taxi s’arrête dans le quartier classe moyenne de Tijuca alors que la pluie se met à tomber. Sur le bord du trottoir, assise sur le macadam, une fille pleure en murmurant : « Allemagne, Allemagne, Allemagne, Allemagne… »

Alzirao, quartier de Tijuca, à Rio.

Une fan fest « non officielle » – autrement dit brésilienne et sans contrôle de la Fifa – où les supporters auriverde ont l’habitude de chanter la gloire de leur équipe depuis 1978. Ce soir, l’ambiance est toute autre. L’entrée formée d’une arche en plastique est gardée par trois molosses en noir qui se seraient bien passés de la fessée teutonne. « Je vais te dire, si ça tourne au grabuge et s’il y a une emeute, je serai le premier à décamper » , dit l’un. Son collègue, lui, est persuadé que la soirée va se terminer comme elle a commencée : sous le crachin de la tristesse. « Les Brésiliens ne vont pas se révolter, en tout cas ce n’est pas pour ce soir. L’heure est aux larmes et à la profonde tristesse. » Voilà au moins une arche en plastique de sauvée… Dobras, jeune métisse de 23 ans, raconte avoir retourné son maillot du Brésil au bout du troisième but : « J’ai tout ressenti dans ce match, de la rage, de la colère, de la tristesse, de l’incrédulité. » Un sentiment qui semble partagé dans l’assemblée alors que la musique résonne. Les gens errent comme des zombies, sans savoir s’il faut danser, pleurer ou protester. Une vendeuse de saucisse de manioc : « Ce soir, j’ai fait l’une des soirées les plus catastrophoques du Mondial. Quand l’équipe du Brésil perd, moi aussi je perds. C’est tout le pays qui perd. » Sous le regard des flics, trois travelos passent et baissent leur pantalon. Plus loin, quelques lascars touchent les cheveux des filles.

Plage de Copacabana, Fan Fest, à Rio.

Entre Apocalypse Now et un joyeux dépit, l’ambiance est surréaliste à Copacabana. La moitié de l’assistance a déserté à la mi-temps, sous une pluie torrentielle et le bruit des hélicoptères de la police militaire. Les policiers calment quelques éméchés, sans qu’il n’y ait aucun débordement vraiment sérieux. L’ambiance est plus à la résignation qu’autre chose. Ayrton détourne l’hymne brésilien : « Je suis brésilien avec plein de honte et pas beaucoup d’amour. » Orlando, 69 ans : « J’avais 5 ans lors du Maracanazo. Ce n’est pas la même humiliation. Là, c’est une humiliation froide. » Quand tout va mal, comme d’habitude, les supporters se retournent vers les valeurs sûres : « Flamengo ! Flamengo ! »

São Paulo, autour de l’Avenida Paulista.

Rua Augusta, lieu de fête situé à deux pas de l’imposante et cossue avenida Paulista, ça sent la canette et déjà la fin de soirée. Il n’est pourtant pas encore 20h. Mais la défaite a rappelé à la grande majorité des Paulistas qu’on était mardi soir, même s’il est rare de croiser un Brésilien dévasté. Posté à une terrasse avec quelques amis, Kleber Jhun Fukushima confie être « resté sans mot » devant l’ampleur de la défaite. Un peu plus bas, un jeune homme euphorique brandit un drapeau argentin et n’est pas loin de se faire renverser alors qu’il envahit la chaussée. Romulo le regarde amusé. Cet étudiant en droit de 28 ans parle de « tragédie. » « Même le plus pessimiste des Brésiliens ne pouvait penser cela. » À ses côtés, son amie Jessica, au look alternatif soigné, se range dans le camp des « anti-Copa » et n’est donc pas franchement bouleversée par la correction reçue par la Seleção. Cette artiste audiovisuelle préfère s’attarder sur des « arrestations arbitraires » faites par la police contre des contestataires. Lunettes et barbe de hipster, Francisco estime, lui, que le Brésil « aurait dû jouer comme une petite équipe, et fermer le milieu de terrain. » Il va désormais supporter l’Argentine. Il n’est pas le seul. Ce mardi soir, la solidarité sud-américaine face à l’Europe semble l’emporter sur la rivalité entre les deux voisins. Plus haut, sur l’avenue Paulista, Arnaldo brandit, lui aussi, un drapeau argentin. Ce jeune avocat est « anti-Dilma et anti-socialisme. » Il explique à de jeunes étudiantes qu’il vient de rencontrer qu’avec le « capitalisme, si tu es pauvre, c’est de ta faute, tandis qu’avec le socialisme c’est la faute des riches. » « Maradonaaa » hurle une Brésilienne qui passe devant Arnaldo. « Argentina, Argentina » scandent d’autres. Le Brésil ne semble pas franchement traumatisé. Tout du moins, vu depuis Avenida Paulista.

Autour du Mineirão, à Belo Horizonte.

Le coup de sifflet final a été donné il y a plus d’une heure et des centaines de Brésiliens restent là, debouts, accoudés aux barrières du Mineirão. En silence. Pendant que Scolari tente de donner des explications en conférence de presse et que Klose vient faire danser les milliers d’Allemands restés faire la fête à l’intérieur du stade, ils regardent dans le vide. Le tableau d’affichage est là pour confirmer ce qu’il vient de se passer : le Brésil a pris 7 à 1 dans sa demi-finale. Dos au terrain, assis dans un escalier, un volontaire de la FIFA a quitté son poste. Il ne bouge pas, la tête enfoncée dans les genoux. En larmes. Pour certains, la claque allemande a fait très mal. Et laissera des traces. Autour du Mineirão, dans le quartier friqué du lac Pampulha, les supporters s’en vont dans le calme, sans violence, sans cris de rage ou de souffrance. Ils saluent en anglais les Allemands qui traînent par là : « Congratulations, very big team. » Belo Horizonte espérait faire la fête ce soir dans les rues de Savassi ou au Fan Fest, à l’autre bout de la ville. Les festivités sont annulées. Ce soir, la ville sera en deuil. Comme le reste du pays.

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